Les modes alternatifs de reglement des litiges fiscaux au Camerounpar Martial Rony KUE TOUKAM Université de Maroua - Master recherche 2017 |
CHAPITRE I :LA CONCEPTION RESTRICTIVE DES MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES LITIGES FISCAUX
A côté de la juridiction contentieuse33 qui débute par la saisine préalable de l'Administration fiscale avant de culminer chez le juge, en cas de litige, il existe une juridiction gracieuse34. Celle-ci consiste en un ajustement que l'Administration fiscale fait subir, dans un cas particulier, à une règle générale dont l'application rigide aboutirait à une injustice. Il s'agit ainsi d'une faculté qu'à l'Administration fiscale de déroger à l'application de la loi fiscale en vue d'autoriser le non-paiement provisoire ou définitif, total ou partiel d'impôts ou des pénalités légalement dues. Son champ recouvre en droit positif la remise, la transaction, les décharges de responsabilité solidaire et les demandes d'octroi des délais supplémentaires des paiements des impôts. Dans notre législation fiscale, cette juridiction gracieuse est conçue de manière restrictive et cette conception restrictive s'articule autour des principaux modes alternatifs des règlements des litiges fiscaux à l'oeuvre dans notre droit fiscal, à savoir la transaction (Section I) et la remise gracieuse (Section II). 17 33 ATECK A DJAM (F.), Droit du contentieux fiscal camerounais, op. cit., p. 2. 34 Ibid, p. 2. 18 SECTION I : LA CONCEPTION RESTRICTIVE DE LA TRANSACTION FISCALEL'article L125 du Livre des Procédures Fiscales
(LPF)35 du Code Général des Impôts (CGI) dispose
: « Sur proposition du Directeur Général des
Impôts, le Ministre chargé des finances peut autoriser, dans le
cadre d'une transaction, une modération totale ou partielle des
impositions dans les deux cas suivants . - avant la mise en recouvrement suivant une
procédure de contrôle , En cas d'acceptation de cette proposition de transaction
par le contribuable, celui-ci s'engage expressément . - à ne pas introduire une réclamation
ultérieure , - à se désister des réclamations ou des
requêtes par lui introduites , - à acquitter immédiatement les droits et pénalités restant à sa charge»36. La lecture attentive de l'article précité laisse transparaitre les modalités de la transaction fiscale au Cameroun. A l'analyse, il se dégage une rigueur dans les conditions (Paragraphe I) et dans la procédure (Paragraphe II). Paragraphe I : La rigueur des conditions de la transaction fiscaleDe manière générale, la transaction est un contrat, qui peut être conclu entre l'Administration et le contribuable en cas de contestation née ou à naitre. Elle peut être utilisée, si une imposition est contestée ou susceptible de l'être. Elle peut également l'être, notamment en France, dans le cas où une action judiciaire aurait été entreprise par l'Administration fiscale contre un contribuable. Dans ce dernier cas, le contribuable concerné est en droit d'utiliser la transaction même en l'absence de toute possibilité de contestation. Cette démarche est susceptible d'interdire l'engagement de l'action judiciaire ou d'y mettre fin37. Concrètement, la transaction prend la forme d'un accord écrit entre l'Administration et le contribuable. Il s'agit de la formalisation d'accords et de concessions réciproques38. 35 Le Livre des Procédures Fiscales, après le Livre premier qui concerne les impôts et taxes, en est le second qui regroupe les articles du Code General des Impôts relatifs aux procédures suivies pour asseoir, contrôler ou recouvrer l'impôt ainsi que les sanctions fiscales, pénales, les garanties et voies de recours des contribuables. 36Voir Code Général des Impôts, article L125 du Livre des Procédures Fiscales, Yaoundé, édition officielle Sopecam, 2018, p. 246. 37 Voir site https://www.cabinet-d-expertcomptable.com, Consulté le 11 janvier 2019. 38JARROSON (C.), « Les concessions réciproques dans la transaction », Paris, Recueil Dalloz, 1997, p. 267. 19 L'article L125 du LPF du CGI39 qui explicite les modalités de la transaction fiscale met en relief des conditions assez rigoureuses qui vont de l'interdiction de la conclusion de la transaction avant l'émission d'un avis de mise en recouvrement suivant une procédure de contrôle (A) à la triple obligation tenant à l'observance d'engagements stricts (B). A. L'interdiction de la conclusion d'une transaction avant l'émission d'un avis de mise en recouvrement suivant une procédure de contrôle De manière générale, la procédure de contrôle sur le plan fiscal débute par un avis de vérification40 (vérification générale de comptabilité et contrôle ponctuel). A la fin des travaux sur place, une notification de redressement motivée et chiffrée en cas d'anomalies est servie, et celle d'absence de redressement l'est s'il n'existe pas d'anomalies41. En vertu du principe du contradictoire42, la réponse du contribuable à la notification de redressement est attendue. Cette dernière est examinée par l'Administration qui, après avoir planché sur les arguments de défense du contribuable, donne sa position définitive à travers une lettre de réponse aux observations du contribuable43; accompagné d'un avis de mise en recouvrement (AMR) qui fixe la créance définitive que doit régler le contribuable. Il convient ainsi de noter que l'AMR est l'élément décisif qui rend certaine et obligatoire la dette du contribuable envers l'Administration44. Une fois établi, le contribuable se doit de payer sa dette sinon toutes les mesures de recouvrement y compris celles forcées sont enclenchées pour recouvrer la créance45. Dans notre arsenal législatif fiscal, les contribuables désireux de transiger ne le peuvent pas dès lors que l'AMR est établi. Or, à titre de droit comparé, en France la procédure est plus ouverte et souple. Contrairement au Cameroun où la transaction porte sur le principal de l'impôt et les pénalités, en France elle porte sur les pénalités non définitives, c'est-à-dire avant que les voies de recours juridictionnelles n'aient été épuisées. Toutefois et c'est à ce niveau que se situe la différence fondamentale, contrairement au Cameroun où il existe une interdiction stricte de transiger dès 39 Source : Code Général des Impôts. 40 Voir Code Général des Impôts, article L13 du Livre des Procédures Fiscales, op. cit., p. 216. 41 Voir Code Général des Impôts, article L24 (al1) du Livre des Procédures Fiscales, op. cit., p. 220. 42 KARIM (S.A.), Droits fondamentaux du contribuable et procédures fiscales, Paris, l'Harmattan, 2007, p. 10. 43 Voir Code Général des Impôts, article L26 du Livre des Procédures Fiscales, op. cit., p. 220. 44 Voir Code Général des Impôts, article L53 du Livre des Procédures Fiscales, op. cit., p. 229. 45 Voir Code Général des Impôts, article L55 du Livre des Procédures Fiscales, op. cit., p. 230. 20 lors que l'AMR est établi, en France l'émission d'un AMR quelle que soit sa provenance (contrôle ou gestion) n'interdit nullement la conclusion d'une transaction fiscale46. Il apparait clairement que cette disposition limite fortement la volonté de transiger des contribuables ; ceci se trouve encore renforcé par les obligations édictées dans l'article L125 du CGI du LPF précité. B. La triple obligation tenant à l'observation d'engagements stricts de la part du contribuable En cas d'acceptation de la proposition de transaction par le contribuable, il s'engage à respecter une triple obligation : - L'impossibilité de l'introduction d'une réclamation ultérieure ; - Le désistement des réclamations ou requêtes déjà introduites ; - Et l'acquittement immédiat des droits et pénalités restant à sa charge. En fait, le contribuable en donnant son accord, les effets juridiques de la transaction le privent de toute marge de manoeuvre en matière de réclamations contentieuses en cours et future. De surcroit, il est obligé de s'engager à régler dans l'immédiat l'intégralité de la dette restant à sa charge dans des délais très courts et étroitement surveillés par le Service de recouvrement concerné. Il va sans dire qu'il s'agit là de conditions substantielles relatives à la validité de la transaction dont l'inobservance entraine de facto sa nullité. Autant l'impossibilité de la conclusion d'une transaction avant l'émission d'un AMR et cette triple obligation contraignante caractérisent la rigueur des conditions de la transaction; autant au niveau de la procédure, la rigueur est également de mise. |
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