Les modes alternatifs de reglement des litiges fiscaux au Camerounpar Martial Rony KUE TOUKAM Université de Maroua - Master recherche 2017 |
Paragraphe II : Une procédure contradictoire et efficaceL'une des caractéristiques fondamentales qui limite la transaction et la remise gracieuse, c'est l'absence du principe contradictoire. Elles sont plutôt profondément marquées du sceau de la discrétion de l'Administration. Or la conciliation fiscale est une procédure contradictoire (A) et efficace en ce qu'elle participe au décongestionnement des prétoires (B). A. Le caractère contradictoire de la procédure de conciliation fiscaleÉgalement invoqué par la locution latine « audi alteram partem », la contradiction est traditionnellement présentée comme « la garantie fondamentale d'une justice saine, loyale et équitable »109. Le conciliateur est tenu d'entendre les arguments en fait et en droit de chacune des parties en litige et d'examiner leurs pièces avec leur accord. Car il ne dispose d'aucun pouvoir d'injonction de communication des pièces. Afin de respecter ce principe, il est tenu de 107 OTIS (L.), « La justice conciliationnelle : l'envers du lent droit », Revue Internationale d'Ethique sociétale et Gouvernementale, Automne 2001, Vol. 3. n°2, p. 1. 108 CADIET (L.), « Solution judiciaire et règlement amiable des litiges : de la contradiction à la conciliation », In Mélanges C.Champaud, 1997, p. 329. 109 FRISON-ROCHE (M-A.), Généralités sur le principe du contradictoire, Thèse, Paris 2, 1988, p. 50. 55 confronter ensemble les parties ou peut les entendre séparément dans le but de donner toute chance de succès à la conciliation sans porter atteinte à la contradiction. La conciliation fiscale, procédure non contentieuse et volontaire, invite ainsi à une application souple de la contradiction. Laquelle doit aboutir à un accord en permettant au tiers conciliateur, en fonction de l'espèce, d'entendre séparément les parties au litige. Ceci est d'autant plus vrai que l'objet de la conciliation est de régler les différends en ayant recours à l'instauration ou à la restauration du dialogue. Cela nécessite effectivement une mise en confiance préalable des parties, laquelle ne peut pas se faire si ces dernières sont constamment placées face à face. Ce qui s'apparenterait à une confrontation, tel un duel judiciaire, qui aurait toutes les chances de rester infructueuse. C'est pourquoi, il importe que, pour permettre aux parties de renouer ou nouer le dialogue, celles-ci soient en mesure de se trouver seules à seules avec le conciliateur, lequel se chargera de transmettre les informations qui lui auront été communiquées, à l'autre partie, selon la technique de la navette110. Il convient tout de même de noter le débat au sein de la doctrine en ce qui concerne l'encadrement ou non des procédures de conciliation et de médiation par des principes de droit processuel. L'origine conventionnelle de ces procédures semble a priori devoir les affranchir de toute règle trop contraignante, au nom du principe de la liberté contractuelle et, en tout état de cause, les limiter au seul respect des principes directeurs111du droit des contrats. Au soutien de cette thèse, deux justifications sont avancées. La première consiste à dire que le consentement des parties d'entrer en pourparlers d'origine conventionnelle emporte éviction du traitement juridictionnel de leur litige112, renonciation temporaire à leur droit au juge. Autrement dit il ya affranchissement de l'application stricte de certaines règles de fond comme de forme et donc non soumission au respect des principes directeurs du procès ou à tout le moins de la majeure partie d'entre eux. La seconde justification consiste plus simplement à dire que les principes directeurs du procès n'ont été conçus que dans la perspective d'un traitement juridictionnel du litige113, parce que celui s'achève par une décision qui s'impose aux parties. Or pour que cette décision soit 110 LAGARDE (X.), Droit processuel et modes alternatifs de règlement des conflits, In Revue de l'arbitrage, 2001, p. 438. 111 GHESTIN (J.), La formation du contrat, Paris, LGDJ, 2001, p. 177. 112 LAGARDE (X.), Droit processuel et modes alternatifs de règlement des conflits, op. cit., p. 440. 113 Ibidem, p. 450. 56 acceptable, il est impératif qu'elle soit « la traduction d'un idéal de justice »114dont les principes directeurs du procès et, au-delà, les principes fondamentaux du procès équitable, sont l'expression. Aussi, des lors que les parties substituent au traitement juridictionnel de leur litige un traitement purement consensuel et amiable, les principes directeurs du procès n'ont plus lieu d'être115. Aux principes processuels doivent être substitués les principes directeurs du droit des contrats, a priori suffisant pour assurer une justice contractuelle. En vérité, ces deux explications sont un peu extrêmes, dans la mesure où les conventions concernées ne sont pas des contrats ordinaires. Elles ont trait au règlement amiable des litiges si bien que « l'existence d'une contestation déteint sur leur régime contractuel »116précise un auteur avant d'ajouter que « parce que le règlement amiable a pour objet un litige, il ne peut entièrement s'abstraire des règles normalement applicables à son objet »117. Plus encore, on ne peut faire abstraction du fait que la conciliation et par extension la médiation sont amenés à se dérouler éventuellement dans le cadre d'une instance, ce qui implique que les exigences de l'ordre public processuel sont également à prendre en considération dans la détermination des principes applicables à ces procédures. Il ya donc une place pour les principes de droit processuel dans la conciliation. Cependant, une stricte application des principes directeurs du procès n'est pas envisageable car elle « empêcherait à coup sûr l'émergence d'une issue négociée au litige »118faute pour les parties, de disposer de suffisamment de liberté de manoeuvre. Aussi, c'est une application souple et parcimonieuse de ces principes, moyennant leur aménagement, qu'il convient plutôt d'envisager. Avec la conciliation fiscale, c'est moins la lettre des principes de droit processuel qui doit prévaloir que leur esprit. Son caractère contradictoire est effectif même s'il peut faire l'objet de certains aménagements mais son efficacité n'est plus aussi à démontrer. B. Le caractère efficace de la procédure de conciliation fiscale La conciliation fiscale est efficace en ce sens qu'elle permet de désencombrer les tribunaux étatiques qui souffrent déjà de tendances lourdes. Ils souffrent notamment de 114 Ibidem, p. 452. 115 Ibid, p. 460. 116 LAGARDE (X.), Droit processuel et modes alternatifs de règlement des conflits, op. cit., p. 464. 117 Ibidem, p. 435. 118 Ibid, p. 439. 57 procédures « lourdes, complexes, frustrantes, couteuses, aux délais infinis et aux débats acrimonieux »119. D'ailleurs, en France, les mécanismes de règlement amiables des litiges ont montré leur efficacité puisque moins de 1% de ces litiges sont soumis au juge120. En cela, la conciliation constitue un enjeu dans la transformation du système judiciaire. Ces dernières années, la justice traditionnelle est décriée. Face à ces critiques, l'on assiste à la désinstitutionalisation de la régulation des conflits pour mieux répondre à la demande croissante d'une justice rapide, moins couteuse, souple et proche des justiciables121. En limitant les litiges fiscaux en justice, la conciliation fiscale constitue « un mode de désengorgement des juridictions »122 selon les mots du Premier Président de la Cour d'appel de Bordeaux, dans son discours de rentrée solennelle en 2015. Cette procédure est perçue comme un moyen de moderniser la justice et de rendre le droit plus accessible aux citoyens. La conciliation fiscale contrairement aux modes alternatifs à l'oeuvre dans notre législation fiscale a une plus-value théorique. Loin de la rigueur des conditions, des procédures de la transaction et de la remise, elle se démarque par la souplesse, le faible coût, le caractère contradictoire et l'efficacité de sa procédure. L'étude du modèle français nous permettra de ressortir les mécanismes pratiques. 119 OTIS (L.), « La justice conciliationnelle : l'envers du lent droit », op. cit., p. 1. 120 Cette statistique est disponible sur le site : www.mediateur-republique.fr, janvier 2008, N°33. Consulté le 10 janvier 2017. 121 GORCHS (B.), « La conciliation comme enjeu dans la transformation du système judiciaire », In Droit et société, 2006, N°62, p. 223. 122 FERRIERE (D.), « Discours de rentrée solennelle », In les Annales de la Seine, le 12 février 2015. 58 |
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