L'activité culinaire des étudiants étrangers( Télécharger le fichier original )par Frédérique Giraud Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006 |
a) « Sherlock Holmes à Carrefour127 » en ChinePour les français qui habitent loin de chez Carrefour, s'y rendre relève de l'expédition. Il faut traverser une bonne partie de la ville, changer plusieurs fois de bus ou même lorsque les lignes ne sont pas construites ou que l'on habite trop loin des lignes s'y rendre en taxi. « Pour les produits d'importations, comme le fromage, les pim's, toblerone, salami, saucisson sec... Bon, bon, j'arrête la torture, y'a le Jialefu (Carrefour) de Gubei !! C'est le paradis ! Le seul problème (mis-à part les prix), c 'est que la station existe mais n 'est pas encore ouverte, donc taxi...Je viens d'arriver il y a à peine 2 mois et je ressens aussi le "mal de la nourriture" ! (J'avoue donc m 'être jetée sur le Nutella...) »128 Cela exige donc un investissement financier et un investissement en temps. Il faut donc pour comprendre ce déplacement chez Carrefour que les personnes désirent ardemment goûter à nouveau à des produits français. Nous empruntons ce titre à une chronique de Mimine sur son blog. Le titre permet d'exprimer sous une forme ludique que le repérage spatial dans une grande surface que l'on ne connaît pas est difficile. Nous en faisons également l'expérience en France dans les épiceries 127 http://mimine.uniterre.com/9453/Sherlock+Holmes+%E0+Carrefour.html, accès le 12 avril 2007 128 http://www.celine-en-chine.com/article-1147090-6.html, asiatiques, il faut donc s'imaginer perdu dans une grande surface dans laquelle les panneaux et différentes signalitiques sont écrits dans une autre langue que notre langue maternelle. Mimine raconte avec force détails et beaucoup d'humour ce qu'implique pour un français de se rendre pour la première fois chez Carrefour129. Il faut se repérer dans le dédale des rayons pour trouver le rayon des produits importés, apprendre à demander ce que l'on cherche aux vendeurs, et faire le deuil de ses grands espoirs devant l'étroitesse du rayon. « Je me suis retrouvée devant un tout petit rayon avec :
Au prix de plusieurs massages, d'origines variés : France, Australie, Japon, Italie, Allemagne,... » b) Apprendre à reconnaître et à choisir les alimentsEn raison de l'importance de l'alimentation, l'étape de l'approvisionnement est à gérer avec dextérité par les étrangers. C'est pourquoi, au vu des difficultés que nous mettrons à jour, nous parlerons de stratégie pour rendre compte de la difficulté et des aménagements tactiques, techniques que nécessite le fait de faire les courses. Nous définissons le terme de stratégie comme un ensemble cohérent de décisions que l'on se propose de prendre face aux diverses éventualités qui s'offrent. Le premier pas dans la stratégie d'approvisionnement consiste à acquérir la maîtrise du vocabulaire de la langue du pays, notamment la taxinomie alimentaire afin de pouvoir repérer les aliments désirés dans les étalages, ou à défaut de pouvoir les demander à un vendeur. Il faut donc apprendre à nommer les aliments avec le mot juste, de façon à ce que l'interlocuteur puisse comprendre et accéder à la demande. Le second pas dans la démarche d'approvisionnement consiste à apprendre à faire les courses dans un magasin étranger, dont on ne connaît nécessairement pas l'agencement spatial. De plus, en tant qu'étranger, l'étudiant ne connaît pas l'offre alimentaire du supermarché : il ne sait pas quels sont les produits qu'il peut raisonnablement espérer trouver, ni à quel prix, il ne maîtrise pas la qualité des produits et la gamme de ces derniers. Le moment de faire les courses peut donc être décrit comme un pari : un pari sur la qualité des aliments qu'il achète parce qu'ils ressemblent à des produits connus ou qu'il croit reconnaître, un pari sur des aliments qu'il n'a jamais goûté et qu'il va tester faute de retrouver l'ensemble de ce qu'il était venu chercher. Il n'est pas rare que le premier passage en magasin se solde par un très petit nombre d'achats, l'étranger étant uniquement venu chercher les aliments qu'il connaissait. Ainsi Théodora, étudiante roumaine me confie que les premiers jours de son arrivée en France, elle ne cherchait dans les magasins que des produits connus, reconnus. Elle n'achetait alors que des aliments de base et ne se risquait pas à acheter des produits inconnus. Cette attitude de recherche des aliments connus reste assez présente. Théodora conserve encore plusieurs mois après son arrivée en France le réflexe de chercher des produits de son pays. Dans chaque 129 Nous renvoyons à la lecture à l'annexe intitulée Sherlock Holmes à Carrefour, pour la lecture dans son intégralité de cette chronique. nouveau magasin, elle garde l'espoir de pouvoir trouver une denrée rare et de fait ardemment désirée, en l'occurrence une pièce de viande particulière. Faire les courses nécessite donc un apprentissage de la résignation à ne pas trouver les produits connus et l'apprentis sage progressif de la qualité des aliments que l'on trouve, qui peut être décrit dans les termes de la confiance. Le mangeur étranger doit se résigner à faire confiance progressivement aux aliments trouvés, à défaut de ne pouvoir manger. Il existe donc une véritable compétence à faire les courses. Pour Dominique Desjeux130 « les courses sont des analyseurs de l'apprentissage social lié à la cuisine, c'est à dire d'une compétence spécifique à acquérir pour bien choisir les produits ». Chacun va en priorité vers les denrées dont il connaît l'usage, le goût et la représentation, puis s'autorise progressivement des écarts par rapport aux produits connus. |
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