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L'activité culinaire des étudiants étrangers

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par Frédérique Giraud
Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006
  

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4) Apprendre à cuisiner des aliments inconnus

Au-delà des seuls problèmes d'approvisionnement, il faut analyser la façon dont on fait la cuisine avec des aliments inconnus ou proches de produits familiers. Comment se métamorphosent les recettes originelles ?

199 Brillat-Savarin, Anthelme, Physiologie du goût ou Méditations de gastronomie transcendante, Herman, Paris, 1975, 186 pages.

Mais qu'est-ce que c'est? Et surtout: qu'est-ce qu'on en fait ?

Au rayon fruits et légumes, je me mets en quête de haricots verts. Je sais qu'ici, ils sont 4 fois plus longs que ceux que nous connaissons, alors lorsque je trouve une barquette avec ce qui pourrait ressembler à ces haricots chinois je la mets dans mon caddie sans me poser de question et continue vite vite mes amplettes.

Quelle surprise lorsqu'à la maison, je veux les mettre à cuire... Une fois déroulés de la barquette, ça ne ressemble plus à des haricots verts, y'a rien à équeuter ...Je regarde plus attentivement l'étiquette, elle porte une mention écrite en tout petit et en anglais "Garlic Sprouts" (autrement dit pousses d'ail)

Voici une chronique que l'on peut trouver sur le blog culinaire de Mimine en Chine. Cette petite anecdote permet selon nous d'illustrer parfaitement le genre de problème qui peut se poser à un étranger lorsqu'il essaie de cuisiner des mets nouveaux, comme le souligne le titre « Mais qu 'est-ce que c 'est? Et surtout: qu 'est-ce qu 'on en fait ? ». Cuisiner avec des aliments que l'on ne connaît pas suppose un goût pour l'aventure. Généralement on cherche à cuisiner des aliments goûtés au restaurant ou chez des amis, ou des aliments qu'on a vu préparer par d'autres.

Nous mobilisons dans cette partie une approche soucieuse de reconnaître l'inventivité des individus.

a) La cuisine comme art de faire

Brian Wansink et J. Sobal rappellent dans un article au titre évocateur « Mindless eating. The 200 daily food decisions we overlook »200, que le nombre de choix alimentaires à faire par un individu dans une journée est proche de 200.

Un choix alimentaire repose sur une foule de microdécisions prises pendant chaque repas (je reprends du fromage ou pas ?) ou en dehors (encore un café ? Avec ou sans sucre ?), pendant sa préparation. Si l'enquête avait pour but de mettre en lumière les facteurs qui agissent sur nos comportements alimentaires, afin d'aider les gens qui veulent perdre du poids, et ne nous intéresse pas du tout en cela, nous garderons en mémoire cette idée de décisions du mangeur. Le mangeur n'est pas un être passif, il est créateur et doit sans cesse innover, rompre avec ses habitudes, « faire avec » ce qu'il trouve dans le pays où il a pour un temps élu domicile.

La cuisine regroupe des techniques, des savoir-faire, des astuces, des tours de main des symboliques, un imaginaire. Faire à manger est la résultante d'un ensemble de savoir-faire, stratégies, tactiques, ruses. Cela nécessite une mobilisation de ressources matérielles, techniques, psychologiques. Nous cherchons à mettre en évidence la complexité des stratégies personnelles face à l'acte culinaire.

Luce Girard dans le chapitre consacré à la cuisine201 montre combien chaque repas demande l'invention d'une mini-stratégie de rechange quand manque un ingrédient ou un ustensile. Il faut savoir improviser sans partition, savoir exercer ses capacités combinatoires. Pour elle, entrer en cuisine, manier des aliments fait travailler l'intelligence, une intelligence très ordinaire toute de trouvailles. Faire la cuisine mobilise la mémoire des gestes vus, des consistances, met en éveil une intelligence programmatrice. Comme elle le note, il faut « prévoir, organiser et se fournir ; préparer et servir ; débarrasser, ranger, conserver et nettoyer ». La préparation des repas peut s'étudier comme une chaîne matérielle et temporelle d'activités complexes.

200 Environment and Behaviour, vol. XXXIX, n° 1, janvier 2007

201 Luce Girard, « Faire la Cuisine », In L'invention du quotidien. Habiter, cuisiner, tome 2, Gallimard, Folio Essais, Paris, 1994, 2 13-350

Or l'idée de ce savoir-faire à mettre en oeuvre se pose de manière particulière pour une population d'étrangers en situation de migration. En effet comme nous avons montré que les techniques de préparation culinaires étaient à réapprendre en France lorsqu'on s'était habitué à cuisiner dans son pays, de même le problème se pose également lorsqu'on veut cuisiner des aliments inconnus.

L'étudiant doit s'informer par plusieurs méthodes des modalités de la préparation de l'aliment. La méthode la plus courant consiste à poser des questions à ses amis, à ses colocataires qui informent la personne. Comme l'indique Christina à travers un exemple « La plupart du temps je pose la question à elle [sa colocataire] ou des fois je pose la question dans les brasseries. » Certains étudiants préfèrent comme Anna chercher par eux-mêmes les informations, celle-ci consulte en effet des sites de cuisine sur le net pour connaître les méthodes de préparation. Peu se contentent de regarder les notices d'utilisation sur les emballages des produits même. La plupart du temps rédigés exclusivement en français, ils ne sont pas compris par la personne. Il suffit de fréquenter une épicerie asiatique à Lyon ou une épicerie spécialisée dans les produits des pays de l'Est pour se rendre compte de la difficulté d'une part à choisir un produit parmi tant d'autres qui lui ressemblent puis une fois dans sa cuisine à le préparer. Comment fait-on cuire les graines de soja vert? Doit-on les faire germer préalablement, doit-on les faire tremper dans de l'eau ? Peut-on les cuisiner directement ? Que fait-on avec des châtaignes d'eau, des racines de lotus, du riz gluant aplati ?

Mais cette peur de l'inconnu est également liée à des problèmes plus terre à terre, comment cuisiner ce que l'on ne sait pas cuisiner ? Christina nous explique que « J'écoute plutôt ce que me dit ma colocataire, elle nous a dit de goûter ça ou ça. C'est quelque chose que je goûte, chez des amis ou au restaurant et après je vais le faire moi-même. Je fais des courses avec elle aussi. Mais je vais pas acheter quelque chose que j'ai jamais vu, parce qu'après..tu es embêtée »

On peut parler de la construction en France d'un nouveau répertoire du comestible, dans le sens où sont progressivement intégrés à son style alimentaire de nouveaux aliments, de nouvelles recettes que l'on a appris à faire et à aimer. De ce point de vue, de même que H Becker montre dans Outsiders202 que les néo-fumeurs de marijuana doivent apprendre à aimer les sensations qu'ils découvrent en fumant pour continuer à fumer, on peut aussi affirmer que les étudiants étrangers doivent apprendre à apprécier les produits qu'ils goûtent avant de les intégrer à leur registre alimentaire. Théodora a goûté aux crevettes pour la première fois en France : un de ses colocataires lui a fait goûter, et lui a appris à les préparer. Au début elle n'aimait pas trop l'idée de devoir les décortiquer, d'enlever la tête et les pattes puis seulement de pouvoir la manger. Depuis, elle en a préparé plusieurs fois. De même, Mickaël a appris à faire des quiches et en sert régulièrement à ses amis lorsqu'il reçoit. Généralement l'assimilation de nouvelles pratiques passe par la démonstration et son appropriation par tâtonnements et erreurs. Le contexte social et affectif de la consommation alimentaire joue un rôle prépondérant.

Comme nous l'avons analysé, l'achat de produits étrangers en France et l'achat de produits français demande un apprentis sage. Cela se traduit par une évolution dans les produits achetés. On peut dire qu'il existe des degrés d'intégration des produits français dans les achats quotidiens, qui correspondent à des étapes d'acquisition, des plus courants, jusqu'aux plus spécialisés et éloignés de la culture d'origine. On peut dire qu'un pas est franchi lorsque ce sont les produits les plus spécifiques, à l'odeur et à la texture la plus caractéristique qui sont

202 Becker, Howard, Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance, Métailié, Paris, 1985

consommés. Shumeï témoigne à cet égard d'une acculturation lorsqu'elle consomme lors des prises alimentaires appelées traditionnellement goûters du fromage, très éloigné de la culture chinoise.

Deux des étudiants que nous avons interrogé témoignent d'une attirance particulière pour les découvertes culinaires. Quelles sont les logiques qui poussent à intégrer à son registre alimentaire des recettes nouvelles ? A quels signes repère-t-on un goût pour la cuisine de l'autre ?

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius