IV. Les enquêtés
1) Qui sont-ils? Quelles sont leurs
propriétés sociales ?
Nous avons rassemblé ici sous la forme de mini
portraits l'ensemble des informations dont nous disposions sur nos
enquêtés. On peut remarquer d'une part leur extrême
hétérogénéité d'un enquêté
à l'autre, mais surtout les lacunes qu'elles renferment. Trop souvent
nous n'avons pas osé posé toutes nos questions, notamment
concernant la profession exacte des parents et des grans-parents, passant vite
une fois la réponse donnée de manière faire oublier
l'intimité des détails fournis. De sorte que c'est en
transcrivant les entretiens qu'on se rend compte du manque d'informations.
96 Chapoutot, Claire « Les blogs culinaires : quant Internet
entre dans la cuisine... », Faire la cuisine. Analyses
pluridisciplinaires d'un nouvel espace de modernité. Les Cahiers de
l'OCHA, n° 11, 2006
Mickaël, étudiant
américain, 25 ans, assistant de langue au lycée Louis Armand de
Villefranche sur Saône.
Son père s'occupe de la surveillance de forêts et
l'été il surveille les cours d'eau. (Son père adore la
chasse, il se fait prendre en photo avec ses fusils, ses chiens et ses
prises)
Sa mere execute des travaux de renovation de maison (she puts up
wall paper, she paints, not a décoratrice, she does the work)
Son grand-père est fermier, il a un grand troupeau de
vaches, sa grand-mère travaillait pour l'Etat Il a un frère
aîné qui a 32 ans, et deux soeurs (23 ans et 16 ans)
Il ne sait pas ce qu'il veut faire plus tard, pour l'instant il
multiplie les petits boulots.
Vit seul en France en bas des pentes de la Croix-Rousse,
après avoir vécu le premier mois à Lyon dans une
famille.
Aux Etats-Unis, il a vécu en colocation avec des amis puis
seul.
Etudes d'économie, de management aux Etats-Unis,
diplômé en 2003 (Business in university, graduated in 2003).
Depuis la fin de ses études aux Etats-Unis, il a fait beaucoup de petits
boulots et joue dans un groupe de musique avec des amis. S'il est venu en
France comme lecteur d'anglais au lycée, c'est à la fois pour
améliorer sa maîtrise de la langue française, mais aussi
parce que l'opportunité de ce travail lui a été fournie
par un ami. Il a saisi l'occasion comme un moyen de gagner de l'argent, de
faire des économies lui permettant de visiter l'Europe. A chaque
période de vacances, il part visiter l'Europe, il utilise la compagnie
de voyage en car Eurolines et sillonne le temps des vacances le pays ou les
villes de destination (à Noël, il a visité Rome, et le sud
de la France avec sa mère ; en février, il est parti pou
Budapest, Vienne...)
Anecdotes alimentaires :
Il se caractérise par le souci de dépenser le
moins possible pour son alimentation. Il ne mange quasiment que des sandwiches.
Lorsqu'il invite des amis, ils font ensemble une soupe, mangent de la salade et
surtout dégustent du vin et du fromage. Il adore le vin et le fromage
français, trouve les repas français dans leurs menus et leur
manifestation beaucoup plus conviviaux que les repas américains. Il
aimerait continuer à recevoir aux Etats-Unis ses amis à la
manière dont il le fait en France, autour d'une bouteille de vin rouge
avec du fromage.
L'ayant revu plusieurs fois après l'entretien il nous a
tenu au courant des modifications apportées à ses
préparations culinaires : si il continue à manger des sandwiches,
ne trouvant pas le temps de manger autre chose en semaine, il a adopté
un repas à la française lorsqu'il invite des amis. Le menu auquel
il se tient est le suivant : quiche lorraine, salade de carottes, fromage,
pommes au four.
Il n'a pas cherché de magasins américains, mais
est tombé sur un par hasard et y a cherché vainement quelques
aliments notamment des « pepperoni and cheese ». Ce qui lui manque en
France, ce sont les restaurants rapides où l'on peut manger indien
auxquels il est très habitué.
Christina, étudiante allemande,
22 ans, assistante de langue au lycée Louis Armand de Villefranche sur
Saône. Elle enseigne la langue allemande à des classes de
collège et de lycée. Elle veut être professeure de
français en Allemagne.
Son père travaille dans une banque, dans un service
où l'on vend des contrats, sa mère est traductrice, elle parle
couramment l'anglais, le français et l'allemand.
En Allemagne, elle fait ses études à Stuttgart,
elle y vit en résidence universitaire. Ses parents habitent Hanovre. En
passant de l'Allemagne du Nord, à l'Allemagne du Sud pour ses
études elle a découvert des spécialités culinaires
autres que celles du Nord.
En France elle a habité un mois et demi chez une
personne âgée à Villefranche sur Saône, puis a
trouvé une colocation dans les logements d'un lycée à
Fourvière avec une française et une américaine. Elle
s'entend très bien avec ses colocataires. Toutes trois, elles ont
entrepris de découvrir la France. Les deux premiers mois ont
été consacrés à la visite de la ville de Lyon et de
ses environs (Saint-Etienne, Grenoble). Puis elles ont voyagé en France
à Nice, Aix en Provence, Dijon, Beaune... Chaque week-end permettait de
découvrir la ville et des spécialités culinaires de la
ville. Le week-end passé à Beaune était conçu comme
un véritable week-end gastronomique, puisqu'il s'agissait d'aller y
goûter des vins.
Anecdotes alimentaires :
Elle aime beaucoup goûter la cuisine française,
elle demande beaucoup à ses colocataires de lui faire découvrir
des spécialités et se rend souvent dans des brasseries où
elle demande au chef les recettes. Elle a adoré la crème
brûlée, découverte en France, adore nos fromages
également.
Pour venir en France, elle n'a amené avec elle que des
sucreries (bonbons haribos, chewing gum), elle rapporte plus de choses à
faire découvrir à ses parents qu'elle n'en a amené en
France (papillotes, crêpes, crème à la
châtaigne...)
Giovanni, étudiant italien,
25ans, en Erasmus, en master 2 de droit
Il a déjà vécu un an en Allemagne en
Erasmus, ce qui lui a permis de découvrir les spécialités
culinaires allemandes dont ses habitudes alimentaires gardent la marque : l'un
des plats qu'il prépare le plus souvent est une sorte de
flammeküche.
C'est notre colocataire du premier semestre. Vit en
présence de deux français et une chinoise Il est fils unique. (Il
n'aime d'ailleurs pas être seul, adore travailler dans la cuisine en
présence de sa mère, veut avoir de la présence autour de
lui. A Lyon, il aimait également travailler dans la partie commune du
module).
Il est très sociable et très ouvert aux
rencontres. Il invite énormément de personnes à manger,
pour prendre le café.
Ses deux parents habitent un petit village de montagne
à côté de Trente et sont à la retraite. Son
père mécanicien pour une entreprise de service urbain est parti
assez tôt à la retraite et bénéficie d'une retraite
d'un bon niveau, et sa mère était assistante maternelle. Ses
parents cultivent un jardin potager, la plupart des produits qu'ils consomment
sont issus du village où ils habitent. Les habitants échangent
des produits alimentaires de façon complémentaire. Chez lui,
Giovanni a été habitué à manger des produits de la
ferme, produits localement, élevés par ses parents ou des
personnes connues du village. Il a donc du mal à trouver en France ces
produits très locaux de montagne. Il ramène en France beaucoup de
produits avec lui : pots de confiture, conserve de poivron, lards, marrons,
fromage, lard, vin produit par son père...
Anecdotes alimentaires :
Il n'a jamais mangé une seule fois seul de tout son
séjour en France. Il a toujours mangé soit en présence de
ses colocataires chinois et français, soit en compagnie d'autres
italiens ou en présence de tunisiens.
Il fait très attention au coût des produits
alimentaires et développe un argumentaire très rôdé
: en France il essaie de ne pas acheter des produits qu'il achète en
Italie et qui sont en France
beaucoup plus chers. Il achète en France des produits
qu'il ne connaît pas, ou des produits qui en Italie sont très
chers relativement à leur coût en France.
Il n'aime que le café italien, fait sans sa
cafetière ramenée exprès d'Italie.
Anna, étudiante brésilienne, en
thèse, 25 ans.97
Elle vit en compagnie d'un italien et de deux français en
colocation.
Elle est mariée depuis un an à un
brésilien. Elle adore cuisiner et cherche à cuisiner
brésilien en France, notamment le plat typiquement brésilien
qu'est la feijoada. Elle passe beaucoup de temps à cuisiner. Elle se
plaint de ne pas trouver en France de la viande à bas prix, parce qu'au
Brésil on mange énormément de viande. Avant son
départ pour la France, elle a consommé pendant une semaine de la
viande à tous les repas. Son mari qui est venu un mois en France en
avril pour la voir, lui a amené de la viande et d'autres
spécialités.
Tsu Tsu Tuï, étudiante
chinoise en première année de thèse, 25 ans. Elle vit en
colocation en compagnie de deux françaises.
Elle s'est mariée avant son départ pour la
France. Fille unique, elle a habité avec ses parents la banlieue de
Shanghaï. Son père est professeur d'université, sa
mère aujourd'hui à la retraite était vendeuse dans un
magasin. Elle a touj ours habité en ville chez ses parents. Mis à
part le mois où elle a vécu avec son mari, elle n'a jamais
vécu hors du foyer de ses parents.
Anecdotes alimentaires :
Elle n'aime pas la cuisine française, et essaie de
cuisiner chinois le plus possible. Elle adore aller dans les magasins
asiatiques et trouve presque tout ce qu'elle y cherche, même si elle est
parfois peu satisfaite de la qualité des produits. Elle trouve aussi
beaucoup de produits chinois dans des grandes chaînes comme Carrefour.
Pour elle le coût des dépenses alimentaires n'est pas
important.
Elle n'a pas l'habitude en Chine de faire la cuisine, elle n'a
vécu qu'un mois avec son mari, et en Chine on peut très souvent
manger à l'extérieur des petites portions déjà
prêtes ainsi qu'on achète dans les supermarchés. En France
elle passe beaucoup de temps à cuisiner.
Shumeï, étudiante chinoise en
seconde année de thèse de géographie
C'est notre colocataire. Elle vit en présence de trois
français et un italien, au second semestre en compagnie de deux
français, une brésilienne et une italienne. Elle fréquente
assez peu au début de l'année les autres étudiants chinois
de l'Ens Lsh ainsi que ceux de l'école de l'Ens Lyon.
Elle a rencontré son mari en 2002 et est mariée
depuis 5 ans et mère d'un petit garçon de deux ans. Son mari est
informaticien, il est originaire de sa province, ils se sont rencontrés
à l'université.
97 L'entretien devait se dérouler en deux parties, la
première d'une durée de une heure s'est déroulée
à notre domicile à table, alors qu'elle était
invitée par notre colocataire chinoise. L'entretien informel au
début a débuté à table et s'est poursuivi à
la fin du repas avec le dictaphone. Nous avions pris rendez-vous pour
continuer, mais des aléas ont fait repoussé l'entretien, puis
elle n'a plus voulu le terminer. Nous ne possédons donc pas
d'informations relatives à son origine sociale.
Fille aînée de trois frères et soeurs
Son père est décédé lorsqu'elle
était très jeune, sa mère vit seule avec son dernier
frère de la culture des terres qu'elle possède avec d'autres
personnes du village. Très bonne à l'école, son
père l'envoie à Shanghaï faire ses études dès
l'âge de neuf ans. Son père est obligé pour cela de
travailler beaucoup, ce qui croit-elle a contribué à sa mort.
Elle savait que son travail rendait heureux son père et n'a jamais voulu
le décevoir. Elle a été habituée à
travailler très dur, se trouvant redevable par rapport à son
père et ses frères et soeurs.
Elle habite la campagne, une région très
très pauvre. Ses deux autres soeurs sont mariées. Etudiante elle
a habité Shanghaï, c'est là qu'elle a vécu avec son
mari. Elle n'aime pas la cuisine de Shanghaï qu'elle trouve trop
sucrée par rapport à celle de sa province où l'on met
beaucoup de sel.
Anecdotes alimentaires :
Elle n'aime pas faire la cuisine et considère qu'elle
ne cuisine pas chinois. Elle se dit paresseuse pour son alimentation et
rêverait que l'on cuisine pour elle. C'est pourquoi elle n'aime pas
cuisiner chinois, c'est plus long, et cela nécessite beaucoup de
vaisselle. Elle n'aime pas du tout aller dans les magasins asiatiques et essaie
de se faire ramener des produits par des amis. Elle ne s'y est rendue que deux
fois au cours du premier semestre, ayant rapporté beaucoup
d'ingrédients de Chine.
Elle est très attentive à ce qui est bon pour la
santé, aux nutriments fournis par tel aliment...ce qui témoigne
d'une mentalité plutôt populaire. Elle est friande de toute
information concernant un aliment bon à manger ; par exemple elle
achète du beurre oméga 3 parce qu'elle a vu des publicités
vantant ses mérites pour la santé.
Abdelbaki, étudiant tunisien,
élève normalien de l'ENS de Tunis, en master 2 de Lettres
modernes
Il vit en colocation à l'ENS avec deux françaises.
En Tunisie, il vit avec sa famille.
Son père aujourd'hui à la retraite était
mineur à Tunis, sa mère n'a jamais travaillé. Il a deux
frères ingénieurs, une soeur en licence de géographie. Il
est manifestement en ascension sociale par rapport à la situation de ses
parents.
Anecdotes alimentaires :
Il est très attaché aux
spécialités tunisiennes et familiales et n'accorde sa confiance
qu'aux produits locaux. Il ajoute du piment à tout ce qu'il mange. Il a
ramené un grand nombre de produits avec lui en septembre.
Il n'avait jamais fait la cuisine en Tunisie avant de venir en
France, mais ayant demandé des conseils à sa mère et
à sa soeur avant de partir, il n'a pas rencontré de
difficultés. En matière d'organisation, du « faire la
cuisine » au quotidien, une dimension apparaît centrale chez lui,
c'est la prévision des menus. La semaine est l'unité temporelle
d'organisation. Le dimanche matin il prépare l'ensemble des repas de la
semaine. Il y consacre sa matinée, il prépare tous les plats
différents, les sauces pour les accompagner et conserve tout au frigo
dans des tupperware.
Théodora, étudiante
roumaine en master 2 de géographie, elle espère revenir pour sa
thèse en France l'année prochaine
En France, elle vit en colocation à l'ENS avec un couple
français-chinois, et un autre français. En Roumanie, elle vit
chez sa mère.
Son père était ingénieur, il est aujourd'hui
décédé, sa mère est vendeuse dans une fabrique de
tissus. Elle a deux soeurs et un frère.
Anecdotes alimentaires :
Elle n'aime pas la nourriture de la cantine. A son
arrivée, elle cherchait dans tous les magasins où elle rentrait
des produits roumains, mais n'avait apporté aucun ingrédient de
chez elle. Elle demande à sa mère de lui en envoyer. Elle manque
en France de produits roumains pour cuisiner des plats typiques de chez elle.
Si elle revient l'année prochaine, elle amènera les produits qui
lui ont manqué cette année et s'efforcera de trouver des
épiceries à Lyon proposant certains produits typiques. Cependant
elle aime à découvrir de nouveaux produits, elle a
goûté ici pour la première fois des crevettes et en
raffole. Si elle cuisine roumain, c'est exclusivement le soir et de
préférence le week-end parce que cela lui prend du temps de
trouver des aliments de substitution pour reconstituer les recettes. Les plats
roumains qu'elle a essayé de faire n'ont pas tout à fait la
saveur de ce qu'elle se prépare en Roumanie. En règle
générale, elle mange des plats préparés rapidement
comme des frites ou des pizzas achetées parce qu'elle n'a pas le temps
de se préparer à manger.
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