Conclusion :
Ainsi le projet de loi a imposé aux
formations politiques la tenue annuelle de leur comptabilité, et la
soumission de celle-ci au contrôle d'un expert. Le texte précis
que les fonds des formations politiques doivent provenir des droits
d'adhésion des militants, des dons et subventions ainsi que des revenus
liés à l'organisation d'activités culturelles et sociales
en plus de l'aide de l'Etat. Les partis politiques sont, par ailleurs,
interdits de recevoir des aides financières - directes ou indirectes -
des collectivités locales, des institutions publiques et des
sociétés où l'Etat dispose d'une participation au capital.
Les partis politiques sont également interdits de recevoir des
subventions ou aides de quelque forme que ce soit provenant d'un pays
étranger, d'une personne morale soumise à une loi
étrangère ou d'une personne n'ayant pas la nationalité
marocaine. L'Etat participe, par ailleurs, au financement des campagnes
électorales des partis politiques et leur accorde une aide annuelle pour
subvenir à leur gestion. Le montant de la subvention devrait être
fixé en proportion avec le poids de chaque parti au sein des deux
chambres du Parlement. La subvention étatique est, cependant,
liée à la tenue des assises nationales des partis politiques.
Ainsi, en vertu de la loi, toute formation qui n'aura pas tenu son
congrès dans un délai de 4 ans se verra privée de l'aide
annuelle de l'Etat.
Pourtant, l'effet escompté n'a pas eu lieu
malgré l'enthousiasme que devait provoquer le principe de transparence
mobilisé par le projet de texte de loi. Les partis politiques
suggèrent le principe d'une aide financière,
indépendamment des dotations électorales ou des subventions
accordées aux journaux. Un financement permanent abrogera (ou du moins
atténuera) la règle du «brouillard et de la
débrouillardise» qui a longtemps prévalu. Le but, selon le
Rassemblement national des indépendants (RNI), est d'éviter que
des groupes d'intérêts monopolisent le champ politique. Mais
sur quelle base effectuer ce financement public? La plupart des partis parlent
du critère de la représentativité. Les expériences
étrangères montrent que c'est la proportionnalité qui est
la règle, et elle est calculée sur les voix ou sur les
sièges obtenus. Donc, exit les partis qui boycottent les
élections et qui n'ont aucun élu. Il reste que la transparence de
ce financement ne peut se baser uniquement sur l'activité
électorale. Le contribuable est dans le droit de connaître ce que
pèse chaque parti, c'est-à-dire le nombre d'adhérents,
surtout ceux qui payent leurs cotisations. A ce niveau, il risque d'y avoir
«de belles surprises». Car jusqu'à maintenant, les partis
revendiquent des chiffres plus au moins «fantaisistes». Il n'existe
pas encore de statistiques globales émanant d'un organisme
indépendant.
Naturellement, le critère de la
représentativité n'arrange pas tout le monde. Selon Omar Zidi du
Groupe socialiste unifié (GSU), le financement public doit se faire sur
la base de «programmes» comme c'est le cas pour certains ONG.
«C'est de cette façon que les partis seront des acteurs de
changement», soutient-il. A financement public permanent, contrôle
efficient. Presque tous les partis se disent prêts à faire
vérifier leurs comptes (le projet de loi les oblige à tenir une
comptabilité). Ils demandent cependant un contrôle impartial, que
seul le système judiciaire pourrait garantir. Ni le ministère de
l'Intérieur, ni même le Parlement ne devraient assumer cette
fonction, souligne-t-on. Le premier serait en même temps «juge et
partie». Le second est exposé aux risques d'influence partisane.
Sept décennies après l'apparition du premier
noyau embryonnaire d'une organisation politique nationale, dans les
années 30, le Maroc opte pour une loi, qui, au-delà de garantir
le libre exercice de l'action politique, compte y mettre de l'ordre. Un projet
jugé nécessaire par l'Etat.
Si le dahir du 15 novembre 1958, réglementant le droit
d'association, a institué le droit, il n'a pas pour autant
détailler toutes les exigences d'une vie partisane saine et efficace.
Si on connaissait la fonction des partis, leur définition précise
nous échappe, même si la Constitution de 1962 a confié aux
partis politiques un rôle «d'organisation et de
représentation des citoyens» ; il n'en demeure pas moins que la
notion de parti est restée, depuis lors, une notion vague. Il fallait
donc commencer par l'évidence. «Le parti politique -stipule le
premier article de l'avant-projet- est la convention par laquelle des personnes
physiques mettent en place une organisation permanente et à but non
lucratif (...) en vue de participer, par des voies, à la gestion des
affaires publiques». Ensuite, vient le rôle des partis. Reprenant
les dispositions constitutionnellement établies sur l'organisation
citoyenne et la représentativité nationale, l'article 3 y ajoute
«la formation des élites capables d'assumer des
responsabilités publiques et à l'animation du champ
politique». Désormais, il ne suffit plus d'avoir des
affinités partagées et des opinions communes, couplées
à un volontarisme «instantané» pour former un parti.
«La constitution des partis politiques ne peut se justifier -selon le
projet de loi- uniquement par la volonté de quelques personnes, mais
doit correspondre principalement à un besoin social et territorial en
profondeur». Pour ce faire, plus de 13 articles fixent les
modalités, les dispositions et autres conditions. D'où «une
déclaration signée par 1000 membres fondateurs répartis en
fonction de leur résidence effective, dans au moins la moitié des
régions du Royaume pour que le congrès constitutif du parti soit
valablement réuni».
Un parti, c'est aussi et surtout un programme. Longuement
décriés, sinon pour leur manque de visibilité, du moins
pour leurs programmes identiques, la plupart des partis n'auront plus le droit
de se dérober à cet impératif. La création d'un
parti appelle à la présentation d'un programme. En clair, et
selon l'article 20, les membres fondateurs doivent déposer, entre
autres, cinq exemplaires des projets de programme. En plus, l'article 21
stipule que : «tout parti politique doit avoir un programme et des statuts
écrits». Elaborer une feuille de route pour résorber les
problèmes des pays requiert le concours de toutes les composantes du
parti.
Or, une certaine hémorragie organisationnelle, devenue
presque endémique, empêche la majorité de nos partis de
l'apport d'une partie de ses élites. Montré de l'index, le
fonctionnement interne n'est pas toujours au diapason de ce postulat.
Marquée par une onde de choc -quasi permanente- la vie interne a
toujours été sujette à des remous, parfois sismiques,
à des scissions continues. D'où le remède :
démocratie interne. Cheval de bataille pour des militants mal à
l'aise ou en mal de majorité, d'une part, et question
perpétuellement ajournée, à raison ou à tort, la
démocratie se taille la part du lion dans la nouvelle loi. Les partis
sont ainsi: «appelés à être organisés et
administrés sur des bases et des principes démocratiques donnant
vocation à tous les membres de participer effectivement à
différents organes». Tout y est : mode d'organisation interne,
droits et devoirs des adhérents, tenue des congrès. Le projet
dresse, sans l'expliciter, un bilan négatif à ce propos.
En témoigne surtout l'accent porté sur la
représentativité interne : «c'est également sur des
bases et des principes démocratiques -lit-on dans la note de
présentation- que les statuts fixent le mode de choix et
d'accréditation des candidats aux différentes consultations
électorales». Un constat sans appel qui ne ménage personne :
il faut réformer les outils de la réforme que sont les partis.
Une transparence en appelle une autre: le financement.
Aléatoire ou occulte, l'argent de la politique est une autre zone
d'ombre dans la vie interne. Nerf de la démocratie, il n'est pas
toujours utilisé à bon escient, ni obtenu dans la transparence.
D'où la mise sur pied de mécanismes de contrôle des
justificatifs de dépenses au titre de l'aide accordée par l'Etat.
En contrepartie, les partis auront d'autres possibilités de financement
par l'Etat.
En cas de non-respect de ladite loi, des sanctions allant
jusqu'à la dissolution, sont prévues dans l'esprit du respect
même des exigences de l'Etat de droit. Les dispositions de l'article
4-entre autres- sont, à cet effet, très claires : «Est nulle
et de nul effet toute constitution de parti politique ayant pour but de porter
atteinte à la religion islamique, à la forme monarchique de
l'Etat ou à l'intégrité territoriale du Royaume ou qui, de
manière générale est fondée sur une cause ou en vue
d'un objectif contraire aux dispositions de la constitution ou fondée
sur une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale».
Jusqu'à l'écriture de ces lignes, ce
projet de loi relatif aux partis politiques n'a pas encore atterri au
Parlement. Mais entre temps, il est passé au Conseil de Gouvernement, et
l'Etat a pris en considération certaines critiques des partis
politiques. Et du coup, le nouveau projet de loi a remodelé ou
supprimé plusieurs dispositions, concernant les conditions de
constitution, de financement et de suspension.
Ainsi, le nouveau projet a fixé le nombre de
fondateurs à 300 au lieu de 1000. Il en va de même pour le nombre
de congressistes, ramené à 500, au lieu de 1500 requis dans
l'avant-projet initial. Le pouvoir de dissoudre ou suspendre un parti est
donné à la justice, au lieu du ministère de
l'Intérieur. Autre surprise de taille sera l'interdiction de la
transhumance des députés entre les groupes parlementaires.
Concernant le financement de l'action politique,
l'éligibilité à l'aide publique se fera en fonction de la
représentativité des partis à l'échelle nationale
et locale. Pour les petits partis qui n'atteindraient pas le pourcentage de
voix requis pour être éligibles, ils auraient la
possibilité de nouer des alliances afin que la somme de leurs voix
atteigne le seuil d'éligibilité. Ils pourraient ensuite se
partager la subvention étatique. Toujours à propos du
financement, l'article 38 de l'avant-projet, stipulant qu'une commission
présidée par un juge de la Cour des comptes et composée
d'un juge de la Cour suprême, d'un représentant de
l'Intérieur et d'un inspecteur des finances examinerait les
dépenses que les partis engageraient au titre de la contribution de
l'Etat dans le financement des campagnes électorales, a
été modifiée et simplifiée. Seule la Cour des
comptes pourra contrôler les dépenses faites par les partis lors
des élections.
Maintenant, reste à savoir, quelle issue
trouvera ce projet de loi ? . Pour les optimistes, il y aura un vote
favorable. Le texte malgré ses défauts, est une avancée
dans le processus de réhabiliter le champ politique marocain. Pour le
camp des pessimistes, ce projet de loi doit être rejeté, car c'est
une loi liberticide, qui maintien la mainmise de l'Etat, et favorise
l'ingérence de l'Etat dans les affaires des partis politiques.
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