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L'activité culinaire des étudiants étrangers

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par Frédérique Giraud
Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006
  

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Chapitre un

L'alimentation est un phénomène social

Dans ce premier chapitre, l'objectif est de regarder le fait alimentaire d'un point de vue général, global afin de restituer la complexité de cet acte. Il faut resituer l'acte alimentaire dans une aire culturelle.

I. Les grands paradigmes en sociologie de l'alimentation

On ne se rend pas toujours bien compte à quel point la façon dont nous mangeons est façonnée par la culture, car cela nous paraît être normal, « naturel ». On «gomme » très facilement la dimension culturelle, qui nous échappe, en la naturalisant. Même la position que nous adoptons pour manger, la manière d'utiliser les mains ou non, les ustensiles dont nous nous servons, constituent autant d'éléments qui sont façonnés, très concrètement, sans parler des produits eux-mêmes.

J-P Corbeau est à l'origine d'une définition du mangeur comme un être pluriel dont on définit les pratiques alimentaires au sein d'une société donnée. Il propose un appareil conceptuel très heuristique pour appréhender les pratiques alimentaires au sein d'un espace, qui permet de se rendre compte des déterminations sociales pesant sur l'acte alimentaire.

1) Le triangle du manger13

Le triangle du manger est constitué par :

- un mangeur socialement identifié (genre, niveau d'étude, âge, origine, etc) ; chaque mangeur suit un itinéraire socio-culturel différent qui évolue dans l'espace et dans le temps ;

- un aliment (représentations dans l'univers socioculturel) ; les aliments également varient à travers le temps (technologies) et l'espace (goûts, coûts, marchés) ;

- une situation, c'est à dire le contexte social identifié où a lieu l'interaction entre le mangeur et l'aliment (type de partage, ordinaire ou festif, domicile ou hors foyer, public ou privé...) à un moment donné.

Ces trois éléments constituent donc les sommets du « triangle du manger ». Celui-ci varie à la fois dans l'espace social et dans le temps. La migration pose les individus dans une situation de rupture par rapport au triangle du manger mettant en cause, suivant les individus deux ou trois sommets du triangle.

Tout d'abord il faut considérer que les aliments auxquels le mangeur peut avoir accès varient. Cette situation de variation des aliments recouvre plusieurs changements, selon que les aliments qu'il connaît, aime et sait cuisiner sont présents dans la société (sont-ils faciles à trouver, à quel prix, sous quelle forme, bénéficient-ils d'une représentation positive) ou sont introuvables.

Quelles sont les différentes situations envisageables pour un mangeur étranger ?

- les aliments auxquels il était habitué, qui étaient selon la formule de Claude Lévi-Strauss « bons à penser » ne se trouvent pas dans la société où il arrive, ou uniquement dans des magasins spécialisés, durs à trouver, et qui plus est plus chers que dans le pays d'origine

- les aliments auxquels il était habitué sont jugés négativement dans la société où il arrive.

- les aliments auxquels il était habitué, ne se trouvent pas sous la même forme, présentation. Il ne s'agit pas du même produit, il faudra inventer une nouvelle manière de le cuisiner.

13 Corbeau, Jean-Pierre et Poulain, Jean-Pierre, Penser l'alimentation. Entre imaginaire et rationalité, Toulouse: Privat, 2002.

- Le mangeur se trouve confronté à d'autres aliments, qu'il ne connaît pas et ne sais pas cuisiner

Chacune de ces situations enjoindra le mangeur à ajuster ses pratiques culinaires. On fait l'hypothèse que dans chacun des cas amène une réaction particulière et met en jeu des techniques et des rhétoriques spécifiques.

Les deux autres sommets du triangle évoluent également. Les étudiants changent de style de vie en partant en France. Plusieurs cas de figure se présentent : les étudiants passent de la vie chez leurs parents à la vie en solo (Abdelbaki, Théodora, Giovanni) , de la vie en couple à la vie solitaire en colocation (Shumeï, Tsu Tsu Tuï, Anna), ou encore de la vie de fils unique à la vie en colocation en résidence universitaire (Giovanni), de la vie en colocation avec des amis à la vie en solo (Mickaël), de la vie en famille nombreuse à la vie en solo (Abdelbaki), de la vie en résidence universitaire à la vie en colocation. A chacune de ses situations doit être ajoutée le changement d'aire géographique. Ces changements modifient les conditions de déploiement de l'acte alimentaire. l

Lorsque les étudiants passent de la vie chez leurs parents à la vie en solo, la décohabitation se double de la prise en charge nouvelle dans sa globalité de l'acte alimentaire. L'individu devient autonome et doit faire seul des choix alimentaires autrefois commandés par la vie en famille. L'alimentation peut devenir plus souple, parce qu'elle est moins réglée par les contraintes familiales ou au contraire rentrer dans un cadre « Ici je mange avec mes collocs, quatre fois par jour, pas là-bas mais je change, c'est juste pour ma santé. En Roumanie c'était plus libre » explique Theodora.

Le passage de la vie en couple à la vie en colocation change le statut de l'individu : il regagne un contexte plus étudiant, les personnes concernées par cette situation sont en thèse, plus âgées que la moyenne de leurs colocataires. La pratique alimentaire change de sens : on ne cuisine plus pour deux, mais pour soi (Tsu Tsu Tuï) ou on continue à cuisiner pour ses (Shumeï) ou un de ses colocataires (Anna prépare très souvent à manger pour Alberto son colocataire italien).

Le passage de la vie de fils unique à la vie en colocation en résidence universitaire (Giovanni) coïncide avec le passage des repas en famille à des repas entre amis. L'étudiant prend la charge et l'initiative des repas, tandis que chez les parents, c'est la mère qui en prend l' initiative.

L'ensemble de ces changements informe l'acte alimentaire, modifie le sens des pratiques.

Le concept d'espace social alimentaire théorisé par Jean-Pierre Poulain nous est ici particulièrement utile, en complément de l'analyse de J-P Corbeau pour comprendre la situation du mangeur étranger dans son pays.

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