2) Les produits du pays d'origine sont-ils disponibles en
France ?
En ce qui concerne l'approvisionnement, Emmanuel
Calvo121 distingue deux situations possibles : soit les aliments du
pays d'origine du migrant appartiennent aussi bien au mode alimentaire du
groupe qu'à la société d'insertion dans ce cas-là
l'approvisionnement ne revêt pas une importance particulière, soit
les aliments sont difficilement trouvables dans le pays hôte.
C'est lorsque les produits alimentaires recherchés ne
sont pas aisément accessibles, que l'approvisionnement devient une
étape essentielle et décisive de la préparation culinaire.
Elle demande une période d'apprentissage selon le degré
d'éloignement culturel de la société du migrant à
la société d'accueil et peut représenter un obstacle plus
ou moins grand à la reconstitution des recettes de son pays. Le plus
souvent, toutes les denrées ne peuvent être trouvées
facilement. Comment faire ses courses à l'étranger ? Quelles
attitudes adopter dans des supermarchés dont on ne maîtrise pas la
langue ? Faut-il acheter ou non des produits que l'on ne connaît pas, et
dont on ne sait pas bien à quoi ils servent ?
Jean-Pierre Hassoun et Anne Raulin122 se demandent
« Que reste-t-il de la notion d'exotisme alimentaire à
l'époque de ce que certains appellent le « village
planétaire » ? Vivons-nous dans un état culinaire
indifférencié ? Leurs observations ethnographiques dans des
grandes et moyennes surfaces de la région parisienne leur permettent de
conclure à un certain affadissement de la notion d'exotisme, du moins
dans ces magasins123. En effet chez Carrefour, Mammouth et autres
Intermarché qui dessinent pour une large part le paysage alimentaire de
la France des années 90, l'industrialisation, la production de masse, et
la mondialisation des relations commerciales ont conduit à standardiser
et à rapprocher des produits qui, hier, étaient exotiques, rares
et difficiles d'accès. Dans ce mouvement, l'exotisme alimentaire a
tendance, si ce n'est à disparaître, tout au moins à
nettement s'affaiblir ou s'affadir. Les produits exotiques les plus
répandus tels que le parmesan, le mascarpone, les nems, les tapas, les
chipolatas, les merguez, la purée de pois chiche... sont aisément
accessibles dans les supermarchés traditionnels. Mais ce qui est vrai
pour certains éléments de la cuisine asiatique et de la cuisine
du Maghreb l'est beaucoup moins en ce qui concerne la cuisine roumaine ou
brésilienne ou encore des produits asiatiques... moins répandus.
Les produits spécifiques à certaines régions ne se
trouvent pas en France.
Une autre difficulté surgit pour les groupes tenus
à l'observance stricte de prescriptions religieuses qui doivent se
procurer les aliments là où l'offre en garantit la qualité
culturelle. Pour ces produits qui doivent être présentés
conformément aux rites établis par les règles culturelles
(viandes halal et cachère), ou qui doivent résulter d'une
préparation aboutissant à
121 Emmanuel Calvo, « Migration et alimentation »,
Cahiers de sociologie économique et culturelle, n°4,
décembre 1985
122 Jean-Pierre Hassoun et Anne Raulin, « Homo exoticus
», Mille et une bouches. Cuisines et identités culturelles,
Collection Autrement, Paris, 1995
123 Il apparaît en effet que les lieux de distribution
fréquentés par les couches supérieures et/ou moyennes,
tels que Monoprix ou encore L'épicier de l'exotique. Bernard
Broquière, Le Comptoir colonial, adoptent des classements
différenciés pour les produits. Par-delà l'offre
habituelle du rayon alimentaire, l'exotisme peut se repérer dans de
nombreux endroits par la présence de rayonnages qui classent l'offre
alimentaire par nationalités
des présentations spécifiques,
l'approvisionnement comporte un degré supplémentaire de
difficulté. Il ne s'agit en effet plus seulement de retrouver un produit
identique ou au mieux équivalent puisqu'il faut qu'il soit
préparé selon certaines règles.
L'approvisionnement en France en produits spécifiques
d'un pays étranger dépend de l'existence d'une offre en produits
alimentaires étrangers et de leur facilité d'accès.
Celle-ci est liée à la structuration des groupes migrants dans le
pays et de l'histoire des relations du groupe avec le pays ou la commune, de
l'existence de circuits de production et de distribution, ainsi que de leur
efficience. S'ajoute alors à la difficulté matérielle de
l'accès aux marchandises, le coût de celles-ci. Nécessitant
des techniques difficiles à mettre en oeuvre, les produits sont rares et
chers, le circuit de ravitaillement n'est constitué que de quelques
points de vente.
L'étudiant doit se familiariser à une nouvelle
géographie alimentaire. Il faut distinguer trois sources
différentes d'approvisionnement : les petites et moyennes surfaces
françaises (tels que Atac, Casino, Ed, Lidl, Carrefour), les magasins
spécialisés (magasins asiatiques, marchés de fruits et
légumes à identité étrangère
dominante124), et enfin une source de nature différente le
don. Le don n'est pas une source quantitativement importante d'aliments, il se
matérialise sous différentes formes : le colis des proches ou de
la famille reçu sur place, le don des autres personnes de sa
nationalité à l'étranger. Une autre stratégie
d'approvisionnement, mentionnée par E Calvo, pourrait être
distinguée, mais elle n'apparaît pas chez des étudiants,
c'est celle qui consiste à cultiver son propre jardin potager, pour
avoir à disposition et à un coût moindre les denrées
de base de son alimentation.
Les modes d'approvisionnement sont distincts selon les
produits. Si les gens se tournent vers les grandes surfaces pour faire le gros
plein des courses, ils se tournent régulièrement vers les petits
commerçants « ethniques » pour l'achat de certains produits :
l'achat de la harissa, du piment, c'est à dire des produits les plus
spécifiques.
Les stratégies mises en oeuvre par les groupes pour se
procurer l'ensemble des denrées alimentaires dépendent de
l'insertion du groupe dans la société et plus
particulièrement dans un réseau de relations. Suivant leurs
nationalités, les étudiants étrangers sont
inégalement bien lotis quant à l'existence ou non de magasins
spécialisés. Les étudiants asiatiques et maghrébins
sont de ce point de vue extrêmement bien lotis à Lyon. Ils
disposent d'un grand nombre d'épiceries
spécialisées125, où ils peuvent trouver
l'essentiel des produits recherchés.
124 Notre enquête se déroulant à Lyon,
nous faisons ici référence en particulier au quartier de la
Guillotière et notamment à la rue Passet dans le 7ème
arrondissement. Situé sur la rive gauche du Rhône ce
quartier Asiatique s'inscrit dans un rectangle dont les quatre
côtés sont respectivement, la rue Basse Combalot, la rue
d'Aguesseau, la place Raspail et la rue de Marseille. On y trouve
essentiellement des épiceries dont les étalages offrent une
grande variété de produits d'origine avec des commerçants
et des clients qui parlent le plus souvent le chinois, mais également
trois ou quatre boutiques de vêtements traditionnels, un artisan chinois
spécialiste en bâtiments et des restaurants chinois,
coréens assez nombreux.
125 On pourrait aussi parler de magasins exotique, mais de
façon stricte, on définit comme exotique l'établissement
distribuant des produits spécifiques à une population dont n'est
pas issu le commerçant. Or ce n'est pas le cas pour les magasins
asiatiques ou tunisiens par exemple. Par ailleurs, nous ne pourrions faire
rentrer Carrefour dans cette catégorie si nous utilisions le vocable
exotique.
Ce qui caractérise ces lieux, ce n'est pas la
présence de produits exotiques, on en trouve aussi à La
Grande Epicerie de Paris ou Monoprix, Carrefour c'est leur
omniprésence. Remarquons que l'appellation exotique est
réservée à l'alimentaire.
En revanche les étudiants brésiliens, roumains
ne peuvent à Lyon se fournir en produits de leur pays, à moins de
chercher dans tous les magasins étrangers au cas où les produits
s'y trouveraient. Ainsi, un ou deux produits brésiliens peuvent se
trouver dans les magasins africains. Par contre, les produits roumains ne sont
pas disponibles même dans les épiceries spécialisées
dans les produits des pays de l'est. La situation des étudiants
italiens, américain et allemands est encore autre. C'est la trop grande
proximité de ces pays avec la France qui explique l'absence des produits
de ces pays parmi les produits considérés et vendus comme
exotiques en France126. Les denrées qui sont
considérées comme exotiques en France doivent dépayser,
inviter au voyage. On peut imaginer que le mangeur français ne res sent
pas le besoin de manger du gorgonzola de montagne, très riche en
goût alors qu'il a déjà à sa disposition un grand
nombre de fromages, c'est pourquoi cette variété du produit n'est
pas importée et manque en France. L'exotisme italien en France est
très ancien puisqu'on le trouve dès les années 1920, il ne
provient au début que d'une Italie conçue dans sa
globalité. Au fur et à mesure, il a été
prêté attention à la cuisine des différentes
régions d'Italie, et l'exotisme semble se faire plus rigoureux et plus
respectueux des cultures régionales.
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