3) Continuum alimentaire et typicité des
préparations culinaires
Si la volonté de maintenir ses habitudes alimentaires
en France est la même chez ces deux enquêtés, les
stratégies adoptées et les manières de faire sont
différentes. Le continuum alimentaire est défini par M
Calvo184 comme « la permanence après l'arrivée
dans la nouvelle société d'un style alimentaire semblable
à celui que pratiquait le groupe avant son déplacement »
n'est pas homogène et se présente sous une grande
variété de formes.
La continuité alimentaire chez Tsu Tsu Tuï se
manifeste par la réalisation des mêmes plats, il est global,
régulier. Chez Abdelbaki, on a l'impression que la touche tunisienne est
liée à l'ajout d'épices et de piment, mais que le contenu
en lui-même des plats importe moins que pour Tsu Tsu Tuï, qui aime
elle des saveurs très particulières.
182 Hubert, Annie, « Cuisine et politique, le plat national
existe-t-il? », Revue des sciences sociales, N°27, p8-11.
183 Crenn, Chantal, « Modes de consommation des ouvriers
agricoles originaire du Maroc installés dans la région de Sainte
Foy-La-Grande en Libournais (Gironde) », Anthropology of food,
2001
184 Manuel Calvo, « Migration et alimentation » in
Cahiers de sociologie économique et culturelle n° 4, p.
77.p 52-89.
Mais est-on tenu de refaire à l'identique les plats que
l'on garde en mémoire ? Postuler qu'il existe un continuum alimentaire
ne suppose pas qu'il y ait une parfaite comparabilité des pratiques. Les
recettes sont touj ours adaptées, au ajoute un ingrédient ou on
en lève un... Aux yeux des enquêtés ces
interprétations ne dénaturent pas les plats originels. C'est
comme cela qu'on doit comprendre l'affirmation de continuité des
pratiques culinaires entre les deux pays.
Le continuum alimentaire se caractérise par la
sélection effectuée au sein du corpus originel de recettes que
l'on conserve. Certaines pratiques et produits sont conservés tels
quels, d'autres sont remodelés et d'autres sont délaissés
parce que trop contraignants à mettre en oeuvre en France. Un choix et
une sélection s'imposent en faveur de certains plats ou saveurs
particulièrement aimés ou faciles à faire. E Calvo postule
l'existence d'un principe de qualité qui permettrait de
sélectionner un produit ou une pratique.
Le continuum alimentaire se caractérise par sa
fréquence et la diversité de ses manifestations. Ainsi toute
période n'est pas propice à la confection de plats typiques, tout
contexte relationnel ne motive pas la personne à reproduire des
pratiques auxquelles elle rattache ses souvenirs.
Le continuum alimentaire peut être plus ou moins
fréquent et régulier, de ce point de vue Shumeï se
différencie de Tsu Tsu Tuï, elle a besoin d'être soutenue,
accompagnée pour reproduire des plats chinois. Pour Shumeï, les
plats typiques marquent des périodes particulières, tandis que
Tsu Tsu Tuï les pratiques culinaires chinoises sont inscrites dans le
quotidien. Les styles alimentaires des migrants sont définis en fonction
des remaniements, des éléments de continuité, de
survivance, de résistance. Chaque style alimentaire est le
résultat d'un équilibre partiel et momentané.
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