II. Entre supermarchés et magasins
spécialisés: l'apprentissage du choix des produits
1) L' approvisionnement nécessite un
apprentissage
L'approvisionnement demande une période
d'apprentissage. En effet, il nécessite un changement adaptatif
puisqu'il s'agit d'apprendre les éléments d'un nouveau classement
pour pouvoir se procurer les denrées alimentaires dans un contexte
socio-économique plus ou moins accessible.
L'approvisionnement requiert une adaptation à une
nouvelle taxinomie et à une nouvelle géographie des
denrées alimentaires qu'il est nécessaire de maîtriser, si
l'on veut continuer à manger dans le pays d'accueil de la même
manière que dans le pays d'origine. De façon
générale, il faut apprendre la géographie spatiale de
l'offre alimentaire de la ville, les rythmes saisonniers pour l'acquisition de
certains produits, mais également les règles sociales de
l'échange marchand dans les magasins généraux et
spécialisés, on peut en effet penser que des relations
particulières s'établissent dans les magasins asiatiques entre
les étudiants asiatiques et les marchands.
Des observations répétées dans le
Supermarché Asie de la rue Passet à Lyon nous font
penser que les relations avec les marchands sont cordiales et se font sur le
mode de la connivence. On
On ne se situe dans le cas qui nous préoccupe pas non
plus dans des commerce communautaires que Ma Mung « distribution de
produits spécifiques à des membres de la communauté dont
est issue le commerçant Selon le définition de Ma Mung [Ma Mung,
E « L'expansion du commerce ethnique : Asiatiques et Maghrébins
dans la région parisienne », Revue Européenne des
Migrations Internationales, vol 8, p 105- 133] définit comme la
« distribution de produits spécifiques à des membres de la
communauté dont est issue le commerçant.
126 Faustine Régnier distingue quatre pôles
différents de l'exotisme : des îles (très en vogue dans les
années 30, méditerranéen (Italie et Espagne) en vogue dans
les années 80-90, un exotisme du proche de l'Europe de l'Est, un
exotisme asiatique qui a aujourd'hui la côte. A chacun de ces pôles
de l'exotisme sont rattachés des saveurs : ainsi en France on rattache
à l'exotisme italien une cuisine élaborée, gastronomique,
généralement salée.
Régnier, Faustine, L 'exotisme culinaire. Essai sur
les Saveurs de l'autre, Paris: Maison des Sciences de l'Homme, Puf
Le lien social 2004.
n'observe pas le même type d'interactions entre les
vendeurs et les acheteurs selon que ceuxci sont asiatiques ou occidentaux. Nous
n'avons pas poussé nos observations assez loin pour pouvoir dire quelque
chose de précis à ce propos, par ailleurs notre
méconnaissance de la langue chinoise ne nous permettait pas
d'appréhender de façon efficiente (!) les interactions verbales
entre acheteurs et vendeurs.
Nous avons plus haut montré combien la nature de l'acte
alimentaire le rendait particulier. La nature même de l'acte alimentaire
et de l'ingestion qu'elle nécessite, l'incorporation d'un aliment
extérieur à soi qui devient soi par ce principe même
d'ingestion détermine à chaque phase de l'acte alimentaire un
« pari vital ».
Les étudiants étrangers sont confrontés
à une modification des aliments disponibles, ce qui met en jeu la
question de la comestibilité. Nous savons que chaque groupe social
possède un cadre de références guidant l'élection
de ses aliments. Avec la migration, ces faits peuvent prendre un relief
particulier. Les individus portent en eux une catégorisation de produits
comestibles et la mettent en pratique quotidiennement ne trouvant pas les
mêmes aliments dans les rayons des supermarchés
fréquentés. L'étudiant français en Chine ou
l'étudiant chinois en France sont parmi les étudiants
étranges les plus dépaysés, l'offre alimentaire n'est pas
du tout la même d'un pays à l'autre.
L'arrivée en France peut aussi pour certains consister
en un apprentissage de la responsabilité des achats alimentaires. Pour
certains étudiants, plus généralement les
enquêtés de sexe masculin, l'arrivée en France
coïncide aussi avec la première réalisation des courses
alimentaires. La difficulté d'être dans un pays étranger se
double donc des premières négociations avec soi de la
réalisation d'un « plein ». L'étudiant se confronte
donc au difficile choix dans les rayons, à la hiérarchisation de
ses besoin, selon le budget qu'il s'accorde, mais aussi de façon plus
pragmatique ce qu'il peut porter raisonnablement du magasin jusqu'à chez
lui à la force de ses bras.
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