Du principe de non-refoulement face au défi de l’immigration clandestine dans le bassin méditerranéenpar Du Congo Bakunzi Université libre des pays des grands lacs - Licence en Droit 2022 |
Paragraphe 2. APPLICATION DU PRINCIPE DE NON REFOULEMENT AU REGARD DE L'IMMIGRATION CLANDESTINEFace aux flux migratoires croissants et dans un climat marqué par la lutte antiterroriste, la politique des Etats en Europe est marquée par un durcissement en matière d'asile.Les États sont alors tentés au nom de la sécurité nationale de limiter les entrées sur le territoire. Le principe de non-refoulement interdit cependant à un Etat de renvoyer un individu dans un pays s'il existe un risque que cet individu soit soumis à une persécution, torture ou traitements dégradants en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.63(*) Si l'importance de ce principe n'est pas contestée, le caractère absolu de cette interdiction diffère en droit international d'asile et en droit international des droits de l'homme. Cette différence est perceptible à la lecture du texte de la Convention de Genève de 1951 qui prévoit à son article 33(2) une exception en présence « de raisons sérieuses de (...) considérer [le réfugié] comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ».64(*) En droit international des droits de l'homme, on constate une prohibition absolue du refoulement s'il existe un risque de mauvais traitements ou de torture, ce qui ne pas cas en droit d'asile.65(*) Certains dénoncent une dichotomie entre les deux branches de droit.66(*)L'appréhension de ce principe en droit de l'UE est particulière, en ce qu'elle semble adopter les deux approches. L'affaire C-391/16 au sujet de validité de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette Directive, constitue à cet égard une opportunité pour clarifier la position du droit de l'UE.67(*) Cette affaire concerne trois questions préjudicielles traitées conjointement en ce qui concerne la validité des paragraphes 4, 5 et 6 de l'article 14 de la directive qui concernent les cas de révocation et de refus du statut de réfugié lorsqu'un individu représente une menace pour la sécurité nationale ou pour la sociétéde l'Etat. Les juridictions de renvoi soulèvent la question de la validité de la directive en ce qu'elle introduirait une nouvelle forme d'exclusion du statut de réfugié non prévue par la Convention de Genève et serait ainsi contraire au droit de l'UE qui pose que la politique commune en matière d'asile doit être conforme à cette Convention. Les conclusions rendues le 21 juin 2018 par l'avocat général Melchior Wathelet, qui affirme la validité de la directive, ouvraient la voie à une position européenne alignée sur le modèle suivi par les juridictions de droits de l'homme. La question se pose alors de déterminer l'apport des conclusions de l'avocat général concernant la compréhension du principe de non-refoulement en droit de l'UE et comment cette approche se positionne par rapport à celle suivie par la Cour européenne des droits de l'homme. La comparaison entre ces deux ordres juridiques est importante en raison de leur connexion. En effet, si la Convention européenne des droits de l'homme ne lie pas directement l'Union européenne, tous les Etats membres sont également parties à cette Convention. Les États parties à la CEDH peuvent être tenus responsables pour un acte commis dans le cadre de l'application du droit de l'UE.68(*) A plusieurs reprises, la Cour européenne des droits de l'homme est venue bouleverser la politique commune européenne en matière d'asile.69(*) Si le principe de non-refoulement fait l'objet d'une compréhension initiale contradictoireen droit de l'UE contrairement à la position ferme de la CourEDH (A), les conclusions de l'avocat général ouvrent la voie à une interprétation de la directive 2011/95 alignée sur la jurisprudence de cette dernière (B). A. LE PRINCIPE DE NON-REFOULEMENT : LA FERMETE DE LA COUREDH CONTRE L'APPROCHE CONTRADICTOIRE DU DROIT DE L'UNION EUROPEENNEL'affaire en cause se présente comme l'opportunité idéale afin de clarifier la position du droit de l'UE sur le principe de non-refoulement, marquée par une certaine confusion (1) contrairement à l'approche de la CourEDH qui a réaffirmé au cours de sa jurisprudence la nature non-dérogeable de ce principe (2). 1. De la nécessité d'une clarification de la nature du principe de non-refoulement en droit de l'UE Si le principe de non-refoulement est ancré en droit primaire et secondaire européen, la lecture de ces textes révèle une contradiction concernant la compréhension de ce principe. Aux termes de l'article 78 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne relatif à la politique commune en matière d'asile, qui fait référence à l'obligation de respecter le principe de non-refoulement, pose que cette politique doit être conforme à la Convention de Genève de 1951. Or la Convention de Genève admet à l'article 33(2) deux exceptions à ce principe reprises par l'article 21(2) de la directive. Cependant, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à son article 19(2) n'admet aucune dérogation à ce principe en cas de risque de peine de mort, torture ou mauvais traitements. Cette confusion est également renforcée en raison d'une jurisprudence antérieure floue de la Cour de Justice. En effet dans son arrêt H.T (C-373/13), la Cour de Justice semble adoucir le caractère absolu de ce principe, en proclamant notamment à son paragraphe 72 que les conséquences de la directive 2004/83 remplacée par la directive en cause étaient potentiellement drastiques (...) puisque le demandeur d'asile est alors susceptible d'être renvoyé vers un pays où il pourrait courir un risque de persécution.70(*) Cette contradiction était déjà relevée par Pieter BOELES71(*)qui souligne cependant que l'article 21 de la directive laisse la possibilité d'une interprétation conforme aux droits de l'homme. En effet, le second paragraphe de cet article précise que les Etats Membres ne peuvent refouler que lorsque cela ne leur est pas interdit en vertu de leurs obligations internationales. Or, celles-ci incluent notamment le respect de la jurisprudence de la CourEDH qui protège également les individus contre le refoulement.72(*) 2. La nature non-dérogeable du principe de non refoulement en cas de risque de torture et mauvais traitements devant la cour de Strasbourg Si la Convention européenne des droits de l'homme ne contient pas de référence à ce principe, c'est la CourEDH qui au cours de sa jurisprudence l'a fait découler de l'article 3, qui prohibe la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette interdiction trouve sa source dans l'arrêt Soering. La Cour a réaffirmé cette interdiction dans l'arrêt Chahal contre Royaume Uni en proclamant que, bien qu'il appartienne aux Etats de réguler l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux, ils ne peuvent procéder au refoulement « s'il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on l'expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3 de la Convention »73(*) La Cour a démontré de façon constante au cours de sa jurisprudence qu'aucune justification ne pourrait être admise pour déroger à ce principe si le refoulement emporte la violation de l'article 3. Dans l'arrêt précédemment mentionné, bien que la Convention de Genève trouvât application et qu'en application de l'article 33(2) de celle-ci l'individu ne pouvait se prévaloir de la protection contre le non-refoulement, la Cour a réaffirmé le caractère absolu de l'article 3. Celle-ci proclame que « l'interdiction des mauvais traitements énoncée à l'article 3 est tout aussi absolue en matière d'expulsion. Si l'on remarque ainsi une certaine divergence des positions de la CourEDH et du droit de l'UE, les conclusions de l'avocat général apportent une confirmation opportune de la nature absolue du principe de non-refoulement. * 63Article 33 de la Convention de Genève de 1951. * 64Article 33 de la Convention de Genève de 1951. * 65F. MESSINEO, Art. Cit., p. 25. * 66J. MINK, « EU Asylum Law and Human Rights Protection: Revisiting the Principle of Non-Refoulement and the Prohibition of Torture and Other Forms of I|I-Treatment», In European Journal of Migration and Law, 2012, pp. 130-131. * 67 CEDH, Arrêt C-391/16 au sujet de validité de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, 2016. * 68CourEDH, requête n°45036/98,Bosphorus Hava Yollari Turizm Ve Ticaret Anonim Sirketi v. Ireland &8154-155, 2005. * 69 CourEDH, requête n°30696/09, MSS et autres contre Belgique du 21 janvier 2011 * 70CJUE, aff. C-373/13,H.T. c/ Land Baden-Wurttember, 24 juin 2015, § 72. * 71 P. BOELES, « Non-refoulement: Is part of the EU's Qualification Directive Invalid? », In European Law Analysis, 2017. * 72Idem. * 73 CourEDH, requête n°22414/93, Chahal c. Royaume-Uni, 1996, §§ 73-74. |
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