Le remaniement des catégories pour
l'étude des habitudes alimentaires des migrants
En ce qui concerne les pratiques des étrangers, la
notion de métissage peut être réutilisée. Il s'agit
ici de proposer un remaniement de la typologie de J-P Corbeau, le sens des
catégories est modifié.
Le métissage imposé
Parler de métissage imposé en ce qui concerne
les pratiques des étudiants étrangers permet de poser
l'idée d'un double registre de leurs pratiques culinaires au minimum et
de garder en mémoire l'hypothèse de contrainte des choix en
situation de migration.
La contrainte première est liée au changement
d'espace social alimentaire qui modifie les conditions d'obtention de certains
produits auxquels l'individu est habitué. Ils deviennent à la
fois plus rares et en conséquence plus chers. De plus, les
étudiants étrangers venus en France pour leurs études
n'ont pas de revenu disponible mis à part des bourses internationales.
Dès lors c'est la contrainte de revenu qui prime dans le choix des
aliments achetés : soit les produits du pays d'origine sont
délaissés au profit d'autres similaires mais moins chers, soit
ils continuent à être achetés mais en moindre grande
quantité. Les étudiants modifient leurs pratiques en s'ouvrant
à de nouveaux produits substituts des produits du pays trop chers. Cette
notion semble tout à fait faire sens dans la mesure où les
étrangers se trouvent face à une
222 J-P Corbeau, op cit
structure d'offre différente de celle de leur pays, qui
les contraint dans leur choix. Ils font des choix alimentaires contraints tant
par leur revenu et par l'offre en produits typiques du pays.
Le métissage non pensé
Nous n'adhérons pas au sens que donne Corbeau au
métissage non pensé. Pour nous, chercher dans les produits du
terroir et les produits fermiers un renouveau des goûts participe au
contraire d'une pensée et d'une réflexivité de son
alimentation. Nous n'entrons pas plus avant dans la discussion de son propos,
qui ne nous intéresse pas dans notre démarche de recherche. Nous
utiliserons la notion de métissage non pensé en un tout autre
sens.
Il s'agit pour nous de désigner par cette expression la
juxtaposition de pratiques alimentaires issues du pays d'origine et des
pratiques culinaires nouvelles qui introduisent au sein de recettes de chez soi
des nouveaux produits, de nouvelles façons de faire ou le passage
à une cuisine à mi chemin entre la France et son pays. Le
métissage non pensé est une pratique pragmatique qui consiste
pour nous en une juxtaposition de différents registres alimentaires,
sans que cela passe par une rhétorique de l'ouverture sur l'autre.
Cette manière de faire la cuisine est sans doute
liée à la mondialisation alimentaire et à l'offre
alimentaire diversifiée que nous connaissons dans nos
supermarchés. Dorénavant se mêlent dans les rayons des
supermarchés différentes influences. On peut aussi faire
l'hypothèse223 que l'ouverture à la découverte
culinaire résulte d'un effet d'âge et peut-être aussi de
génération.
Giovanni s'oppose da volonté de découvrir de
nouveaux produits à son père « Je sais que mon
père est très délicat, il mange seulement des produits
très typiques, à la façon très typique, si tu
changes une petite chose, il ne peut pas manger », de même
Théodora se différencie de sa mère « , en fait
elle est allée en Italie pour un an, elle a totalement
bouleversé, t 'as pas les mêmes plats, je ne sais pas,
peut-être c 'est l 'âge de la personne qui compte aussi.. on a des
habitudes qu 'on veut pas laisser. Mais peut-être moi je suis plus
tolérante ou bien ..je sais pas »
Les enfants sont-ils plus ouverts que les parents aux
découvertes gustatives ? Est-ce l'âge qui fait que l'on accepte
mieux de changer ses pratiques alimentaires ?
Dans les études menées sur les familles
immigrées, on sait que le changement de style alimentaire
pénètre dans la famille par le biais des enfants224
qui sont scolarisés à la cantine.
Le métissage désiré
On garde pour cette catégorie le sens que lui donne J-P
Corbeau, mais elle est ici à une population étudiante dont nous
avons fait l'hypothèse qu'elle était caractérisée
par une néophilie alimentaire. Christina, Giovanni dont nous
dressé les portraits en constituent les exemples les plus
adéquats. Il s'agit des étudiants étrangers dont les pays
d'origine sont les plus proches de la France.
223 Nous l'avons déjà signalé avec les
travaux de Garabuau-Moussaoui, Isabelle «La cuisine des jeunes :
désordre alimentaire, identité générationnelle et
ordre social » in Anthropology of food, 2001, volume 0
224 Myriam Bonfils, Ariane Combes et alii, « Cuisine. Le
métissage du terroir et de la mémoire », News d'Ill.
Magazine d'information régionale, Strasbourg, Centre universitaire
d'enseignement du journalisme, 2000, 9- 12
Pour pleinement rendre compte des situations de migration, il
faudrait pouvoir étudier en détail un groupe d'une
nationalité donnée ou bien s'attacher à l'étude
d'un quartier étranger dans une ville. L'un des prolongements possibles
de ce travail consisterait en une analyse approfondie de la situation
alimentaire des migrants d'origine asiatique de Lyon.
L'immigration chinoise offre dans la ville de Lyon des
possibilités d'études importantes. Les étudiants chinois
sont en effet nombreux dans la ville, mais surtout de par les
possibilités d'approvisionnement qui leur sont offertes, il serait
particulièrement intéressant de regarder de plus près que
nous ne l'avons fait les pratiques culinaires des asiatiques. Elle pourrait
prendre trois formes complémentaires : on pourrait poursuivre l'analyse
des pratiques de mangeurs individuels, de familles et ménages de la
ville, mais également parallèlement étudier la
communauté des commerçants du quartier de la Guillotière
et dans un troisième temps s'intéresser aux restaurants
asiatiques de la ville ou uniquement de ce quartier. Quelles variations des
pratiques culinaires s'y manifeste-t-il ? Qu'est-ce la comparaison des menus
proposés par ces restaurants nous apprend de la variabilité de
l'acte culinaire ? Cela permettrait de réfléchir à ce
qu'est un restaurant asiatique en France ? A travers l'étude approfondie
des menus, de l'organisation du restaurant (l'organisation des tables,
l'agencement des chaises, la décoration du restaurant...), de
l'observation de la devanture, du travail en cuisine... qu'apprend-t-on sur la
représentation de la cuisine asiatique en France ? A Lyon ? On voit que
le travail ici présenté a vocation à être
poursuivi...
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