En Chine, dans la consommation alimentaire courante, les
protéines apparaissent essentiellement comme un accompagnement de
l'aliment de base qu'est le riz. Toutes les viandes et les légumes sont
tranchés et coupés soigneusement. Les légumineuses, les
haricots, pois et le soja sont éminemment utilisés. La cuisson
souvent rapide permet de conserver les vitamines des légumes.
La Chine est caractérisée par un nombre
gigantesque de spécialités culinaires locales. On peut toutefois
distinguer dans la cuisine chinoise quatre grandes cuisines
régionales39. Le découpage le plus souvent reconnu en
distingue, dont la localisation géographique correspond globalement aux
directions cardinales : la cuisine du Nord centrée sur Pékin et
la vallée du fleuve Jaune, s'étendant à l'est jusqu'au
Shandong, la cuisine de l'Ouest et du Centre occupant le Sichuan mais incluant
en outre le Guizhou, le Yunnan, le Hunan et le Hubei, la cuisine du Sud-Est
avec Shanghai, le Zhejiang, le Jiangsu et l'Anhui, la cuisine du Sud avec
Canton, le Guangdong et à l'est le Fujian.
Cette classification assez artificielle ne tient pas compte
de certaines différences importantes, mais elle répond à
un souci de mise en ordre du monde en fonction de corrélations anciennes
entre macrocosme et microcosme qui reliaient les points cardinaux aux saveurs,
aux couleurs, aux climats, aux animaux, aux céréales...
L'identification des goûts jouant un rôle particulièrement
important dans la cuisine chinoise et son appréciation, les
différentes cuisines régionales sont caractérisées
par une ou plusieurs saveurs dominantes :
- Les habitants du bassin du fleuve Jaune au nord sont
réputés pour aimer les arômes forts comme celui de l'ail,
du vinaigre et de la sauce de soja. Le canard laqué de Pékin
à la peau grasse et croustillante ne saurait se manger sans son
indispensable accompagnement de ciboule crue et de sauce
sucrée-salée tianmianjiang. De même, la viande de mouton,
largement consommée en hiver dans ces régions, est
associée à l'ail et à un vinaigre balsamique dont
l'acidité tempérée s'accorde à merveille avec cette
chair musquée.
- Au Sichuan, considéré comme la terre des
aromates, on aime les épices, et en particulier les plus piquantes et
les plus aromatiques d'entre elles, tels les piments et le clavalier (poivre du
Sichuan). Elles parfument tous les plats avec la pâte de fèves
fermentée (doubanjiang) ou l'huile et la purée de sésame,
produisant des harmonies gustatives baptisées de noms évocateurs
: goût étrange (guai wei), goût familial (jiachang wei),
goût pimenté-parfumé (xiangla wei)
38 Pfirsch, Jean-Vincent, La saveur des
sociétés. Sociologie des goûts alimentaires en France et en
Allemagne, PUR, Rennes, 1997
39 Le partage de la Chine en cuisines régionales
s'appuie sur une évolution historique datant du XIIe siècle,
époque où la petite ville de Hangzhou, située au sud de
l'embouchure du Yangzi et transformée en capitale par la Cour qui s'y
réfugia à la suite de la pression barbare, devint un lieu
d'échanges et de brassages intenses entre populations
émigrées du nord, commerçants de l'ouest et populations
autochtones. Les restaurants aux goûts des quatre horizons
prospérèrent, et c'est ainsi que naquit le concept de «
style culinaire régional ».
- Dans les basses plaines du Yangzi, « royaume du
poisson et du riz », ce sont les tendres légumes,
accompagnés de poissons et de crustacés d'eau douce, qui sont
appréciés. On y prépare des plats au goût
léger, subtil, exacerbé par la présence
rafraîchissante du gingembre et par le coup de fouet du vin de Shaoxing.
C'est la seule région où les saveurs douces et aigres-douces sont
véritablement appréciées et admirablement
cuisinées.
- Dans la cuisine cantonaise les produits de la mer y ont une
place de choix. On en exalte la fraîcheur, en faisant cuire par exemple
les poissons tout simplement à la vapeur au naturel ; la sauce
d'huîtres relève volailles pochées ou légumes verts
à peine ébouillantés. Mais Canton est aussi
réputée pour ses cochons de lait rôtis entiers et ses
viandes laquées exposées en rideaux appétissants aux
devantures des restaurants.
Ces différences régionales n'excluent pas un
fond commun de saveurs, de procédures et de techniques
Bien qu'il soit en effet difficile de parler d'une cuisine
chinoise unique et que l'on puisse même mettre en doute son existence,
trois ingrédients aromatiques, indispensables à toute expression
culinaire, sont universellement employés sur l'ensemble du territoire :
le gingembre frais, la sauce de soja et la ciboule, sans lesquels il
paraîtrait impossible de cuisiner chinois. Leur association dans un mets
apporte une touche et un parfum que l'on peut définir comme typiquement
chinois.
Quant aux procédures et aux techniques, elles sont
aussi communes à toutes les régions, étant entendu que
certaines cuissons et façons ont été plus
développées ici ou là.
Les découpages et l'assaisonnement constituent donc
les deux étapes-clés de la préparation d'un mets avant son
élaboration finale par le feu. Viandes et légumes sont ainsi
prédécoupés, taillés, ciselés et cuits de
manière à pouvoir être saisis, séparés ou
déchirés par le seul recours aux deux instruments dont dispose le
mangeur.
Le mode de découpage choisi pour tel ou tel
ingrédient doit non seulement permettre une parfaite préhension
par les baguettes mais faciliter aussi son assaisonnement. Les goûts sont
ainsi exaltés par les formes choisies. L'un des exemples les plus
frappants de cet accord entre forme et goût est représenté
par les seiches, dont la chair est entaillée de lignes
régulières et croisées qui produisent à la cuisson
sa rétractation, donnant ainsi l'impression de petites fleurs dont
chaque pétale s'imprègne alors parfaitement de sauce.
Tous les modes de cuisson sont pratiqués en Chine, mais
le four n'existe pas à l'échelon domestique.
Les rôtissages relèvent donc de l'exercice
professionnel de la cuisine et sont effectués dans de grands fours
verticaux de forme tronconique. On pourrait dire que la cuisson à la
vapeur tient en Chine la place que les rôtissages ont en Occident.
Cependant, le mode de cuisson, considéré comme
emblématique de la cuisine chinoise par les Chinois eux-mêmes, est
le sauté rapide, chao. Il consiste à faire sauter très
rapidement et à feu très vif les différents
ingrédients d'un plat, le plus souvent les uns après les autres
pour les réunir avec leur assaisonnement avant de les servir. Cette
procédure permet de saisir les petits morceaux qui sont cuits
très superficiellement et conservent de ce fait leur croquant, leur
moelleux et leur saveur.
La cuisine chinoise est d'une remarquable économie en
matière d'outils. De même que tous les découpages
s'effectuent à l'aide d'un seul type de couteau, le sauté rapide,
comme les autres modes de cuisson, requiert l'usage d'un seul instrument, une
espèce de poêle de fer en forme de calotte, connue en Occident
sous le nom cantonais de wok.
Ce que nous devrions appeler « passage par le feu »
plutôt que cuisson joue un rôle capital. En effet, plus que
l'idée de cuire compte celle d'« élaborer au point juste et
souhaité », ce qui
signifie qu'un aliment peut, selon sa nature ou la recette,
ne nécessiter qu'une cuisson très légère ou au
contraire plusieurs cuissons successives destinées à lui apporter
goûts et consistances variées. Ainsi, le cru n'est pas une
catégorie culinaire chinoise. Tout aliment, pour paraître à
table, doit avoir subi une préparation conduisant à son «
élaboration au point juste et souhaité », une cuisson pour
un plat chaud intégré dans un menu, ou une transformation par
macération, saumurage ou conserve s'il s'agit d'un condiment ou d'un
encas.