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L'activité culinaire des étudiants étrangers

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par Frédérique Giraud
Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006
  

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3) La nécessité de s'approprier les aliments inconnus

Lorsqu'il arrive en France, l'étudiant étranger est confronté à une nouvelle offre alimentaire, parce qu'il trouve dans les rayons des supermarchés et épiceries de la ville des aliments qu'il n'a jamais mangé, ni cuisiné ou même dont il ne connaît pas l'existence, comme en témoigne la citation mise en exergue. Cela signifie donc que ces aliments n'appartiennent pas au style alimentaire du pays, de la région ou de la famille du mangeur étudiant, c'est à dire que celui-ci ne sait pas comment se cuisine l'ingrédient

Pour que les pratiques culinaires de l'Autre soient introduites dans la cuisine du mangeur, Faustine Régnier montre qu'elles doivent être adaptées à sa cuisine, c'est-à-dire à ses goûts et à ses pratiques. Il faut que le mangeur s'approprie les denrées, qu'il sélectionne ce qui est conforme à ses structures culinaires. C'est pourquoi les discours des magazines sur la cuisine exotique témoignent d'un grand souci de montrer que les cuisines étrangères sont proches des pratiques culinaires de la lectrice. Des équivalences entre la cuisine exotique et la cuisine de la lectrice sont établies, ou on expliquera une pratique étrangère par des analogies culinaires. Une revue emploiera par exemple l'expression évangélique à propos du couscous, qui est dit « le pain quotidien d'Afrique du Nord. ».

On remarque le paradoxe de cette modalité d'incorporation des produits étrangers dans ses pratiques culinaires. L'accueil de l'étranger se fait par l'amoindrissement des différences. Il s'agit de rendre familier, conforme à ses habitudes ce qui est étranger de manière à se les approprier. On peut ainsi faire l'hypothèse que les étudiants dont il s'agit d'analyser les pratiques culinaires dans ce travail procèdent de même.

Pour incorporer à ses pratiques de nouveaux aliments et de nouvelles façons de faire la cuisine, un certain contexte relationnel est nécessaire. Les aliments nouveaux doivent être introduits, proposés par des connaissances, c'est à dire médiatisés par le groupe. Lors des entretiens, il était demandé aux étudiants s'il achetait par eux-mêmes des produits qu'ils ne connaissaient pas. La réponse est dans tous les cas négative. Les étudiants essaient peu d'eux-mêmes des produits et on peut aisément comprendre pourquoi. Les emballages sont écrits en français et donc difficiles à comprendre pour quelqu'un qui ne parle pas la langue couramment. L'étudiant risque à ce compte là de ne pas comprendre les conseils d'utilisation.

Sofia notre nouvelle colocataire nous a souvent consulté au début de son séjour pour l'aider à déchiffrer sur les emballages les modes de préparation et de cuisson.

Si le mangeur va rarement de lui-même vers un produit qu'il ne connaît pas, comment un étranger est-il amené à essayer des recettes ? Deux démarches apparaissent prédominantes dans cette incorporation de nouvelles denrées. Les mangeurs doivent avoir goûté aux plats une première fois, que ce soit au restaurant ou chez des amis, avant de vouloir acheter et cuisiner certains produits. « Comment tu fais pour goûter un produit français que tu connais pas ? Tu te ballades et tu prends ce qui te plaît ? J'écoute plutôt ce que me dit ma colocataire française, elle nous a dit de goûter ça ou ça. C'est quelque chose que je goûte par..., chez des amis ou au restaurant et après je vais le faire moi-même. Je fais des courses avec elle aussi. » La personne connue sert d'intermédiaire entre le mangeur novice et l'aliment inconnu. La situation de colocation avec des français favorise les découvertes. Le colocataire français initie aux découvertes alimentaires : il conseille certains plats, aide à les réaliser, les fait goûter.

Il faut donc au mangeur, s'il veut manger avec plaisir, une certaine familiarité avec l'étranger qu'il introduit dans sa cuisine, qu'il va manipuler au travers d'aliments mal connus, qu'il va ingérer ensuite par une recette, elle aussi mal connue, le tout parfois au travers de termes en langue étrangères qui rappellent la distance entre l'Autre et soi-même. Pour que l'étranger soit introduit dans notre cuisine, divers procédés sont mis en oeuvre. On a été étudié précédemment la substitution à laquelle se livre le mangeur étranger entre les produits de son pays d'origine manquant en France et les produits français. Pour ce faire, le mangeur établit des équivalences entre les produits, as simile certains produits étrangers à des produits français (par exemple les épinards d'eau asiatiques peuvent être rapprochés des épinards que l'on mange en France, la ciboule de la ciboulette...).

Deux modalités distinctes d'incorporation de la nourriture étrangère coexistent : pour la cuisine du quotidien, le mangeur étranger choisit des produits proches d'aliments qu'il connaît, en d'autres circonstances, il s'oriente vers des produits beaucoup plus éloignés de sa culture d'origine.

On peut faire l'hypothèse que pour rendre familiers certains produits français le mangeur étranger procède par équivalences et assimilations : il achète de préférence les produits français qui lui rappellent les produits locaux. L'igname peut être remplacé par des topinambours, le manioc par des épinards... Comme le note Théodora « Je sais pas, si je n 'aime pas les champignons je vais pas aller acheter de champignons, même si je les connais, même si je les connais pas, les choses de cette catégorie je vais pas essayer ».Les cuisines étrangères sont recomposées et on y sélectionne ce qui est le plus proche de ses traditions alimentaires et des ses goûts. La cuisine se situe alors dans un entre-deux entre des pratiques culinaires : on garde l'exotisme parce qu'on choisit des aliments inconnus mais on les adapte à sa cuisine pour pouvoir les apprécier.

La découverte des aliments inconnus passe aussi par les aliments les plus typiques du pays, ou qui sont présentés comme les fleurons de la gastronomie : pour la France les cuisses de grenouilles, les escargots, le canard, le foie gras... Shumeï a goûté les cuisses de grenouille avec une amie chinoise parce qu'en Chine déjà à Shanghaï elle en avait entendue parler, Giovanni attendait d'être en France pour faire du canard. Il avait goûté cela dans un restaurant en Italie et en France a attendu une occasion festive (l'anniversaire de sa petite amie) pour s'atteler à la préparation d'un canard et d'une gelée à l'orange. Les cuisines sont réduites au plus « typique », convoquées à des saisons et à des occasions bien déterminées. Par ce travail de réduction, de sélection et de transformation, la découverte culinaire consiste en une

codification des cuisines étrangères, que l'on transforme afin d'y retrouver des produits et des plats familiers.

La consommation de ces aliments très différents des aliments traditionnellement consommés a lieu en certaines circonstances : il faut être dans un contexte propice aux innovations culinaires. Généralement on ne fait pas ces découvertes culinaires seul : on les réserve pour des occasions où l'on invite des amis à manger.

Plus, chacun des mangeurs se construit sa représentation de ce qui fait la spécificité du pays où il séjourne, à l'image de ce qu'il y a goûté et qu'il ne pourra plus retrouver ailleurs. Pour Théodora, les crevettes et la crème de poireau représentent la France, pour Shumeï ce sont les fromages, pour Mickaël ce sont le fromage, le vin, la quiche lorraine et la crème brûlée, pour Giovanni et Tsu Tsu Tuï c'est le canard, pour Christina la crème brûlée, la crème de châtaigne et le roquefort... Chacune des personnes que nous avons interrogées valorise dans le pays des aliments qu'elle y goûté et aimé. Elle sélectionne ce qui correspond le mieux à son patrimoine et ses habitudes culinaires.

Mais ces pratiques culinaires étrangères doivent également rester suffisamment différentes et éloignées de ses habitudes pour être appréciées : l'exotisme culinaire est aussi une reconnaissance de la différence. Il repose sur le charme de l'insolite et l'inattendu des saveurs, des couleurs et des modes de cuisson.

Christina adore manger au restaurant et découvrir à chaque fois de nouveaux plats. Lorsqu'un plat lui plait elle demande au serveur la recette

Ce que cette confrontation à des aliments nouveaux met en évidence c'est que les mangeurs cherchent préalablement à leur préparation à donner du sens et une valeur à leurs nourritures, et n'acceptent pas passivement les consignes de préparation. Les aliments doivent être médiatisés, incorporés, bricolés en transitant par des territoires ou réseaux d'individus proches. Au départ, les aliments nouveaux sont considérés avec suspicion, mettant en jeu la tendance première du mangeur à la néophobie alimentaire. La néophobie alimentaire désigne la réticence d'un individu à goûter un aliment nouveau, elle est soutenue par une angoisse d'incorporation à la fois rationnelle et magique comme nous l'avons montré précédemment.

« On ne mange rien sans le sentir avec plus ou moins de réflexion ; et pour les aliments inconnus, le nez fait toujours fonction de sentinelle avancée, qui crie : qui va là ? » écrit A Brillat-Savarin199. Nous avons essayé de montrer en quoi le sentiment de confort et de satisfaction associé à sa nourriture familière, qui s'illustre dans ce que l'on appelle le conservatisme culinaire étudié chez Adbelbaki et Tsu Tsu Tuï est extrêmement important. Le rejet fréquent de la cuisine étrangère est sans doute le résultat à la fois de la crainte devant la composition d'aliments inconnus, de la répulsion (dégoût) envers la nature de ces aliments, et du fait qu'ils ont été préparés par un « autre » pour le moins étrange et inconnu et lui sont associés.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci