Poulain défend l'utilisation de la notion d'espace
social alimentaire. La notion d'espace a été adoptée en
sociologie en référence à Georges Condominas14.
Il correspond à la zone de liberté laissée au mangeur
humain par une double série de contraintes matérielles : d'une
part les contraintes biologiques, liées à son statut d'omnivore,
qui s'imposent à lui de manière relativement souple et, d'autre
part, les contraintes écologiques du biotope dans lequel il est
installé qui se transforment en contraintes économiques dans les
sociétés industrialisées et qui
14 Condominas, Georges, L 'espace social. À propos de
l'Asie du Sud-Est, Flammarion, Paris, 1980, p.305
tendent à se réduire au fur et à mesure de
la maîtrise technologique de la nature. L'homme ne peut consommer et
incorporer que des produits culturellement identifiés et
valorisés.
L'espace social alimentaire se décompose en plusieurs
espaces qui sont :
L 'espace du mangeable
Parmi la multitude de substances naturelles qui peuvent
potentiellement être des aliments, les hommes n'en consomment
effectivement qu'un petit nombre. Ce choix s'articule sur des
représentations symboliques qui relèvent de l'arbitraire des
cultures mais surtout participent à la différenciation culturelle
des groupes sociaux car à biotopes équivalents les choix ne sont
pas identiques d'une culture à l'autre. « L'espace du mangeable est
donc le choix opéré par un groupe humain à
l'intérieur de l'ensemble des produits végétaux mis
à sa disposition par le milieu naturel, ou qui pourrait l'être
s'il décidait de les y implanter. »15
Le système alimentaire
La seconde dimension correspond à l'ensemble des
structures technologiques et sociales, de la collecte jusqu'à la
préparation culinaire en passant par toutes les étapes de la
production-transformation qui permettent à l'aliment d'arriver jusqu'au
consommateur.
L 'espace du culinaire
La cuisine est un ensemble d'actions techniques,
d'opérations symboliques et de rituels qui participent à la
construction de l'identité alimentaire d'un produit naturel et le
rendent consommable. L'espace du culinaire est à la fois un espace, au
sens géographique du terme, de distribution dans des lieux,
lieu où se réalisent les opérations culinaires dans ou
hors de la maison, un espace au sens social qui rend compte de la
répartition sexuelle et sociale des activités de cuisine.
L 'espace des habitudes de consommation
Quatrième dimension de « l'espace social
alimentaire », il recouvre l'ensemble des rituels qui entourent l'acte
alimentaire au sens strict. La définition du repas, son organisation
structurelle, la forme de la journée alimentaire (nombre de prises,
formes, horaires, contextes sociaux...), les modalités de consommation
(manger à la main, avec des baguettes, au couteau et à la
fourchette...), la localisation des prises, les règles de placement des
mangeurs... varient d'une culture à l'autre et à
l'intérieur d'une même culture, selon les groupes sociaux.
La temporalité alimentaire
L'alimentation s'inscrit dans une série de cycles
temporels socialement déterminés comme le cycle de la vie des
hommes avec une alimentation de nourrisson, d'enfant, d'adolescent, d'adulte,
de vieillard.
L 'espace de différenciation sociale
Manger marque aussi les frontières identitaires entre les
groupes humains d'une culture à l'autre, mais aussi à
l'intérieur d'une même culture entre les sous-ensembles la
constituant.
A partir de ces définitions, Poulain définit un
modèle alimentaire comme une configuration particulière de
l'espace social alimentaire. Il en constitue la combinaison. Le modèle
alimentaire est un ensemble socio-technique et symbolique qui
caractérise l'appartenance d'un
15 J-P Poulain, Sociologies de l 'alimentation, Les
mangeurs et l'espace social alimentaire, Ed Privat, Paris, 2002
mangeur à un milieu social. C'est un ensemble de
connaissances qui agrège de multiples expériences
réalisées sous la forme d'essais et d'erreurs par un individu.
Nous pouvons dès à présent
préciser encore plus les changements de la situation culinaire du
mangeur : les étrangers se trouvent confrontés tout à la
fois à un nouvel espace du mangeable, un nouvel espace du culinaire, un
nouvel espace des habitudes de consommation et à une nouvelle
temporalité alimentaire.
Les pratiques alimentaires des migrants sont affectées
dans chacune de leurs dimensions : les formes d'approvisionnement, les modes de
préparation et de cuisson des aliments, la répartition des
tâches, les règles d'hospitalité. C'est à partir de
cette donnée majeure que nous pourrons analyser leurs pratiques
culinaires.
La condition des mangeurs étrangers prend son sens
véritable grâce à la notion « d'Homnivore »
développée par Claude Fischler.