L'activité culinaire des étudiants étrangers( Télécharger le fichier original )par Frédérique Giraud Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006 |
3) La feijoada, plat messager58 : introduction à la notion de plat totemOn peut montrer qu'il y a cristallisation des groupes de migrants brésiliens autour d'un plat la feijoada. A base de cochon et de haricots noirs, la Feijoada est un pur produit de l'histoire du Brésil, un mélange des cultures culinaires européennes, africaines et amerindiennes. Née chez les esclaves, ceux-ci n'avaient accès qu'aux bas morceaux du porc : oreilles, pieds, museaux. Aujourd'hui, bien sûr, le plat a été agrémenté de morceaux plus nobles et de charcuterie. La feijoada est traditionnellement servie accompagnée de riz, de chou cuit, de farofa (farine de manioc torrefiée) et de fines tranches d'oranges, apportant un goût acidulé et aigre-doux. Pourquoi ce plat est-il perçu comme un plat emblématique par les Brésiliens vivant en France? « Je crois que la feijoada est une institution nationale, du nord au sud, du l 'est à l 'ouest du pays tout le monde sait qu 'est ce qu 'une feijoada, tout le monde mange de la feijoada avec quelques variations comme pour les vins de bordeaux mais tout le monde mange de la feijoada. » explique une enquêtée Au Brésil, le haricot, le riz et la farine de manioc sont la nourriture de tous les jours, du quotidien. Mais hors du Brésil, la feijoada se transforme en plat-messager parce qu'elle est préparée avec les trois éléments fondamentaux de la cuisine quotidienne au Brésil, et que ces trois éléments ont un sens unificateur et marqueur d'une identité. Ainsi que le note V Marquès Boscher « Certains plats deviennent des plats qui ne sont plus destinés seulement à nourrir, ils ont une autre destinée : la transmission d'un message, ils sont dépositaires d'une histoire. ». Ce plat a été choisi par les jeux de la mémoire pour raconter l'histoire de groupe, il est lié à leurs « origines » Ce plat serait donc « un langage, un moyen de communication entre les personnes, le porteur d'un message. » et donc gagnerait à être appelé plat messager. Ce plat a une forte charge symbolique Se rencontrer pour manger la feijoada c'est refaire les mêmes gestes, des gestes connus de ces personnes. C'est revivre des sensations gustatives, olfactives, visuelles mais aussi tactiles au moment de la préparation de ce plat. Comme l'a dit une des personnes interrogées, l'odeur lui rappelle « l 'ambiance, les gens, la nourriture elle-même, ma famille, ma maison, ma mère. » La feijoada ce sont les madeleines de Proust... Souvent les communautés migrantes se retrouvent en groupe autour d'un plat qui symbolise la tradition. « C'est le cas du couscous des Maghrébins : ils n'en mangent pas tous les jours, 58 V Marques Boscher, « La feijoada : plat emblématique, expression d'une identité brésilienne en France », XVIIème congrès de l'AISLF. Tours juillet 2004. CR 17 « Sociologie et anthropologie de l'alimentation ». Lemangeur-ocha. com. Mise en ligne juin 2005 mais pour ceux qui sont partis, il représente l'âme de leur pays », a constaté Annie Hubert59. Ce plat investi d'une forte affectivité est dénommé plat totem par M Calvo60. Le plat totem sert de lien entre tous les migrants et permet le partage de souvenirs. Il explique que « pour le quotidien du groupe, le plat-totem (souvent préparé avec soin, et parfois minutie) incarne l'hédonisme et une sensorialité accrue. Il représente [...] une certaine retrouvaille d'un univers de sensations puissantes et pouvant être très différenciées ; et c'est par lui que se font les remémorations sensorielles les plus gratifiantes. Le plat bénéficie d'une une revalorisation culturelle. Il devient « l'objet-médiateur »61 d'une identité. « Il peut atteindre [...] un certain degré de totémisme alimentaire, devenir une représentation presque mythique (non seulement de l'alimentation du groupe, mais, en partie, de son identité), et les groupes se définissent alors et se situent par rapport aux autres en fonction de ce plat ». Le plat totem est un noeud de sens, et pourrait constituer le noeud d'un réseau. L'hypothèse démontrée dans cette partie, selon laquelle l'alimentation comporte une forte dimension identitaire constitue un second grand pilier de notre étude. C'est parce que les faits alimentaires sont culturellement définis, et associés à des aires géographiques, qu'ils détiennent une forte dimension identificatoire. La dernière partie de ce chapitre est consacrée à l'explication du choix d'une population étudiante pour observer le phénomène migratoire. Pourquoi avoir choisi un public d'étudiants pour examiner le maintien ou l'abandon de pratiques alimentaires ? |
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