II. Les outils de la collecte : l'observation
participante
Nous avons combiné plusieurs méthodes d'analyse
: nous avons procédé à des observations en situation de
participant, nous avons observé des magasins spécialisés
dans les denrées étrangères, nous avons
réalisé huit entretiens avec des étudiants
étrangers, nous avons analysé des blogs de français
expatriés au Japon et en Chine et posté des questionnaires
à leurs auteurs.
Nous allons revenir sur chacune de ces méthodes afin
d'analyser leur mise en place et leur positionnement dans notre dispositif
d'enquête.
1) L'observation participante dans une situation de
colocation
La méthode majeure de notre enquête consiste en
une observation participante à notre domicile. Nous vivons effectivement
à la résidence de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon dans
un module. C'est le nom donné aux appartements des étudiants. La
résidence des élèves dispose de modules de trois, quatre
ou cinq personnes.
Nous habitons dans un module de cinq personnes, ce module
comporte une chambre double ce qui est une configuration particulière,
puisque seuls sept des modules de la résidence disposent d'une chambre
double. Nous habitons dans cette chambre double en présence de notre
conjoint. Cette précision, qui peut paraître inutile l'est
cependant. En effet, la configuration des interactions dans le module en
découle et de fait notre implication dans la vie commune de celui-ci et
de fait dans notre recherche.
Le module s'est en effet tout de suite organisé selon
un regroupement des personnes de type 2 + 3, c'est à dire que les
occupants de la chambre double vivent à deux dans un module de cinq
personnes, leur couple s'individualisant par rapport aux autres colocataires.
Cela implique une certaine mise à distance des autres colocataires et
donc de nos enquêtés. Le couple n'est pas intégré
à la vie commune du module, c'est à dire qu'il ne participe pas
aux repas pris en commun, ou s'il y participe, c'est encore de manière
individualisée, mangeant à part mais à la même heure
que ses colocataires, qui quant à eux prennent tous leur repas en
commun. Ils organisent une répartition des tâches consistant, pour
le repas du soir à manger systématiquement ensemble et à
préparer à tour de rôle les plats communs.
Le module se composait de trois français (notre couple
et un autre élève de l'école en master 1 de
géographie), d'un étudiant en master 2 italien, en droit et d'une
étudiante chinoise en deuxième année de thèse de
géographie.
A partir du mois de février, l'étudiant
français en géographie est parti en Russie, et l'étudiant
italien est rentré chez lui. Nous avons alors accueilli à nouveau
deux personnes étrangères : une italienne en licence de
sociologie et une doctorante brésilienne en première année
de thèse de linguistique.
Cette configuration particulière a des implications sur la
situation d'observation, comme nous l'analyserons après.
L'observation participante consiste à s'intégrer
dans un groupe social et à partager sa vie, de la façon la plus
concrète, pendant une période suffisamment longue pour que
l'observateur perde son statut de chercheur et devienne un membre du groupe
comme les autres.
Il s'agit de saisir au plus près le contexte
étroit de l'activité, l'expérience pratique de la
cuisine.
Bogdan et Taylor79 définissent ainsi
l'observation participante : « une recherche
caractérisée par une période d'interactions sociales
intenses entre le chercheur et les sujets, dans le milieu de ces derniers. Au
cours de cette période des données sont systématiquement
collectées(...) »
L'observateur, quelque soit sa posture d'intervention, modifie
ce qu'il observe, puisqu'il fait partie de la situation d'observation. La
notion d'observation participante introduit la réciprocité de
l'observation car elle est le produit de la participation à une
activité commune (par exemple dans mon travail je fais la cuisine en
même temps que mes colocataires, qui me demandent des conseils ou de
l'aide sur un geste précis alors qu'ils sont occupés
ailleurs).
L'observateur n'est pas extérieur et n'examine pas le
phénomène pour le réduire à ses notes, mais
s'établissent une série d'échanges et de dialogues qui
engagent les protagonistes de l'observation à se situer ensemble dans le
« faire la cuisine ». Il y a observation mutuelle des pratiques, des
techniques et imitation de part et d'autre.
Cette participation-observante nécessite de la part du
chercheur de s'appuyer sur une familiarisation à la vie quotidienne. Les
éléments vécus et partagés servent de base à
l'échange, les perceptions réciproques permettent
l'émergence de questionnement, de doute, d'interrogation. Au cours de
cette observation réciproque, se fait jour un apprentis sage mutuel que
l'on peut qualifier d'imprégnation.
Cette étape commence dès l'installation dans
l'appartement commun et la définition progressive de l'objet de la
recherche. Celui-ci n'était pas formalisé au début de
l'année, je savais que je voulais faire une recherche sur la cuisine
mais son cadre restait vague. J'avais eu l'année dernière une
colocataire étrangère japonaise dont les pratiques alimentaires
m'avaient déjà intéressées, sans que puisse
être initiée à ses secrets. Le hasard a fait que je me suis
trouvée cette année encore avec deux colocataires
étrangers, ce qui a fait mûrir mon interrogation sur les pratiques
des étudiants étrangers. J'interrogeais ma colocataire chinoise,
qui voulait toujours me faire goûter ses préparations,
m'expliquait le contenu de paquets non identifiables parce que provenant de
Chine dans la cuisine. De cette situation de confrontation à des
pratiques culinaires bien différentes des miennes, de l'utilisation de
produits qui m'étaient inconnus est née une interrogation.
Le premier objectif qui est de construire des relations de
confiance avec les acteurs de l'activité pour qu'ils soient en mesure de
participer pleinement au projet de recherche s'était produit en amont du
début de la recherche par le biais de la vie en commun et des premiers
partages de savoirs culinaires.
La première phase de l'observation proprement dite a
consisté donc à rendre possible la situation d'enquête par
l'explication détaillée du projet de recherche. Est née
une situation de co-construction des connaissances, dans laquelle une grande
part revient à mes colocataires,
79Bogdan et Taylor Introduction to qualitative
research methods, 1975, in PERETZ, H. Les méthodes en
sociologie : l'observation, Coll Repères, La Découverte,
Paris, 1998.
ces derniers veillant à me présenter tout produit
m'étant certainement inconnu, m'expliquer ses modes de
préparation...
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