b) Goûter à la cuisine de l'autre en
France
Comment peut-on expliquer la curiosité culinaire des
étudiants étrangers en France ? On peut supposer que cette
curiosité répond à un souhait de diversification du
régime alimentaire, à un souci d'ouverture sur l'autre
concomitante du projet de départ à l'étranger pour ses
études. Tous nos enquêtés ne témoignent pas de la
même ouverture et curiosité, on peut rappeler que le
détachement par rapport à ses traditions à ses habitudes
peut nécessiter des ressources cognitives et symboliques pour apprendre
à goûter l'autre. Traditionnellement l'analyse sociologique part
du principe selon lequel les personnes de classes supérieures seront
plus tentées par la découverte de nouvelles saveurs que les
personnes de classes inférieures. Il semble que l'analyse par l'origine
sociale ne soit pas la variable explicative majeure concernant le goût
pour la nouveauté de nos enquêtés.
Si Giovanni qui est étudiant en master 2 de droit,
italien, fils de mécanicien et d'une assistante maternelle veut que sa
cuisine soit une « cuisine européenne », et cherche à
tester, tout goûter en France, Abdelbaki, étudiant normalien de
l'école de Tunis fils d'un mineur retraité également en
ascension sociale de par ses études manifeste lui une forte
réticence alimentaire. Abdelbaki est très difficile comme on
pourrait le dire d'un enfant, il faudrait que tout ait des épices, il
rajoute dans tous les plats des épices, de la harissa. Nous avons
assisté à de nombreux repas chez moi où confronté
à la cuisine chinoise, il ne mange pas, triant ouvertement dans son
assiette ce qu'il aime et ce qu'il n'aime pas.
Tsu Tsu Tuï étudiante chinoise en thèse en
France, fille d'un professeur de faculté et d'une mère vendeuse
est très peu ouverte à l'alimentation française et essaie
en France de cuisiner au plus proche de son pays d'origine.
Il semble que ce soit la distance structurelle entre la
cuisine du pays d'origine et la France qui permette le mieux d'expliquer
l'attraction et le goût pour la cuisine de l'autre. Comme nous l'avons
déjà montré, les traditions culinaires des pays d'origine
de nos enquêtés peuvent être plus ou moins
éloignés par rapport à la France. Nous sommes conscients
du flou de notre propos concernant la distance structurelle des cuisines les
unes par rapport aux autres. Le fait est que nous serions bien en peine de
caractériser les principes structurants et caractéristiques de la
cuisine française.
La cuisine chinoise est très différente dans sa
conception de la cuisine française. La cuisine tunisienne est proche de
l'alimentation française méditerranéenne de par
l'importance de l'utilisation de l'huile d'olive. Elle s'en différencie
par l'usage intensif fait des épices et du piment.
En quoi la distance structurelle entre les cuisines peut-elle
influer sur les pratiques culinaires ? La distance des traditions culinaires
influe sur la facilité avec laquelle on trouve en France les produits de
son pays. Ainsi si notre enquêtée allemande n'a pas de
difficultés particulières à trouver en France les produits
auxquels elle est habituée retrouvant en France les mêmes
enseignes que sont Leader Price, Aldi ou Lidl, nos enquêtés
brésiliens et roumains ne peuvent en France acheter aisément des
produits typiques et doivent se les faire envoyer.
Les étudiants chinois bien que distants
géographiquement de la France disposent à l'inverse de structures
d'approvisionnement particulièrement développées.
Là entrent en ligne de compte les rapports historiques entretenus par la
société d'arrivée et le groupe ethnique concerné
sont déterminants pour les conditions de la pratiques alimentaire.
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