Paragraphe II : Les raisons de la faiblesse du volume
des dossiers de remise reçues
L'exercice de la juridiction gracieuse en matière
fiscale est un champ de prédilection du pouvoir discrétionnaire.
En effet, en la matière « c'est un pouvoir
discrétionnaire qui est en cause et dont l'emploi fait peser de
très sérieux risques au respect du principe de
l'égalité devant l'impôt et recèle un danger tout
particulier d'arbitraire »86.
Le sentiment ou la perception du contribuable d'une
administration fiscale suprême ayant la faculté de déroger
à l'application de la loi fiscale en autorisant de manière
autonome sans système de contrôle, le non-paiement provisoire ou
définitif, total ou partiel de pénalités
83 Ibidem, p. 18.
84 Source : Direction Générale des
Impôts.
85 Source : Direction Général des
Impôts.
86 LENA (H.), Aspect de la juridiction
gracieuse en droit fiscal, In MBOME (F.), Le contentieux fiscal
camerounais, Yaoundé, Presses Universitaires d'Afrique, 2000,
p.163.
39
légalement dues ; ce sentiment d'arbitraire
disions-nous, apparaissent comme des raisons démotivant le contribuable
à usiter cette procédure, car rompant le sacro-saint principe de
l'égalité devant l'impôt.
Il s'agit de raisons objectives qui encadrent le contenu de la
décision gracieuse. Celle-ci est essentiellement
caractérisée par une procédure non contradictoire
(A) et l'absence d'une obligation de motiver
(B).
A. La procédure non contradictoire attachée
à la procédure de remise gracieuse
Si l'enclenchement de la procédure de remise
dépend de la volonté du contribuable, son aboutissement
dépend discrétionnairement du bon gré de l'administration
qui n'implique nullement le contribuable. Or en matière
juridictionnelle, le principe du contradictoire est un principe
général de la procédure contentieuse. Le juge est tenu
d'instruire contradictoirement les affaires qui lui sont soumises.
En matière administrative, la modalité qui
consiste à faire participer l'administré à
l'opération normative est rare. L'action administrative reste
caractérisée par des pouvoirs exorbitants et, en particulier par
l'absence de participation des particuliers dans l'édiction de l'acte
administratif, ceux-ci n'en prenant connaissance en principe qu'au moment de
son entrée en vigueur87.
Dans la pratique, la procédure de traitement des
remises gracieuses n'appelle pas d'échanges particuliers entre les
services du Fisc et le contribuable. Une fois la demande formulée par
écrit, le service s'assure que le contribuable s'est acquitté du
principal de l'impôt, des conditions formelles de la demande. Dès
lors que la demande est déposée, la procédure devient
purement interne à l'administration et l'agent instructeur n'est
aucunement obligé de recueillir des observations du contribuable. A la
fin de l'instruction de la demande, l'autorité signataire (Le Chef de
Centre Régional des Impôts, le DGE, le DGI ou le MINFI), qui n'est
tenu de requérir aucun avis, accorde ou rejette la demande et notifie sa
décision au contribuable88.
La démarche qui encadre cette procédure est
essentiellement non contradictoire. Elle est de nature à laisser libre
cours à toute sorte d'arbitraire, à rompre le principe
d'égalité devant
87 KAMDEM (J.C.), Institutions administratives et
droit administratif. Cours polycopiés, Tome 1, Université de
Yaoundé, année universitaire 1988-1989, p. 235.
88 Voir Code Général des
Impôts, article L144 du Livre des Procédures Fiscales,
op.cit., p. 250.
40
l'impôt. Toutes choses de nature à
démotiver le contribuable à user de cette procédure.
L'absence de l'obligation de motiver la décision gracieuse constitue une
autre raison.
B. L'absence de l'obligation de motiver de la
décision gracieuse
Les motifs sont l'énoncé dans l'acte, des
considérations de fait et de droit ayant inspiré l'auteur de
l'acte. La motivation des actes administratifs est dans le principe facultatif
sauf si une prescription textuelle l'exige expressément, confirmant
ainsi l'adage « pas d'obligation de motiver sans texte ».
Cette liberté de l'administration quant à la motivation de ses
actes, par ailleurs non absolue89, existe dans de nombreux domaines
d'intervention de la puissance publique.
Au plan des procédures fiscales, la juridiction
gracieuse en constitue un exemple patent. Aucun texte ne pose le principe d'une
obligation de motiver les réponses de l'administration en matière
gracieuse. Même s'il est vrai qu'il existe en procédure fiscale
des dispositions qui prévoient la motivation des
décisions90, il nous parait impossible d'invoquer un principe
général de droit. En la matière, cette absence s'explique
car sur le plan gracieux, il ne s'agit plus de considérations de droit.
Le demandeur de la clémence administrative peut évoquer tout
motifs sauf ceux de droit, il s'agit généralement des motifs
économiques, d'indigence, de gêne, de tension de
trésorerie. Cet état de fait distingue fondamentalement la
juridiction gracieuse du contentieux proprement dit.
Il reste que, même compréhensible, l'inexistence
d'une obligation de motiver est juridiquement déplorable. En effet, elle
ne facilite pas la mise en place d'un contrôle juridictionnel réel
de l'activité de l'administration fiscale dans ce domaine. L'implication
davantage du juge s'impose d'elle-même91.
En effet, il faut relever que la faculté de
l'administration fiscale de recevoir et de statuer sur une demande de remise
gracieuse est conditionnée entre autres, selon les dispositions de
l'article L141 du LPF du CGI92, à la gêne ou
l'indigence mettant les redevables dans
89 Les exceptions textuelles et jurisprudentielles.
Une exception réglementaire à la règle de la non
motivation est constituée par l'article 14 du décret n°77-91
du 25 mars 1977 déterminant les pouvoirs de tutelle sur les communes qui
exige la motivation de l'arrêté ministériel qui annule les
délibérations d'un conseil municipal. C'est également le
cas en matière fiscale lorsque Ministre chargé des Finances
rejette la réclamation contentieuse d'un contribuable (article L 123 du
LPF)
90 Entre autres : Article L27 sur la motivation des
pénalités ; Article L 40 sur la motivation du délai
supplémentaire en matière de vérification de
comptabilité ; Article L 123 sur le rejet de la réclamation
préalable du contribuable en matière contentieuse.
91 ZO RASAMOELINA (A.), « Le juge fiscal
à l'aune de la démocratisation de la justice : comment faire face
au recul du droit au procès des contribuables ? », op.cit., p.
2.
92 Source : Direction Générale des
Impôts.
41
l'impossibilité de se libérer envers le
Trésor. Dans ces conditions, le pouvoir d'accorder une remise partielle
ou totale ne relève en aucune manière de la discrétion de
l'Administration ; il est plutôt question de compétence
liée. En ce sens, un système de contrôle est de mise et
l'octroi d'une remise partielle ou totale non justifiée serait passible
de sanction. Si tant est que, il est de principe que les agents ne peuvent
abandonner l'établissement et le recouvrement d'un impôt dû
; or il s'agit là des principales attributions de l'administration
fiscale. Bien plus, s'agissant de créance publique le renoncement au
recouvrement d'un impôt par une remise non justifiée pourrait en
effet engager la responsabilité de l'administration
fiscale93.
Cette absence de motiver les décisions gracieuses
renforce le sentiment d'arbitraire et de subjectivité de ces
décisions, d'où la tendance pour les contribuables à
délaisser cette procédure qui n'offre aucune garantie
d'objectivité.
93 FOUQUET(O), « La responsabilité de
l'administration fiscale : jusqu'où ? », Etudes fiscales
internationales, 2011, p. 24.
CONCLUSION DU CHAPITRE II
|
43
La conception restrictive des modes alternatifs de
règlement des litiges fiscaux à savoir la transaction et la
remise ont de facto entrainé des limites sur le plan pratique,
la cause produisant l'effet.
Cette pratique viciée, comme nous l'avons
démontrée sur la base des statistiques se manifeste par le faible
volume des dossiers de transaction et remises reçues. Cette faiblesse du
volume constatée dénote ipso facto le faible engouement
des contribuables à usiter ces procédures.
Dans un essai de compréhension, nous avons pu relever
des raisons tant objectives que subjectives qui pourraient expliquer cette
pratique limitée. Des raisons psycho-sociales ont été
avancées, des mobiles techniques également. Mais, l'absence du
principe du contradictoire et de l'obligation de motiver les décisions
gracieuses se révèlent comme des tendances lourdes qui
pèsent sur la volonté du contribuable de transiger ou d'user de
la procédure de remise. Car finalement, la transaction reste un contrat
d'adhésion et la remise fortement caractérisée par la
subjectivité de ses décisions qui conduisent à
l'arbitraire.
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
44
Dans cette première partie, nous avons
présenté les imperfections du dispositif existant des modes
alternatifs de règlement des litiges fiscaux à l'oeuvre dans
notre système fiscal. D'abord au niveau théorique, il s'est agi
d'une conception restrictive de la transaction fiscale et de la remise
gracieuse, marquées par la rigueur de leurs conditions et de leurs
procédures. Ensuite sur le plan pratique, à partir des
statistiques et des éléments factuels, nous avons exploré
des pistes d'explications qui ont débouché sur la pratique
limitée de la transaction et la remise. Le constat froid du faible
volume de leurs demandes enregistrées au plan national94,
montre à suffisance l'essoufflement du système alternatif de
règlement des litiges fiscaux au Cameroun. D'où
l'impérieuse nécessité d'essayer autre chose. Nous
formulerons dans une seconde partie des propositions en terme de mode
alternatifs novateurs ayant fait leur preuve ailleurs comme en France.
Lesquelles propositions devraient permettre à notre système
fiscal de continuer sa mue en se rapprochant le plus possible des
modèles internationaux sans pour autant négliger nos
réalités socio-politiques.
45
94 Source : Direction Générale des
Impôts.
46
DEUXIÈME PARTIE :
L'EXTENSION SOUHAITABLE DES MODES
ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES
LITIGES FISCAUX AU CAMEROUN
47
INTRODUCTION DE LA SECONDE PARTIE
|
48
Après avoir dans la première partie mis en
exergue la consécration limitée des modes alternatifs de
règlement de litiges fiscaux à l'oeuvre dans notre système
fiscal, la présente partie se veut projectrice. Elle entend, à
partir de certains modes novateurs alternatifs de règlement de litiges
fiscaux souples, proposer leur insertion dans notre dispositif juridique
fiscal.
Il s'agit de procédures qui instaurent les conditions
d'un échange contradictoire. Elle offre ainsi au contribuable et
à l'administration en conflit, la possibilité de se
réapproprier la solution de leurs litiges à travers une «
justice douce » et « concertée »95 issue de la
volonté des parties ou sous l'égide d'un tiers.
Caractéristiques qui tranchent nettement avec les modes alternatifs de
règlement des litiges fiscaux étudiés plus haut. Ceux-ci
faisaient prévaloir le pouvoir discrétionnaire de
l'administration cumulé au caractère non contradictoire de la
procédure96.
Ces modes novateurs alternatifs de règlement de litiges
fiscaux sont la conciliation fiscale (Chapitre I) et la
médiation fiscale (Chapitre II).
95 TAGNE TOIKADE (T.S.), « La
conciliation en droit judiciaire privé camerounais », HAL, 2016,
Consulté 30 juillet 2018 sur le site des archives ouvertes : http://
hal.archives-ouvertes.fr/ hal-01333621, p. 2.
96 ATANGA FONGUE (R.), Le contrôle fiscal
et protection du contribuable dans un contexte d'ajustement structurel : le cas
du Cameroun, op. cit., octobre 2006, p. 256.
49
|