Chapitre quatre
Se préparer à vivre à
l'étranger
Une des dimensions de la préparation du séj our
à l'étranger consiste à organiser la version alimentaire
du séjour, aussi surprenant que cela puisse paraître. Cela est
d'autant plus vrai que le pays où l'on part se situe
géographiquement loin de son pays d'origine et que par conséquent
la culture alimentaire du pays d'accueil est éloignée de celle de
son pays.
Cette préparation ne prend pas la même forme chez
tous les étudiants: elle dépend de l'avancement de l'individu
dans sa formation de cuisinier-amateur. En effet, tous ne se situent pas au
même niveau du point de vue de leur maîtrise des
préparations culinaires : pour certains enquêtés le
départ à l'étranger coïncide avec la première
décohabitation et correspond à un passage à l'acte
culinaire ; pour d'autres, le séjour à l'étranger ne
constitue pas la première socialisation à la cuisine, il s'agira
alors à l'étranger d'une resocialisation à de nouvelles
pratiques culinaires et alimentaires.
C'est pour les mangeurs qui n'ont encore pas fait leurs
premiers pas en cuisine que le départ à l'étranger est le
plus organisé et réfléchi depuis le pays d'origine. En
effet, pour eux, il faudra apprendre loin de chez eux, loin de la mère
que l'on imite à choisir des produits, à les manier en cuisine,
à les transformer.
Penser la dimension alimentaire du séjour à
l'étranger consiste à imaginer ce qu'on va y manger, comment on
va le manger. On peut penser qu'a lieu pour certains enquêtés une
certaine dramatisation du pan alimentaire du séjour, lié au
changement d'espace social alimentaire et au pari vital que représente
pour un mangeur le fait alimentaire. Tous ne disposent pas des mêmes
ressources, des mêmes capitaux pour parer aux apprentissages que
nécessite le séjour à l'étranger. La
différence majeure entre les étudiants que nous avons
interrogé réside dans la distance de leur pays à la
France. Celle-ci joue d'une double manière : d'une part, plus la
distance entre les pays est grande plus les cultures alimentaires deux pays
seront éloignées et plus les produits seront a priori difficiles
à trouver en France. D'autre part, plus le pays est culturellement
distant de la France, plus il sera difficile à une personne de
goûter aux produits français.
Le goût se traduit par des appétences et des
perceptions particulières à l'égard de saveurs et des
aliments. A travers les goûts ce sont des traits de personnalité
et des traits culturels collectifs qui s'expriment. Claude Lévi-Strauss
invitait à parler de gustèmes, à l'instar des
phonèmes, pour désigner des unités gustatives
élémentaires dont les combinaisons variables constitueraient les
différentes structures culinaires observables. Comme il a
été montré, les goûts alimentaires divergent d'un
pays à l'autre, d'une culture à l'autre. Dans une même
société, les normes qui participent à leur
définition peuvent être dotées d'une forte autorité
ou au contraire laisser une grande place aux initiatives individuelles.
I. Les achats
Lorsqu'on part à l'étranger, pour six mois, ou
un an sans revenir chez soi, le poids des bagages que l'on peut emporter en
avion ou que l'on est à même de porter en train est limité.
On doit faire un tri dans les affaires que l'on emporte entre l'utile,
l'indispensable et le nécessaire. Pratiquement tous les personnes qui
partent à l'étranger apportent avec eux des produits ou/et des
ustensiles, en particulier les étudiants chinois qui sont parmi les
étudiants étrangers en France les plus éloignés
géographiquement de la France. Si l'on choisit d'accorder une place aux
produits alimentaires, c'est donc qu'on leur accorde une importance que nous
devons analyser. Il est donc nécessaire de s'interroger sur les raisons
qui poussent à faire une place aux produits alimentaires dans les
affaires que l'on amène avec soi.
La raison la plus immédiate apparaît être
la volonté de continuer à manger en France des aliments auxquels
on est habitués et qu'on ne peut y trouver. Les amener avec soi peut
être un des seuls moyens de se les procurer, avec le don et l'envoi d'un
colis par ses proches.
Les produits amenés avec soi sont-ils vraiment
introuvables dans le pays d'accueil ? Le sontils mais avec une grande
difficulté ? Les produits achetés en France seraient-ils de la
même qualité que ceux achetés au pays ? Seraient-ils au
même prix ? On voit à travers ces questions qu'un ensemble de
déterminations complexes entre en ligne de compte dans la
décision d'acheter au pays des aliments et que cela n'est pas aussi
simple qu'il y parait à première vue. Ce chapitre nous permettra
de démêler les raisons multiples qui peuvent pousser à se
préparer au départ en constituant des stocks.
Aux questions déjà signalées s'en ajoute
d'autres. Quels sont les produits que l'on ramène avec soi ? Ont-ils
quelque chose de particulier ? Qui les a achetés au départ du
pays, qui les a choisi ? Sont-ils consommés régulièrement
lorsque le migrant habite dans son pays ? Comment consomme-t-on ses produits ?
Sont-ils réservés à des occasions particulières ou
font-ils partie de la cuisine quotidienne ?
1) Les produits qu'on ne trouve pas...ou que l'on trouve
plus cher
Plusieurs logiques très différentes coexistent
dans le fait d'acheter dans son pays avant de partir des produits alimentaires
: une logique plutôt économique consiste à acheter au pays
des produits qui y sont vendus moins chers qu'en France dans l'objectif de
faire des économies. Les étudiants procèdent à un
arbitrage économique en défaveur de l'alimentation
préférant généralement utiliser leurs bourses pour
d'autres dépenses. Les études de l'Insee105 montrent
que les ménages de moins de 25 ans sont parmi ceux qui consacrent le
moins de dépenses à l'alimentation. La seconde logique consiste
à acheter des produits que l'on pourrait appeler de réconfort,
généralement sucrés comme du chocolat, du nutella,...
qu'on pense ne pas trouver dans le pays d'accueil et dont le mangeur ne peut
pas se passe.
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