II. La construction identitaire par l'alimentation
« La façon dont chacun mange est, de tous les
comportements, celui que les hommes choisissent le plus volontiers pour
affirmer leur originalité en face d'autrui
» Lévi-Strauss51.
Comment l'alimentation peut-elle être source
d'identification ? L'hypothèse que nous proposons est de
considérer la nourriture comme un instrument identificateur qui rend
possible une (re)création de l'identité culinaire lors du
séj our à l'étranger. Nous souhaiterions montrer comment
l'acte culinaire (moment nécessaire et essentiel dans notre
alimentation) participe à la construction identitaire. Comme le note
François-Xavier Medina52, les comportements alimentaires sont
un instrument explicite dont dispose les émigrants pour recréer
leur identité dans l'émigration.
Les nourritures du passé peuvent constituer un
fondement de l'identité d'un groupe social, les cuisines
régionales constituent une représentation symbolique de la nation
et l'identité nationale. L'alimentation renvoie également
à une représentation de l'étranger défini par ses
habitudes alimentaires. L'identité est une des principales questions
posées par les contacts entre les cultures ; l'alimentation des groupes
ethniques est partie intégrante du processus de maintien et
d'affirmation de l'identité ethnique. Dans le processus de migration,
l'identité alimentaire peut être mise en question.
1) Construire son identité alimentaire :
l'importance de la confrontation à l'autre
Si on se définit soi-même par son alimentation,
il faut aussi noter que le processus permet également de définir
l'Autre, l'étranger par le fait qu'il ne mange pas pareil que soi. Par
exemple, le surnom de Macaroni était donné aux immigrés
italiens en France. Le sentiment identitaire lié à la cuisine ne
s'exprime pas directement selon Annie Hubert53 mais en
négatif. Ainsi on n'est pas Japonais parce que l'on mange du poisson cru
avec la sauce ce soja, mais parce que tous les autres ne mangent pas comme eux.
C'est la cuisine de « l'autre » qui nous conforte dans notre
appartenance au groupe. Chaque culture va définir ce qu'elle
considère comme comestible et les étrangers sont ceux qui mangent
parfois des choses non comestibles pour nous.
C'est lorsqu'on doit quitter son pays, que l'on saisit
l'importance de « sa » cuisine, toute la me sure de tours de main qui
sécurisent, des odeurs, des goûts familiers qui
réconfortent. Leur spécificité et leur dimension
culturelle apparaissent par leur manque, dans le pays d'accueil, les plats sont
inconnus, rares voire introuvables.
L'altérité alimentaire est le sentiment de
différence dans la pratique alimentaire. Ce sentiment d'être
différent peut être vécu de façon positive ou
négative, et constituer un des éléments d'une
dévalorisation de l'identité. Le migrant peut avoir envie
d'estomper les différences perçues par les autres ou au contraire
avoir envie de manifester ces différences.
51 Lévi-Strauss, Claude, Mythologiques, IV,
L'homme nu, Plon, 1971
52 F-X Médina, « Alimentation et identité
chez les immigrants basques en Catalogne », Anthropology of Food,
Regards croisés sur quelques pratiques alimentaires en Europe,
Conference Maison Française d'Oxford, 19th October 2001
53 Hubert, Annie, « Cuisine et Politique, le plat national
existe-t-il ? », Revue des Sciences Sociales, 2000, N°27,
Révolution dans les cuisines
Annie Hubert remarque que ce n'est qu'avec le départ
à l'étranger qu'un plat se constitue en plat national. Les
Argentins émigrés parleront de l'asado avec sa sauce le
chimichuri comme d'un plat emblématique de leur pays, mais en Argentine
on ne songerait pas à en parler en ces termes. Le plat «
emblématique » ou le « plat totem » selon l'expression
d'E. Calvo54 se constitue dans la distance avec son pays et est
utilisé comme mémoire de soi et du groupe à
l'étranger. Il permet de recréer un souvenir idyllique du pays.
Les comportements alimentaires sont un instrument explicite dont disposent les
émigrants pour recréer leur identité dans
l'émigration.
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