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L'activité culinaire des étudiants étrangers

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par Frédérique Giraud
Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006
  

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Une sociologie de l'alimentation au prisme des migrations

Si voyager, c'est découvrir des paysages, des gens, des coutumes, c'est aussi manger ailleurs. Or, manger ailleurs surtout lorsqu'on est loin de chez soi, loin par rapport au quotidien connu et rassurant, c'est souvent manger autrement, selon une autre grammaire culinaire, d'autres plats, d'autres produits, différents de ceux que la coutume ou l'habitude nous offrent. Lorsque les hommes se déplacent, ils emportent aux eux leurs habitudes alimentaires. En arrivant dans un lieu et en y séjournant, une personne en migration se confronte à de nouvelles définitions de l'acte culinaire, à de nouvelles saveurs, à de nouvelles odeurs, à de nouvelles pratiques. La migration conduit à la mise en contact de systèmes alimentaires différents : ceux de la société d'accueil et ceux des migrants. C'est au travers de ces transformations du contexte que nous aimerions examiner l'acte culinaire. Il s'agit de considérer la dynamique des pratiques alimentaires8.

Quelles conséquences a-t-elle sur les conditions de mise en oeuvre de l'acte culinaire ? Qu'est-ce que cela implique au niveau du « faire la cuisine » quotidien que d'habiter dans un autre pays que le sien ? Dans quelle me sure le changement de pays est-il une épreuve difficile, source de conflits et quel impact cela a-t-il sur les pratiques culinaires ?

L'appréhension des pratiques alimentaires à travers la situation de migration offre une grille de lecture permettant de rendre compte de la nature culturelle des pratiques alimentaires. On naît dans un monde alimentaire comme on naît dans un monde linguistique et ce monde façonne nos aptitudes à goûter, à manger. Mais c'est aussi le moyen d'interroger la persistance, la stabilité des habitudes culinaires en dehors de leur aire originelle. Lorsqu'un mangeur vit dans un autre pays que celui de sa naissance, continue-t-il à manger de façon identique ? Conserve-t-il ses habitudes alimentaires ?

Nous nous inscrivons dans une sociologie des migrations, qui choisit le prisme de l'alimentation pour étudier le phénomène migratoire. La sociologie de l'alimentation peut

7 Op cit

8 Nous reprenons ici le titre d'un numéro spécial de la revue Techniques et Cultures, le numéro 31-32 consacré aux changements alimentaires. Marie Alexandrine Martin et Martine Garrigues-Cresswell (dir), Techniques et cultures. Dynamiques des pratiques alimentaires, Vol 3 1-32, 1998

prendre deux directions différentes : on peut la diviser en une sociologie par l'alimentation et une sociologie de l'alimentation.

Jean-Claude Kaufmann et François Asher par exemple développent une sociologie de l'alimentation qui passe par leurs champs référentiels et préférentiels. Depuis une théorisation des espaces urbains, des nouvelles formes de sociabilité qui y émergent ; depuis une analyse de la construction de l'individu, de la réflexivité imbriquée dans «l'hypermodernité» et des formes de liberté qui en résultent, François Ascher dans Le mangeur hypermoderne 9pointe des pratiques alimentaires qui confirment ses hypothèses. Après avoir réfléchi dans ses premiers ouvrages sur l'urbanisation, la vie urbaine et la modernité, il focalise son regard sur les comportements nourriciers spécifiques de l'hypermodernité. L'alimentation est examinée à l'aune de son paradigme de référence l'hypermodernité. Pour lui, le four à micro-onde et les portions individuelles, les McDo's, l'offre plurielle des restaurants citadins d'une façon générale manifestent l'émergence d'un mangeur de plus en plus autonome, individualisé.

Une sociologie de l'alimentation à travers les migrations

A l'inverse, mais de manière non stricte, nous voyons en l'alimentation un moyen de comprendre les migrations. Nous prenons les pratiques alimentaires comme centre de notre recherche dans le but de regarder autrement ce domaine. Nous défendons l'idée que l'étude des pratiques alimentaires pour évaluer l'acculturation d'un groupe d'immigrants transplanté dans un milieu ethniquement et géographiquement fort différencié de son foyer d'origine permet de mettre en exergue des éléments du fait alimentaire qui ne sont pas mis en avant aujourd'hui.

Notre regard sur l'alimentation est volontairement décentré par rapport aux problématiques majeures du champ de l'alimentation actuelles, qui réfléchissent surtout sur la notion de déstructuration des repas10. Nous sommes partis d'un questionnement issu de la lecture des travaux de B Lahire, notamment La culture des individus11, sur la pluralité des expériences d'un même individu au sein de contextes différents. Notre volonté de nous intéresser à l'alimentation nous a conduit à envisager une situation où un même individu serait conduit à mettre en oeuvre des pratiques différentes selon les contextes. C'est pourquoi nous nous sommes attachés à choisir une situation alimentaire qui au lieu d'être statique exemplifiait le mouvement, de là est venue l'idée de s'intéresser aux pratiques migratoires. La démarche de constitution de l'objet nous a conduit à partir de l'alimentation pour nous concentrer sur les pratiques culinaires des migrants. La recherche ici présentée se situe donc entre le domaine de la sociologie de l'alimentation et entre la sociologie des migrations, elle veut apporter un regard neuf aux deux domaines. Toutefois on concède au lecteur que le regard majeur porte tout de même sur l'alimentation.12

9 Le mangeur hypermoderne. Une figure de l'individu éclectique, Odile Jacob, Paris, 2005.

10 Herpin, Nicolas, "Le repas comme institution. Compte-rendu d'une enquête exploratoire",Revue Française de sociologie, XXIX, 1998, 503-521.

Fischler, Claude, L 'homnivore. Le goût, la cuisine et le corps, Paris: Odile jacob, 2001.

11 Lahire, Bernard, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris: La découverte, Textes à l'appui, Laboratoire des sciences sociales 2004.

12 Ce choix se manifeste dans la bibliographie que l'on trouvera en fin de mémoire.

Par ailleurs, ce projet pourrait être rapporté à une sociologie de la jeunesse qui voudrait examiner la prise d'autonomie et d'indépendance des jeunes par rapport à la famille, celle-ci étant manifeste ici par le départ à l'étranger et le recul pris ou non par rapport aux pratiques alimentaires de la famille depuis l'étranger. De même, on peut aussi apporter des éléments de compréhension à une sociologie de la famille sur ce même thème de l'autonomie par rapport aux traditions familiales.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams