L'article de Lévi-Strauss37 qui traite du
triangle culinaire est un texte fondateur de toute une série de
recherches, tant en ethnologie qu'en histoire des mentalités. Il est
construit à partir de l'analyse des mythes américains.
Lévi-Strauss construit l'univers de la cuisine sur le modèle du
système complexe du « triangle vocalique ». Trois états
de la nourriture organisent l'univers culinaire : le cru, le cuit, le pourri.
Toute socialisation de la nourriture s'exprime dans ce cadre, toutes les
variations sont possibles à l'intérieur de cette structure.
Pour Lévi-Strauss, la cuisine est une activité
intermédiaire entre la nature et la culture, elle s'insère entre
nature et culture, assurant « leur nécessaire articulation ».
Dans toute société, quelle qu'elle soit, le triangle culinaire
existe, mais ce schéma n'indique que des positions idéales,
grâce à une géométrie parfaite, dans laquelle les
pratiques culinaires de chaque société rendent compte des
modalités, elles-mêmes structurales, d'applications du
système. Rien n'est jamais absolu, ni cru ni cuit ni pourri : «
Pour aucune cuisine, rien n'est simplement cuit, mais doit être cuit de
telle ou telle façon. Pas davantage, il n'existe de cru à
l'état pur, certains aliments seulement peuvent être
consommés, et à la condition d'avoir été
triés, lavés, épluchés ou coupés, sinon
même assaisonnés. La pourriture aussi n'est admise que selon
certaines voies, spontanées ou dirigées. » La
catégorie du cuit se divise elle-même puisque les diverses
modalités de cuisson font apparaître, dans beaucoup de
sociétés, un contraste entre le rôti et le bouilli. La
viande rôtie, exposée au feu, réalise une «
conjonction non médiatisée », alors que la nourriture
bouillie est doublement médiatisée par l'eau et par le
récipient. Selon l'anthropologue, le passage du cru au cuit
s'opère par un processus culturel, alors que les passages du cru (ou du
cuit) au pourri sont des processus naturels. Entre les sommets du triangle, des
situations intermédiaires apparaissent. Par exemple, le rôti
laisse du cru à l'intérieur et reste plus proche de la nature
alors que le bouilli, en éliminant totalement le cru, est plus proche de
la culture.
Nous avons interrogé des étudiants de plusieurs
nationalités en faisant varier la distance géographique et
structurelle à la cuisine française. Nos enquêtés
sont allemands, américains, italiens, chinois, roumains, et
brésiliens. Or il semble évident que ces étudiants
viennent de pays dont les traditions culinaires sont plus ou moins
étrangères et distantes de celles de la France.
Les étudiants américain, italien et allemand
que nous avons interrogé ont des traditions et habitudes culinaires qui
si elles s'éloignent de celles de la France n'en sont pas moins pour
37 Lévi-Strauss, Le Cru et le Cuit , Plon,
1964
autant plus proches que celles des étudiants chinois,
roumain... Nous allons développer l'exemple de la cuisine chinoise en
rappelant quelques procédés de base afin de montrer ce que en
quoi peuvent consister des différences structurelles majeures entre la
France et un autre pays. Puis nous évoquerons les différences
existant entre les goûts alimentaires en Allemagne et en France à
partir de l'ouvrage de J-V Pfirsch38.