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Les modes alternatifs de reglement des litiges fiscaux au Cameroun


par Martial Rony KUE TOUKAM
Université de Maroua - Master recherche 2017
  

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SECTION II : LE MODÈLE FRANÇAIS DE MÉDIATION FISCALE

Il est sans doute utile d'insister de nouveau sur la nécessité de relativiser les appellations officielles tant la frontière entre médiation et conciliation est tenue. Le parti a été pris de considérer que le médiateur a, par rapport au conciliateur, un rôle plus actif et plus technique dans la recherche d'une solution au litige. Dès lors les comités et commissions étudiées ci-après ont été considérés comme relevant de la médiation plutôt que de la conciliation.

Seules deux instances se réclament explicitement de la médiation dans le domaine de la fiscalité (Paragraphe I). Mais un certain nombre d'autres organes existent (comités et commissions) dont le rôle peut s'apparenter à celui d'un médiateur (Paragraphe II).

Paragraphe I : Les organes de médiation stricto sensu

Il existe aujourd'hui deux organes de médiation dont la compétence couvre notamment les relations entre les contribuables et l'administration fiscale, à savoir le médiateur de la république (A) et le médiateur des ministères économiques et financiers (B).

A. Le médiateur de la République

Le médiateur de la République est une institution créée par la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 pour aider les personnes qui contestent une décision ou un comportement de l'Administration française, notamment de l'administration fiscale. Inspiré de l'Ombudsman suédois et du commissaire parlementaire anglais, son rôle est de dénoncer les travers de l'administration, tels que l'illégalité ou l'inefficacité de l'administration. Si une réclamation lui paraît fondée, il « fait toutes les recommandations qui lui paraissent de nature à régler les difficultés dont il est saisi et, le cas échéant, toutes propositions tendant à améliorer le fonctionnement de l'organisme concerné »149.

Le médiateur de la République est nommé par le Conseil des ministres pour 6 ans non renouvelables. Ce caractère non renouvelable est une condition de son indépendance, qui se caractérise aussi par sa soustraction au pouvoir hiérarchique : il ne reçoit pas d'ordre et ne peut être relevé de ses fonctions qu'en cas d'empêchement dûment constaté150.

Il ne peut pas être saisi directement par le contribuable. Il est nécessairement saisi par l'intermédiaire d'un parlementaire. Le requérant doit adresser sa réclamation à un député ou à

149 Loi n° 73-6 du 3 janvier 1973, article 1er.

150 HUBLOT (M-L.), Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transferts entre entreprises associées, Thèse, Université de Panthéon-Assas, 2014, p. 280.

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un sénateur151, qui la transmet au médiateur si elle lui paraît entrer dans le champ de compétence de celui-ci et mériter son intervention. Ce rôle de filtre confié aux membres du Parlement est

notamment destiné à éviter les saisines abusives ou inutiles car hors de la compétence du
médiateur.

Sa compétence comprend l'activité des administrations d'État, des collectivités locales, des établissements publics, et les organismes chargés d'une mission de service public. Depuis le texte de 1973, cinq lois ont étendu les compétences du Médiateur152 mais aucune ne lui a donné de compétence particulière en matière de règlement des litiges résultant d'un redressement fiscal.

Il est toutefois intéressant de souligner l'évolution de l'institution dans le sens du renforcement très important de ses moyens d'actions. Conçu initialement comme « une sorte d'intercesseur gracieux entre le citoyen et l'administration...une autorité morale destinée à convaincre plutôt qu'ordonner »153, le médiateur s'est vu attribuer le pouvoir de « recommander à l'organisme mis en cause toute solution permettant de régler en équité la situation du requérant ».

Il dispose à cette fin de larges pouvoirs. Il a le pouvoir de vérification et d'enquête : les ministres et toutes les autorités publiques doivent lui donner communication de tout document ou dossier concernant l'affaire sur laquelle il enquête et les agents des services publics sont tenus de lui répondre. A défaut de réponse satisfaisante dans les délais qu'il a fixés, il peut rendre publiques ses recommandations. Il dispose également d'un pouvoir disciplinaire de substitution puisqu'il peut engager une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent manifestement fautif si l'autorité compétente refuse de le sanctionner. Il a par ailleurs la possibilité de demander la modification de la loi ou du règlement par une proposition de réforme, au-delà des cas individuels qui lui sont soumis, afin d'améliorer le fonctionnement de

151 L'administré peut faire appel à n'importe quel député ou sénateur et non aux seuls élus de sa circonscription ou de son département.

152 A savoir, une loi du 24 décembre 1976, qui renforce les liens avec le Parlement, précise les relations avec les juridictions, élargit les bases de l'action en équité, autorise la proposition de réforme législative ; une loi du 13 janvier 1989 qui renforce l'indépendance du médiateur ; la loi d'orientation du 6 février 1992 qui permet aux personnes morales de saisir le médiateur ; une loi du 12 avril 2000 qui autorise le médiateur à s'autosaisir en matière de réforme, consacre l'existence des délégués et définit leur rôle, instaure la présentation d'un rapport annuel au Parlement et enfin élargit la saisine du médiateur de la République à ses homologues étrangers et au médiateur européen, qui peuvent désormais transmettre directement au médiateur de la République les réclamations qui leur paraissent mériter son intervention. Cette disposition permet à la France de s'aligner sur ses partenaires de l'Union européenne qui prévoient tous, à l'exception de la Grande-Bretagne, ce type de saisine entre médiateurs; enfin, l'ordonnance du 25 mars 2004 qui prévoit que les délégués exercent leurs fonctions à titre bénévole.

153 Déclaration de M. Pléven, garde des sceaux, JO, déb. Ass. nat., 15 décembre 1972, pp. 6209-6210.

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l'administration ou empêcher les situations injustes de se reproduire. Sur ce point précis, il importe de marquer un temps d'arrêt afin de montrer de manière pratique le rôle joué par le Médiateur de la République en France, en évoquant de manière exhaustive les trois propositions de réformes formulées et les deux mesures adoptées par le Parlement français154.

En matière fiscale, le Médiateur de la République a formulé en 2017 trois propositions de réforme.

En premier lieu, il s'agissait d'oeuvrer pour autoriser le rattachement des enfants de moins de 25 ans non étudiants au foyer fiscal des parents : les enfants majeurs célibataires sont imposés personnellement de plein droit, sauf à demander le rattachement au foyer fiscal de leurs parents. Ils doivent pour cela avoir moins de 21 ans ou entre 21 et 25 ans et poursuivre des études. Le Médiateur a proposé de supprimer la condition liée à la poursuite des études pour ne retenir que la limite d'âge fixée à 25 ans155.

En second lieu, améliorer le régime fiscal des veufs avec enfants non issus du mariage avec le conjoint décédé : l'impôt sur le revenu des personnes seules est normalement calculé sur une part et celui des personnes mariées sur deux parts. Par exception, les veufs ayant des enfants à charge issus de leur mariage avec le conjoint décédé conservent leur quotient familial. Cette règle ne s'applique pas si les enfants ne sont pas issus du mariage avec le conjoint décédé. Le Médiateur a proposé de supprimer cette distinction. Cette mesure de pure équité et dont le coût est modeste a été adoptée dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2007 du 25 décembre 2007156.

En troisième lieu, rendre automatique l'application de la technique du quotient pour certains revenus différés : certains contribuables ayant perçu en une seule fois des revenus différés qu'ils auraient dû déclarer sur plusieurs années, sont susceptibles de subir un impact fiscal important du fait de la progressivité du barème. Les effets sont atténués par la technique dite « du quotient», mais son application est subordonnée à une demande expresse du contribuable. Constatant que de nombreux contribuables ignorent cette possibilité, le Médiateur a proposé de rendre automatique l'application du dispositif du quotient pour certains revenus différés157.

154 Voir Médiateur Actualités du Journal du Médiateur de la République, janvier 2008, n°33, p. 3. Site htpps:// www.mediateur-republique.fr, Consulté le 27 avril 2019.

155 Ibidem.

156 Ibid.

157 Ibid.

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En matière fiscale également, certaines de ses propositions de réformes de 2006 et 2007, ont été mises en place en 2007 et en 2008158.

C'est le cas notamment de l'institution d'un droit à décharge de la solidarité fiscale entre ex-conjoints : depuis plusieurs années, le Médiateur avait constaté l'augmentation des réclamations mettant en cause la responsabilité solidaire des conjoints au plan fiscal, source de situations difficiles notamment lorsque les conjoints sont séparés, en instance de divorce ou divorcés. La loi de finances pour 2008 a institué un droit à décharge de responsabilité solidaire suite à la rupture de la vie commune. L'ex-conjoint ou l'ex-partenaire d'un pacte civil de solidarité, poursuivi en qualité de débiteur solidaire d'une dette fiscale commune, pourra demander une répartition équitable de cette dette. La décharge de l'obligation de paiement sera accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et la situation financière et patrimoniale du demandeur, à condition qu'il ait respecté ses obligations fiscales depuis la rupture159.

Et c'est le cas aussi de l'égalité des droits des créanciers et des débiteurs d'aliments dans l'accès à l'information fiscale : la loi relative à la simplification du droit du 20 décembre 2007, a institué l'égalité des droits entre les créanciers et les débiteurs d'aliments dans l'accès à l'information fiscale160. Cet accès, qui était ouvert jusqu'ici aux seuls créanciers d'aliments, permet de consulter les listes des personnes assujetties à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés établies par les services fiscaux. A travers les plaintes que reçoit le Médiateur de la République, il est en prise directe avec la réalité fiscale et les débats qu'elle suscite. Il est ainsi un observateur privilégié de la société. Il est aussi un acteur de l'évolution de la règlementation fiscale par sa force de proposition des réformes.

Son approche de l'impôt est à cet égard indissociable des mutations qui s'opèrent dans la société et de la modernisation de l'État. Il contribue finalement à replacer les problématiques fiscales dans le cadre plus général de l'action publique.

158 Voir Médiateur Actualités du Journal du Médiateur de la République, janvier 2008, n°33, p. 3. Site htpps:// www.mediateur-republique.fr, Consulté le 27 avril 2019.

159 Ibid.

160 Ibid.

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Enfin, le Médiateur de la République dispose du pouvoir d'injonction161. Il peut, en cas d'inexécution d'une décision de justice, obliger l'administration à s'y conformer dans un délai qu'il fixe.

Si cette injonction n'est pas suivie d'effet, l'inexécution de la décision de justice peut faire l'objet d'un rapport spécial, publié au Journal Officiel.

A la faveur de ces évolutions, Bruno OPPETIT soulignait justement qu' « on s'éloigne de plus en plus d'un personnage de bonne volonté simplement chargé de s'entremettre entre personnes en litiges pour faciliter un accord : il serait plus exact de voir aujourd'hui dans le médiateur une autorité investie d'un rôle quasi-décisoire exercé dans le cadre d'une mission de caractère éventuellement très directif »162.

Depuis le 11 mars 2011, le médiateur de la République a été remplacé par le Défenseur des droits, à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Ses attributions incluent celles exercées par le médiateur de la République, le défenseur des enfants, la commission nationale de déontologie de la sécurité et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. A côté du médiateur de la République, il ya le médiateur des ministères économiques et financiers.

B. Le médiateur des ministères économiques et financiers

Le médiateur des ministères économiques et financiers a été institué par le décret n° 2002-612 du 26 avril 2002163. Il a pour mission de recevoir toutes les réclamations individuelles des personnes physiques ou morales en cas de litige persistant sur le fonctionnement d'un service de ces ministères. Toutefois, il n'a pas à interférer avec une procédure de contrôle fiscal en cours.

Il est saisi directement par l'usager ou par son conseil. Sa saisine n'interrompt pas les délais de recours de droit commun.

Le médiateur n'est compétent que si la réclamation qui lui est adressée a été précédée d'une démarche préalable auprès du service concerné et que celle-ci a fait l'objet d'un rejet

161 HUBLOT (M-L.), Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transferts entre entreprises associées, Thèse, Université de Panthéon-Assas, 2014, p. 253.

162 OPPETIT (B.), Théorie de l'arbitrage, 1998, Paris, P.U.F, p. 58.

163 Décret n° 2002-612 du 26 avril 2002, JO 28 avril 2002, Dr.fisc.46/02 n° 910.

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total ou partiel164. En matière fiscale, la notion de première démarche a été précisée165 : il peut s'agir de l'engagement du recours hiérarchique, de l'introduction d'une réclamation. En revanche, le dialogue contradictoire entre le contribuable et l'administration fiscale ne peut pas constituer en lui-même la première démarche permettant de saisir le médiateur.

La majorité des demandes de médiation concernent les usagers de la direction générale des finances publiques, notamment pour des litiges relatifs à l'assiette de l'impôt et à son recouvrement166. Le médiateur a notamment été saisi dans le cadre de l'application des conventions fiscales. Dans une espèce, un contribuable avait été imposé en France au titre de ses salaires perçus en France. Il demandait la décharge de ces impositions au motif qu'il était domicilié dans un autre État. Le médiateur a proposé de confirmer la position de l'administration fiscale dès lors que le contribuable ne démontrait pas avoir subi une double imposition par la production des avis d'imposition émanant des autorités étrangères167.

L'examen des demandes de médiation est réalisé en droit mais aussi en équité, en toute indépendance. Cette indépendance par rapport aux services de l'administration est garantie par le fait que le médiateur n'est pas sous leur autorité, que son mandat, qui dure trois ans, est irrévocable et qu'il dispose d'un budget propre et du personnel nécessaire à son activité168.

En pratique, le médiateur ouvre la procédure d'instruction de la demande en saisissant d'abord le service concerné du ministère, afin de connaître les motifs de droit et de fait qui ont conduit à ne pas accepter la position de l'usager. Compte tenu de tous les éléments qu'il recueille ou estime utile de se faire communiquer par l'une ou l'autre des parties, le médiateur propose une recommandation, qui est toujours motivée en droit ou au regard de la situation personnelle de l'usager. Celle-ci n'a pas pour effet de lier les parties qui restent libres de décider de s'y conformer ou pas169. L'Administration est simplement tenue de l'informer des suites qu'elle entend donner à cette dernière.

164 Article 3 du décret du 26 avril 2002.

165Voir Rapport 2011 du médiateur des ministères économiques et financiers, http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/mediateur/Rapport 2011.pdf

166 Voir Rapport 2011 du médiateur des ministères économiques et financiers, http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/mediateur/Rapport%202011.pdf

167 Voir Rapport 2012 du médiateur des ministères économiques et financiers, http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/mediateur/Rapport%202012.pdf

168 Le médiateur dispose d'un délégué, d'un chargé de mission et de six conseillers experts dans les domaines relevant de sa compétence. Au moment de leur prise de fonction, ces personnes suivent une formation de professionnalisations des médiateurs.

169 Décret n° 2002-612 du 26 avril 2002, op. cit., Article 5.

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En conséquence, les décisions du médiateur n'ont pas le caractère de décisions administratives susceptibles de faire l'objet d'un recours par la voie contentieuse. Elles ne peuvent pas être soumises au contrôle du juge de l'excès de pouvoir. Ainsi, la cour administrative d'appel de Paris a jugé, par un arrêt du 3 février 2010, qu'il résulte des termes mêmes des dispositions instituant le médiateur des ministères économiques et financiers, qu'il ne dispose que du pouvoir d'émettre une proposition dénuée de caractère contraignant à l'égard des services du ministère lorsqu'une réclamation lui paraît fondée. Dès lors, une lettre adressée au contribuable aux termes de laquelle aucune recommandation n'est proposée à l'administration ne présente pas le caractère d'une décision susceptible de faire l'objet d'un recours contentieux170.

Si la recommandation est acceptée par les deux parties, elle est alors mise en oeuvre par l'administration. Si en revanche, le service concerné du ministère n'accepte pas la recommandation proposée par le médiateur, celui-ci peut soumettre directement l'affaire à l'appréciation de l'administration centrale, telle que la Direction Générale des Finances Publiques. Dans le cas où l'administration centrale maintient la position initiale sans apporter une raison qui paraît légitime au médiateur, celui-ci peut soumettre le litige à l'appréciation du ministre qui tranche alors définitivement la contestation171.

Enfin, s'agissant des délais de traitement, le rapport 2012172 indique que 62% des médiations ont été rendues dans un délai inférieur à 60 jours173.

Le recours au médiateur des ministères économiques et financiers permet donc de mettre fin à un différend de manière, efficace et rapide.

En dehors de ces deux organes, il existe d'autres instances chargées d'aider les contribuables et l'Administration à résoudre leurs différends en matière fiscale.

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