a) Deux types de produits
« Lorsque j 'étais parti en Erasmus, en
Allemagne, mes parents m 'avaient amené en voiture et j 'avais pris
trente kilos de pâtes » nous raconte Giovanni. Pour venir en
France, où il allait rester six mois, il a amené quelques cinq
kilos de pâte. Dans cette démarche c'est la logique
économique qui est exhibée. En effet en France les pâtes
sont trois à quatre fois plus chères qu'en Italie, il est donc
économiquement avantageux d'acheter ses pâtes en Italie lorsqu'on
en est un grand consommateur. D'autant plus que lorsque le produit est
acheté dans son pays, ce sont les parents qui payent les achats. Ainsi
acheter avant de partir de des denrées alimentaires permet
d'économiser quelques dépenses. De plus, cela permet à
l'étudiant de prendre un peu de temps une fois arrivé en France
pour se renseigner sur les supermarchés autour de chez lui et de n'avoir
pas tout de suite à aller faire des courses. Le début du
séjour est ainsi accompagné par les parents, facilité. Le
plus souvent en effet cette démarche d'achat avant le départ est
prise en charge par le groupe, les parents, les amis de l'étudiant. Tsu
Tsu Tuï n'avait pas pensé à acheter des produits en Chine,
elle nous raconte que « Mes parents et mon mari ont acheté pour
moi. Mais je m 'en fiche euh en fait, je
préfère acheter ici, parce que c 'est pas très facile
à apporter. ». Cela est net également dans le discours
d'Abdelbaki qui emploie
105Nicole Cérani et Martine Camus, « Le
budget des familles en 2001 », Insee Résultats, 2004
pour parler de la préparation du séj our en
France la troisième personne du singulier « on avait pensé
à ça » dit-il. L'étudiant se laisse une
dernière fois prendre en charge avant la prise d'autonomie par le
départ. Cela est tout à fait vrai pour Abdelbaki qui avant
d'arriver en France n'avait jamais fait la cuisine, ni fait le
ménage.
A chaque retour chez ses parents, trois fois en six mois,
Giovanni ramène à nouveau des pâtes. En plus des
pâtes, il a apporté au début de l'année et à
chaque retour en France des conserves de poivrons produits par ses parents, du
lard, des châtaignes...On voit ici se dessiner deux logiques : on
ramène avec soi, à la fois des produits que l'on achète
dans son pays, et des produits préparés par la famille, des
fruits et légumes du jardin...
Le premier type de produit de conservation longue a vocation
à durer quelque temps après le départ de chez les parents,
les autres produits, périssables tels que les fruits et les
légumes ont une autre vocation. Produits chez soi, ils ont une dimension
affective forte, ils constituent un lien avec son pays mais plus avec sa
famille. Ces produits se conserveront tout au plus une à deux semaines,
ils permettent aux étudiants comme aux parents de maintenir un lien avec
l'enfant, de ne pas s'en séparer tout de suite. Tant que les produits ne
seront pas entièrement consommés, on sera encore un peu chez soi,
pas encore autonome, dans un entre-deux réconfortant. Ils permettent de
rendre la séparation plus douce. Ces aliments auront tendance à
fonctionner comme des aliments de réconfort, on les mange en des
circonstances particulières, notamment les jours de vague à
l'âme. Le temps de leur consommation, on est encore un peu « fils ou
fille de ».
Christina n'a apporté avec elle en septembre que des
sucreries : des bonbons haribos, des chewing gum dont le parfum est si
particulier qu'elle pense ne pas les trouver en France. Retournée chez
elle pour les vacances de la Tousaint, de Noël et les vacances de
février, elle rapporte à chacune de ces occasions des bonbons.
Elle a en plus à Noël apporté du gouda allemand dont elle
sait qu'elle ne le trouve pas en France. C'est pour elle aussi une logique de
produits de réconfort qui est à l'oeuvre, mais ce ne sont pas les
mêmes types de produits qu'elle ramène. Ils ne sont pas produits
par sa famille, mais achetés, toutefois ils s'inscrivent dans le cadre
de prises alimentaires mineures. Les bonbons, les chocolats ne relèvent
pas des mêmes consommations que les pâtes... mais ils ont une vertu
réconfortante.
Rares sont les étudiants qui peuvent se permettre de
rentrer chez eux au cours du séjour, cela concerne uniquement les
étudiants des pays limitrophes de la France. Si d'autres auraient le
temps et les moyens financiers, ils préfèrent utiliser leurs
vacances pour visiter l'Europe, plutôt que de rentrer chez eux.
Dès lors, tous ne sont pas non plus concernés
par ces approvisionnements en nourriture de réconfort. Leurs stocks
répondent plus à d'autres critères que la suite de ce
chapitre va permettre d'élucider. Notons qu'une seconde voie
médiane existe également pour l'approvisionnement en produits
sucrés... via les colis familiaux. On demande à ses parents ou
aux amis rendant visite de rapporter ce dont on manque. C'est une pratique peu
répandue, mais que nous avons rencontré chez nos bloggeurs en
Chine ou en Russie. Il en sera question dans le chapitre consacré
à l'approvisionnement lors du paragraphe consacré à la
place du réseau.
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