2) « L'exotisme culinaire » : accueillir
l'étranger dans sa cuisine
A partir de l'analyse d'un corpus de recettes tirées de
la presse féminine entre les années 1930 et la fin des
années 1990197, Faustine Régnier dans L 'exotisme
culinaire198 propose d'analyser la façon dont on
accueille, dans sa cuisine, l'étranger et ses pratiques culinaires, et
d'approcher plus précisément l'exotisme - pris ici dans
l'acception large de la notion. Est exotique ce qui est étranger, ce qui
n'appartient pas à la nation ou à la culture de
référence. L'« exotique » s'oppose donc à «
indigène » ou à « autochtone ». Cet
étranger est généralement lointain, le plus souvent en
provenance de « régions chaudes ».
Comme le montre F. Régnier, l'introduction d'aliments
inconnus ou de nouveaux modes de préparation culinaires dans sa cuisine
ne va pas de soi : elle peut susciter une forme de crainte, car il s'agit
d'incorporer l'Autre. Or nous l'avons vu à la base du patrimoine
gastronomique de chaque personne réside un partage entre le comestible
et le non comestible
Les raisons de l'engouement pour les cuisines de l'ailleurs
sont nombreuses : l'exotisme permet de varier le quotidien, de consommer des
produits ou des plats conçus comme bons pour la santé car on
prête à certains produits et à certaines cuisines exotiques
d'importantes vertus thérapeutiques, l'attrait pour l'exotisme est aussi
la manifestation d'un goût pour le dépaysement : les saveurs
exotiques font voyager celui qui les consomme.
Pour être consommée, l'alimentation exotique doit
être valorisée, en tant que rupture, en tant que
dépaysement. C'est son caractère exceptionnel et différent
du quotidien qui lui permet d'acquérir un statut valorisé de
variation. Mais cette diversité n'empêche pas une
intégration progressive de la consommation exotique dans le
quotidien.
Cette étude nous intéresse parce qu'elle offre une
image des modalités par lesquelles une personne intègre à
son patrimoine culinaire de nouvelles formes culinaires : de nouveaux
197 La recherche s'est fondée sur un corpus de 9758
recettes de cuisine parues dans quatre journaux de la presse féminine,
Marie Claire et Modes et Travaux pour la France, Brigitte
et Burda pour l'Allemagne, choisies en raison de leur
ancienneté, de leurs forts tirages et de leurs différences.
198 Régnier, Faustine, L'exotisme culinaire. Essai sur
les Saveurs de l'autre, Le lien social, Paris, Maison des Sciences de
l'Homme, Puf, 2004
ingrédients, de nouvelles techniques de cuisson, de
nouvelles recettes. Il s'agit d'analyser l'acceptation de nouveaux produits et
l'évolution des préférences alimentaires et gustatives. Il
faut étudier le mécanisme par lequel l'aliment devient
accepté et fait partie du corpus alimentaire de la personne. Nous
renversons l'angle d'approche puisque nous nous intéressons à la
manière dont les étrangers en France sont amenés à
incorporer l'autre dans leur cuisine, à la manière dont ils
intègrent à leurs modes de faire de nouveaux ingrédients.
L'autre différence est que nous ne nous situons pas
nécessairement ici comme c'est le cas pour la cuisine exotique dans le
ludique et le choisi. Les changements alimentaires des migrants ne
répondent pas toujours à une volonté de goûter et de
connaître les aliments de l'autre. L'approvisionnement étant rendu
difficile du fait de l'éloignement avec son pays, les migrants sont
obligés de goûter faute de trouver leurs aliments.
Dans le paragraphe suivant nous allons essayer de mettre en
évidence ce en quoi consiste le fait pour des étrangers de
goûter à de nouveaux aliments. Cela pose un ensemble de questions
à la fois de l'ordre de l'imaginaire et d'ordre technique et pratique.
Comment accepte-t-on des aliments inconnus dans son corpus de recettes ?
Comment s'intègrent-ils au registre du comestible ? Comment cuisiner
avec des aliments inconnus ?
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