Paragraphe II : Les raisons de la faiblesse du volume
des dossiers transactionnels
L'impôt est un construit social dont l'efficacité
suppose dans toute la société une adhésion massive des
sujets fiscaux. Chaque société a un ensemble de valeurs autour
desquels se bâtit sa cohésion68. Transiger est une
faculté qui est ouverte aux contribuables qui veulent alléger le
poids de leur dette fiscale. Pourtant dans la pratique, nous notons peu
d'engouement en la matière. Des raisons psycho-sociales (A)
et des mobiles techniques (B) peuvent expliquer cet
état de chose.
65 Source : Comité du contentieux fiscal,
douanier et des changes français, Rapport Annuel à l'intention du
Gouvernement et du Parlement, 2016, p. 9.
66 Source : Direction Générale des
Impôts.
67 Source : Ibidem.
68 FOTSING (J-B.), Le pouvoir fiscal en Afrique
: essai sur la légitimité fiscale dans les États d'Afrique
Noire Francophone, Paris, LGDJ, 1995, p. 3.
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A. Les raisons psycho-sociales
Parler de paradoxe en ce qui concerne cette faiblesse du
volume des dossiers transactionnels ou encore de la faculté offerte aux
contribuables de transiger n'est pas exagéré.
En effet, la transaction peut être
considérée comme l'héritière de l'arbre à
palabre69 africaine. Dans leur souci de normalisation et de
résolution des conflits, les peuples africains ont accordé une
importance capitale aux procédures de négociation70.
L'arbre à palabre, véritable juridiction de la parole, est
l'expression d'une véritable culture de la paix dont le but est
d'apaiser les esprits71. Comme nous pouvons le voir, la transaction
est fortement liée à l'arbre à palabre en termes
d'approche de résolution des conflits. C'est vrai l'un est écrit
et l'autre est oral mais il n'en demeure pas moins vrai qu'ils poursuivent le
même but.
La transaction notamment fiscale est pourtant peu usitée.
Sur le plan psychologique d'abord cela s'explique :
Transiger pour le contribuable, c'est remettre quasiment son
sort, son destin à cet ogre, monstre froid, « diabolus ex
machina » qu'est l'Administration caractérisée par la
discrétion de ses décisions qui entraine une certaine
partialité. Dans ce système, « l'administration fiscale
reste maitresse de la procédure. Elle accepte ou refuse la transaction
et pèse lourdement sur la décision du
contribuable»72.
Par ailleurs, transiger c'est également admettre
déjà son tort, les multiples fraudes mises à nu par le
Fisc. Or, ce qui caractérise l'être humain c'est sa propension
à davantage retenir pour soi que céder aux autres. Ce
schéma se ramène au contribuable face à l'État. Le
contribuable est poussé par l'appât du gain et se retrouve en
situation de frauder, de fausser les rapports vis-à-vis du Fisc qu'il
croit berner et contourner73.
Sur le plan social ensuite, cela s'explique également :
Le facteur justifiant la faiblesse du volume des dossiers
transactionnels est le pragmatisme dans la détermination du contenu du
redressement lors des procédures de
69 NGANGO YOUMBI (E-M.), « les modes
alternatifs de résolution des litiges administratifs en Afrique Noirs
francophone », Revue Africaine de Sciences Politiques et
Sociales, n° 21, mars 2019, p. 234.
70 Ibidem, p. 233.
71 THIERNO BAH, « Les fondements
endogènes d'une culture de la paix en Afrique : les mécanismes
traditionnels de prévention et de résolution des conflits en
Afrique Noire », Publication de l'UNESCO, p. 6.
72 BARILARI (A.), Le consentement à
l'impôt, Paris, Presse de la Fondation Nationale de Sciences
Politiques, 2000, p. 129.
73 MEKONGO (J.M.), Les retenues à la source
dans le système fiscal du Cameroun, op. cit., 2005, p. 128.
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contrôles. Notons que l'administration dispose d'une
suffisante marge de manoeuvre dans la fixation des droits et
pénalités réclamés au contribuable.
Le réalisme commande aussi dans la pratique que le Fisc
tienne compte de la capacité contributive réelle du
contribuable74. Sinon à quoi servirait-il à
l'administration de réclamer à un contribuable des sommes qu'il
ne peut payer ? La logique actuelle du rendement du contrôle commande une
prise en compte des capacités financières du contribuable. Dans
cette optique, il n'est pas étonnant que les dossiers de transaction
soient faibles car la plupart des litiges sont encadrés dès la
base.
Il s'agit des raisons psycho-sociales qui expliquent la
faiblesse du volume des dossiers transactionnels. A côté il existe
également des raisons techniques.
B. Les mobiles techniques
Les mobiles techniques touchent aux lenteurs des
procédures et au défaut d'encadrement des contribuables.
En ce qui concerne les lenteurs de procédure, l'absence
d'un manuel de procédure de traitement de la transaction qui fixerait
objectivement les délais de traitement, la procédure
usitée... dénote à suffisance la navigation à vue
et est de nature à décourager les contribuables à
transiger. A titre d'exemple, en 2018, la durée de traitement des
dossiers de transaction est d'environ 82 jours en
moyenne75. Rendu au 31 décembre 2018, les instances se
déclinent à 21 demandes non vidées pour
des enjeux de 7 802 658 099 FCFA, soit 4 902 215 267 FCFA en
principal et 2 900 442 832 FCFA au titre des majorations et
intérêts de retard76.
Parlant du défaut d'encadrement des contribuables, il
convient de noter tout de même les efforts consentis par la DGI sur ce
plan. Une cellule de communication nationale avec ses composantes
régionales ont été créés mais beaucoup
d'efforts restent à fournir notamment pour l'encadrement des petites et
moyennes entreprises (PME). En dehors des contribuables citoyens «
gullivériens » de la Direction des Grandes Entreprises
(DGE) qui ont un service dédié de communication à la
carte, les PME dit contribuables « cendrillon » ne
bénéficient pas toujours d'une grande sollicitude de
l'administration fiscale en termes de pédagogie fiscale. Les
informations courantes sont constituées des rappels des obligations
fiscales et des échéanciers
74 ATANGA FONGUE (R.), Le contrôle fiscal
et protection du contribuable dans un contexte d'ajustement structurel : le cas
du Cameroun, Thèse de doctorat en droit public, Université
du MAINE, Faculté de Droit et des Sciences Economiques, octobre 2006, p.
187.
75 Source : Direction Générale des
Impôts.
76 Source : Ibidem
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de paiement, délaissant ainsi l'indispensable action
d'information, de concertation et d'éducation des contribuables non
seulement sur leurs devoirs mais également sur leurs droits.
En conséquence, celui-ci, soit mal informé, soit
peu informé, soit pas du tout informé, des procédures
offertes à lui pour alléger sa dette fiscale à l'instar de
la transaction, ne peut que l'ignorer.
Les conseils fiscaux qui devaient prendre le relais en les
encadrant efficacement ont souvent plutôt pactisé avec le Fisc,
détériorant ainsi leur neutralité et leur rôle
premier qui est d'abord de défendre les intérêts de leurs
clients qui sont les contribuables.
Il a été démontré que la
transaction fiscale est limitée dans la pratique compte tenu du faible
volume des dossiers transactionnels enregistrés dans la durée,
qui dénotent de la faiblesse des contribuables à transiger. Des
raisons subjectives et objectives ont été relevées pour
expliquer cet état de chose. La remise gracieuse n'est pas en reste, le
schéma explicatif développé au niveau de la transaction
s'y applique mutatis mutandis.
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