5) Le goût pour l'innovation culinaire
a) Giovanni : le goût pour la cuisine fran
çaise comme intérêt bien compris
Giovanni est partagé entre son goût de la
nourriture italienne et l'envie de découvrir de nouvelles saveurs, mais
ces deux attitudes sont en réalité commandées par la
volonté de dépenser le moins possible pour l'alimentation.
Le goût pour la cuisine française qu'il
défend doit être compris comme une rationalisation bien comprise
de ses choix alimentaires. Les aliments typiques d'Italie sont chers en France
par rapport à leur coût chez lui, de sorte que le choix de manger
français permet de sortir de l'impasse causée par la
volonté de manger italien de la même manière que chez lui
et l'impossibilité financière de s'offrir les aliments
authentiques. Mais dans les discussions, ce n'est pas cette volonté de
contrôler les dépenses alimentaires qui est mise en avant. Au
contraire, Giovanni manifeste son goût pour les saveurs des autres,
rappelle à qui veut l'entendre qu'il a déjà
séjourné en Allemagne et connaît déjà
beaucoup de recettes allemandes. On ne doit pas sous-estimer la valorisation
liée à cette attitude d'ouverture sur autrui. Giovanni la lie
à son européanisme : pour lui l'Europe offre la chance de pouvoir
circuler librement en Europe et de pouvoir séjourner dans les
états limitrophes de l'Italie. C'est presque normal pour lui que de
goûter à la nourriture française. C'est ainsi que l'on peut
comprendre qu'il se moque d'Abdelbaki qui refuse de goûter d'autres plats
que les plats tunisiens.
Giovanni veut manger « vrai », pendant l'entretien
et tout au long de notre vie en colocation, il répète qu'il ne
peut trouver en France des vrais produits italiens. En France nous n'avons que
des succédanées c'est pourquoi il préfère encore
manger français plutôt que de se contenter de produits italiens
dérivés. A la fois les produits vendus ne sont pas les
mêmes, ils ne sont pas distribués sous le même
conditionnement. « Le gorgonzola, le grana c 'est pas la même
pièce, j'ai l'habitude d'acheter une pièce de 1kg, je le fais
moi-même à la maison. En Italie, y'a des sortes de crème
qui ressemblent à la crème fraîche mais c 'est autre chose,
c 'est moins du fromage, c 'est plus doux et c 'est fait pour les raviolis,
pour les pâtes...en France vous avez que de la crème liquide, la
crème fraîche après vous dites que vous faites des
pâtes à la carbonara mais c 'est pas ça... »
Souvent il met en cause les Français qui croient manger
italien, sans se rendre compte qu'ils mangent italien à la
manière française. « les pâtes avec la
crème fraîche qui ressemble mais c 'est pas vraiment
pareil». On voit ici que la différence réside
dans la nuance, une nuance qui peut être difficile à saisir pour
un Français mais qui existe bel et bien.
Les pâtes ne doivent pas être trop cuites. Pour
lui, les Français quand ils font des pâtes, « se
contentent d 'acheter une sauce et c 'est bon, c 'est pas que tu vas
préparer avant la sauce, après une heure deux heures pour faire
la sauce et après le dernier quart d 'heure tu fais cuire les
pâtes. » Il défend un art de bien faire les pâtes.
Lors de la fête organisée par l'association
des étudiants étrangers de l'Ens, il a avec les
autres italiens de la résidence préparé des pâtes et
une sauce piquante à la tomate. Surtout la qualité des
pâtes importe énormément, s'il ramène des
pâtes d'Italie c'est pour ne pas avoir à acheter des Barilla ou
d'autres marques, il mange des pâtes artisanales seule dignes
d'intérêt pour lui.
A sa manière il est puriste, défend la
qualité des produits italiens, les saveurs et les odeurs distinctes de
celles que l'on trouve en France. Mais il ne prend pas la peine de chercher des
magasins italiens, ce qui l'intéresse plus c'est la pluralité des
influences alimentaires et la découverte de nouvelles denrées. Il
manifeste un goût pour les découvertes alimentaires. Selon ses
dires, il aime tout, il aime goûter « j 'aime bien goûter
la cuisine française, les produits français, c 'est pas la peine
d 'aller chercher toute la ville pour acheter des choses italiens.
»
Il aime emprunter aux différentes cultures des
recettes, il aime montrer qu'il a plus d'une corde alimentaire à son
arc. « Comment aujourd'hui tu pourrais définir ta cuisine ?
Elle est touj ours italienne ? Européenne, oui un peu en Allemagne, un
peu français parce que je suis en France, italien parce que je suis
italien et je suis aussi resté en Espagne comme j 'ai pris un peu l
'habitude de l 'Espagne, comme ça et quand même quand j
'étais en Erasmus il y avait beaucoup d 'étrangers de tout le
monde et comme ça j 'ai appris beaucoup de recettes »
Au cours de ses études il a déjà
passé deux ans à l'étranger, un an en Allemagne, quelques
mois en Espagne et plus de six mois en France. Il maîtrise très
bien les langues parlant couramment l'allemand et le français en plus de
sa langue maternelle. Ses séjours à l'étranger et sa
maîtrise des langues sont cohérents avec sa défense de
l'Europe, de l'ouverture aux autres et à la découverte des
sociétés203. Il pose beaucoup de questions sur les
traditions, les manières de faire des autres pays (la Chine, la France,
la Tunisie, le Brésil, la Russie...) et multiplie les rencontres
amicales. Il fait partie à l'Ens de plusieurs groupes d'amis, de
plusieurs réseaux entre lesquels il partage ses soirées : il est
invité régulièrement par un groupe d'amis
brésiliens, par un groupe de russes, il fréquente
également beaucoup d'italiens et a deux très bons amis tunisiens.
Cette pluralité d'influences dont il aime à se définir se
retrouve au niveau de ses pratiques alimentaires : il aime innover, tester de
nouvelle recettes et emprunter à divers registres. Son registre
alimentaire fourmille d'influences diverses.
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