a) Des plats typiques, des sensations authentiques
La plupart des personnes interrogées emploient le terme
typique pour qualifier leurs pratiques culinaires, précisément
pour comparer leurs pratiques culinaires en France et chez eux. Ils
développent face au questionnement sociologique, mais également
par rapport à leur famille et amis une rhétorique pour parler de
leurs techniques et pratiques, le plat est-il typique ou non par rapport aux
préparations du pays que l'on a l'habitude de faire et de manger ? Cette
rhétorique leur permet d'évaluer et de comparer
systématiquement leurs pratiques entre elles, en opposant un avant au
pays et un maintenant en France (c'est le cas de Shumeï qui classe toutes
ses pratiques selon qu'elles sont typiques ou non).
Un plat typique pourrait être défini comme un
plat qui est le plus proche possible du plat créé dans le pays
d'origine, réalisé souvent dans le pays, dans la cuisine
quotidienne. Plus il serait reconnu par la famille de l'étudiant comme
appartenant au registre alimentaire spécifique du pays. La
catégorisation typique/non typique permet aussi aux étudiants de
différencier leurs pratiques en France. C'est lorsque les
étrangers mangent en compagnie d'amis que sont réalisés
les plats les plus typiques comme nous le rappellent ces propos de Tsu Tsu
Tuï. « Estce que tu as déjà invité des
chinois à manger chez toi ? Euh, j 'ai chez moi non, mais souvent euh..
en week-end plusieurs chinoises va ensemble manger. Dans ce cas-là vous
préparez quoi à manger ? On fait la cuisine typiquement chinoise
et plus compliquée. »
En effet ces plats demandent un effort, une réflexion
et une organisation supplémentaire comme le note Théodora.
« Sur une semaine combien de fois tu prends un plat roumain ? Maximum
quatre fois. Ça demande plus de temps pour choisir et il faut plus
réfléchir »
Il faut d'abord chercher les ingrédients typiques dans
les magasins, ou réfléchir aux autres produits que l'on pourrait
utiliser en remplacement. Tsu Tsu Tuï remarque que « faire
vraiment les plats chinois ça fait beaucoup de temps et je n 'ai pas
»
Les plats simples demandant peu de préparation sont
aisément reproductibles, les autres requérant plus de technique
et de savoir-faire sont repoussés à des occasions
particulières, notamment lorsqu'on se rencontre en groupe. Ensemble on
peut s'autoriser à faire des plats plus compliqués, chacun
apportant les ingrédients typiques. « parce que quand on fait
la cuisine ensemble on va apporter chacun, les autres « puient »
acheter des épices (dit sur un ton interrogatif), plusieurs choses et on
a beaucoup de matériaux, pour faire ». Préparer
ensemble permet de résoudre des problèmes d'approvisionnement
plus facilement. C'est certainement ce qui explique que les étudiants
chinois fas sent souvent leurs achats ensemble dans les magasins asiatiques.
Etant donné le coût des produits en France relativement à
la Chine, on peut supposer que en faisant les courses ensemble, les
étudiants partagent les achats et répartissent le coût des
produits rares et très spécifiques.
A qui s 'adresse la référence à la
typicité d 'un plat ?
Si l'adjectif qualificatif typique permet à
l'étudiant de comparer ses pratiques culinaires chez lui et en France,
il semble logique de dire que la référence à la
typicité se fasse pour l'individu même. Par l'usage de cette
qualification, l'étudiant classe ses pratiques des plus proches du pays
d'origine aux plus éloignées, des plus chinoises par exemple aux
plus françaises. Le premier rôle de la notion de typicité
est donc pour soi-même d'établir des hiérarchisations entre
ses propres pratiques.
Par ailleurs, elle permet de parler de ses pratiques à
ses parents et amis, de se comparer aux autres. Shumeï pense que ses
pratiques culinaires sont beaucoup moins « typiques » que celles des
autres chinois, le terme lui permet face au sociologue de hiérarchiser
ses pratiques.
De plus, la référence à la
typicité des plats fait sens lorsque l'étudiant fait goûter
les plats à des français ou des personnes d'autres
nationalités. Il s'agit d'informer l'autre sur ce qu'il mange et
d'inscrire en négatif sa propre identité. Comme il a
été écrit précédemment, on n'est pas
Japonais parce que l'on mange du poisson cru avec la sauce ce soja, mais parce
que tous les autres ne mangent pas comme eux. C'est la cuisine de «
l'autre » qui nous conforte dans notre appartenance au
groupe185.
Pour ces personnes, la volonté de présenter des
plats typiques est ambiguë. Le lecteur se rappellera peut-être le
cas de Giovanni qui veut faire goûter des plats typiques, mais qui
accommode ses plats à ce qu'il pense être les goûts
français. Peut-être l'explication réside-telle dans
l'idée que chacun se fait de la perméabilité de sa culture
culinaire. Pour lui, le plat typique est réservé aux Italiens,
les personnes d'autres nationalités n'aimeraient sûrement pas un
plat de pâtes préparé exactement comme en Italie. Giovanni
offre donc des plats proches des plats italiens, mais non équivalents,
des plats que des Français pourront aimer, un plat adapté
à ce qu'on estime être leur goût.
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