II.1) Clarification des concepts
Afin de mieux comprendre d'entrée de jeu le sens de
notre thème d'étude, une clarification conceptuelle
s'avère nécessaire. Selon QUIVY et CAMPENHOUDT (1995), «
sans la conceptualisation, la recherche se perd dans le flou,
l'imprécision et l'arbitraire». Ainsi, dans ce sous chapitre,
nous éluciderons quelques concepts indispensables à la
compréhension de notre discours. Il s'agit notamment des concepts crise
; éducation ; éducation en situation de crise ; gestion de
l'éducation ; activités pédagogiques et
socioéducatives ; prise en charge ; dispositions organisationnelles ;
dispositions matérielles ; dispositions psychosociales ; mobilisation
sociale et engagement social.
? Education en situation de crise
Avant toute définition, il convient de préciser
que le concept « Education en situation de crise » couvre plusieurs
appellations qui renvoient à une même réalité. Dans
les documents que nous avons consultés, il est parfois fait usage de
« Education en situation d'urgence », « Education en situation
de crise » ou « Education en situation de post-crise ». Pour la
présente recherche, le concept « Education en situation de crise
» sera utilisé. Mais essayons d'abord une définition des
termes « éducation » et « crise ».
Selon Georges ROCHE (2002), le terme « éducation
» vient du latin educare qui signifie d'abord tirer du sein de la
mère, puis amener à, élever. L'éducation est
à la fois le processus de développement des facultés
morales, physiques et intellectuelles et le résultat de ce processus. E.
DURKHEIM, quant à lui, la définit « comme l'action
exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont
pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objectif de susciter et
de développer chez l'enfant un certain nombre d'états physiques,
intellectuels et moraux que réclame de lui et la société
politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est
particulièrement destiné ». Cette définition
donnée par Durkheim met en exergue les exigences de la
société sur le
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comportement de l'individu, en tant que membre de cette
société, sans toutefois s'intéresser aux aptitudes
personnelles qu'il pourrait développer. Cependant, la Ligue
Internationale d'Education Nouvelle, citée par MIALARET (1976, p.5),
estime que
L'éducation est un processus qui « consiste
à favoriser le développement aussi complet que possible des
aptitudes de chaque personne, à la fois comme individu et comme membre
d'une société régie par la solidarité.
L'éducation est inséparable de l'évolution sociale ; elle
constitue une des forces qui la détermine ... ».
Cette définition donnée par la Ligue
Internationale d'Education Nouvelle nous semble plus démocratique car
elle met en congruence les intérêts individuels de l'être et
celles de la société.
Le mot « crise » quant à lui, est un terme
polysémique employé dans une multitude de domaines tels que
l'économie, la politique, la justice etc. Selon Le Robert, le terme
« crise » vient de l'étymon grec krisis, qui signifie
«décision » c'est-à-dire une réponse à
une situation particulière. Charles F. Hermann cité par YACOUBI
(2014) définit la notion de « crise » comme « une
situation qui menace les buts essentiels des unités de prise de
décision, réduit le laps de temps disponible pour la prise de
décision, et dont l'occurrence surprend les responsables».
C'est dire alors qu'une crise est un ensemble de difficultés qui affecte
négativement la bonne marche d'une situation jugée normale.
Cependant, LAGADEC(1991) pense que toute difficulté ne doit pas
être assimilée à une crise. Mais, c'est au moment où
les fonctions spécialisées dans la résolution de la
difficulté ne sont plus à mesure d'assurer le retour à la
situation normale qu'on parle de crise. L'on pourrait donc caractériser
la situation d'insécurité que traverse le Burkina Faso comme une
crise sécuritaire car les structures habilitées à assurer
la sécurité des biens et des personnes ne sont plus en mesure
d'atteindre leurs objectifs dans certaines localités du pays. Par
conséquent, des populations se déplacent pour rejoindre des zones
plus sécurisées. Nous pouvons dès à présent
envisager une définition du concept « Education en situation de
crise ».
Le Réseau Inter-agences pour l'éducation en
situations d'urgence (INEE) décrit l'éducation en situation de
crise comme :
une opportunité pour un apprentissage de qualité
à tout âge dans des situations de crise; y compris le
développement de la petite enfance, l'instruction primaire, secondaire,
non formelle, technique, professionnelle, supérieure et pour les
adultes, qui offre une protection physique, psychosociale et cognitive,
permettant de maintenir et sauver des vies (INEE, 2012).
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Elle est envisagée à la fois comme un outil de
protection des enfants contre toutes formes d'exploitations et comme un
dispositif essentiel pour répondre aux besoins psycho-sociaux des
enfants et véhiculer des messages de paix et de réconciliation
(MAGALI, 2010). Par ailleurs, Save the Children dans son guide pour
l'éducation en situation d'urgence donne la définition suivante :
« un ensemble d'activités conceptuelles permettant aux
apprenants de continuer à s'instruire de manière
structurée, même dans des situations d'urgence, de crise ou
d'instabilité à long terme » (Save the Children, 2007).
Ainsi, nous pourrions, à la lumière de cette définition
dire que l'éducation en situation de crise est perçue comme un
effort supplémentaire fourni par les acteurs et les partenaires de
l'éducation afin de maintenir les enfants et les adolescents dans des
structures éducatives malgré la situation de crise.
? Gestion de l'éducation
Les définitions de la gestion varient selon les
auteurs. Pour TERRY et FRANKLIN (1985, p. 4), la gestion est « un
processus spécifique consistant en activités de planification,
d'organisation, d'impulsion et de contrôle visant à
déterminer et à atteindre des objectifs définis
grâce à l'emploi d'êtres humains et à la mise en
oeuvre d'autres ressources ». La définition de BERGERON (1984,
p. 91) semble se rapprocher de celle de TERRY et FRANKLIN. Pour lui, la gestion
est « un processus par lequel on planifie, organise, dirige et
contrôle les ressources d'une organisation afin d'atteindre les buts
visés ». Cependant, LASSEGUE et MEYER donnent chacun une
définition restrictive du terme gestion. Pour LASSEGUE (1993, p.197) la
gestion est « la réalisation d'objectifs par l'intermédiaire
d'autres personnes ». Quant à MEYER (1978, p. 68), la gestion est
définie au sens strict comme « la mise en oeuvre, par un
responsable, des ressources qui lui sont confiées, en vue d'atteindre,
en respectant certains nombres de règles, l'objectif pour lequel ces
ressources ont été mises en place ».
De ces différentes définitions, nous retenons
que pour certains auteurs, la gestion commence à partir de
l'élaboration du plan jusqu'à sa mise en oeuvre.
C'est-à-dire que la gestion englobe la planification. Pour d'autres
auteurs, par contre, la gestion se limite à la mise en oeuvre d'un plan
précédemment élaboré. Dans la présente
recherche, nous nous alignons derrière LASSEGUE et MEYER pour qui la
gestion se limite à l'exécution d'un plan en vue d'atteindre des
objectifs fixés. Par conséquent, la gestion de l'éducation
serait l'exécution d'un plan dans le secteur de l'éducation en
vue d'améliorer l'efficacité interne et externe d'un
système éducatif ou d'un sous-secteur de
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l'éducation. Cette gestion est d'ordre administratif
mais prend aussi en compte les activités pédagogiques et
socioéducatives. (BERGERON-VACHON, 2014)
? Activités pédagogiques et
socioéducatives
Selon le Dictionnaire Le Larousse, une activité est un
ensemble d'actes coordonnés et des travaux de l'être humain, ou
une faction spéciale de cet ensemble. C'est aussi un ensemble de
phénomènes psychiques et physiques correspondant aux
activités de l'être vivant, relevant de la volonté, des
tendances, des habitudes, de l'instinct. Dans le cadre scolaire,
les activités sont des moyens d'action, des actes
quotidiens, mis en exergue par le formateur ou le facilitateur et
exécutés par les apprenants en interactions avec le guide ou des
pairs, pour obtenir un changement souhaité, défini d'avance par
un objectif opérationnel à court terme, un objectif
général à moyen terme ou un but à plus ou moins
long terme ; dans un programme ou un cycle de formation » (OKONGO,
2009).
De ce point de vue, les activités dites
pédagogiques ont un caractère obligatoire et sont soumis à
une évaluation sommative qui permet à l'apprenant de progresser
dans son cursus scolaire. Quant aux activités socioéducatives,
elles n'ont pas un caractère obligatoire mais elles complètent
l'action pédagogique et répondent à diverses demandes
d'ordre sociocommunautaire. Selon les objectifs visés par la
présente recherche, ces activités sont donc susceptibles d'avoir
un caractère plus particulier dans un contexte de prise en charge
d'élèves déplacés pour cause
d'insécurité.
? Prise en charge
Selon le Dictionnaire Le Robert, l'expression « prise en
charge», a le sens de prendre quelqu'un sous sa responsabilité,
d'assurer son entretien, ses dépenses. Cette définition semble
avoir une connotation financière. Pour BARTHOLD (2009), la prise en
charge est l'ensemble des procédés ou des stratégies
utilisés par une personne ou une institution pour satisfaire les besoins
d'une personne ou d'un groupe. Il est question, dans cette étude, de la
satisfaction des besoins scolaires des élèves
déplacés pour cause d'insécurité. La satisfaction
de ces besoins nécessite des dispositions qui sont d'ordre
organisationnel, matériel et psychosocial.
? Disposition organisationnelle
Selon le dictionnaire Le Robert, le terme « disposition
» renvoie à l'action de disposer, de mettre un certain ordre. Il
peut être utilisé au pluriel pour désigner les moyens et
précautions par lesquels
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on se dispose à quelque chose. Dans l'expression «
prendre des dispositions », l'on aperçoit l'action d'adopter des
mesures, de faire des préparatifs en vue d'atteindre un objectif
précis. Une disposition organisationnelle serait donc un arrangement
organisationnel ou en d'autres termes, une coordination d'activités en
vue d'atteindre plus efficacement des objectifs fixés. Lorsque nous nous
situons dans le contexte de notre étude, il s'agit de voir tout ce qui
est entrepris en termes de coordinations d'actions pour faciliter d'une part le
travail du personnel éducatif dans la prise en charge des
élèves déplacés et d'autre part pour créer
les conditions favorables à leur(les élèves
déplacés) intégration ou réintégration
scolaire. Il s'agit concrètement de soumettre à une analyse, les
mesures de sécurité dans les structures éducatives, les
conditions d'accueil des élèves et des acteurs et la
capacité de ces acteurs à gérer des questions
spécifiques telles que la prise en charge des élèves
déplacés.
? Dispositions matérielles
Le matériel est l'ensemble des objets ou des
instruments utilisés dans une exploitation. En admettant la
définition donnée au terme « dispositions » dans le
point précédent, nous déduisons que l'expression «
dispositions matérielles » fait donc allusion à une
organisation des instruments nécessaires à la conduite d'une
activité. Dans le cadre de notre étude, il s'agit de
l'organisation des instruments nécessaires à la conduite des
activités pédagogiques et socioéducatives. Il est par
ailleurs important de rappeler que l'utilisation de l'expression «
organisation des instruments» dans ce contexte précis impose deux
interprétations. Il s'agit d'une part de l'acquisition du
matériel et d'autre part, sa mise à la disposition des usagers
que sont le personnel éducatif et les élèves.
? Dispositions psychosociales
Selon le Robert, l'adjectif « psychosocial »
désigne ce qui se rapporte à la psychologie humaine dans la vie
sociale. La psychologie humaine dans la vie sociale se centre sur l'individu
dans un groupe, des relations qu'il entretient avec le groupe ou bien de son
attitude et de ses représentations envers le groupe. Les dispositions
psychosociales dans le cadre de notre étude seraient donc une
préparation à une prise en charge des élèves
déplacés en vue d'une intégration adéquate dans
leur nouvel environnement scolaire. Cette prise en charge a lieu dans deux
domaines d'activités pouvant s'entremêler. Il s'agit d'une part de
l'interprétation du comportement de l'individu et d'autre part de
l'intervention qui recouvre l'information, la motivation, les conseils et
l'aide. Selon le Guide de
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formation de base sur l'appui psychosocial en milieu scolaire
de l'Unicef (2011, p.5), ces actions doivent contribuer à :
- chasser chez les élèves le stress,
l'anxiété, la peur, la méfiance, les
préjugés, l'agressivité verbale et physique,
l'intolérance, le repli sur soi;
- développer chez les élèves des
sentiments et des comportements de responsabilité, de cohésion,
de confiance, de solidarité, de paix et de tolérance ;
- faire de l'école un milieu convivial, sain et protecteur
pour les filles et les garçons.
? Mobilisation sociale
Selon RAKOTOVOLOLONA (2008), la mobilisation sociale est un
processus qui utilise la communication pour rassembler un grand nombre de
personnes autour d'une action afin d'atteindre un objectif social commun
grâce aux efforts et aux contributions de tous. En d'autres termes la
mobilisation sociale met l'accent sur le rassemblement d'une communauté
autour d'un but commun dans un temps donné. Elle revêt une
importance capitale en matière d'éducation et surtout en contexte
d'éducation en situation de crise. En effet, l'éducation par
définition recommande une mobilisation qui se veut sociale autour de
l'enfant afin de l'inculquer les valeurs de cette société
à laquelle il va appartenir. Par ailleurs, l'affaiblissement de
l'appareil étatique en période de crise sécuritaire
(MACHEL, 1996) renforce davantage la nécessité d'une telle
mobilisation. La mobilisation sociale, dans le cadre de notre étude,
comprend toutes les activités de prise en charge, de sensibilisation, de
formation et d'animation permettant aux communautés de jouer pleinement
leurs rôles et responsabilités dans le sens d'accompagner les
acteurs éducatifs dans la prise en charge scolaire des
élèves déplacés.
? Engagement social
BERGERON-VACHON(2014) définit l'engagement social comme
le croisement des identités personnelles et collectives de personnes
impliquées dans une mobilisation sociale. Pour ION (2012), c'est une
forme de dialogue individuel et collectif. Il s'agit pour l'individu de
s'associer à une action collective sans renoncer à être
soi-même. L'engagement social implique donc une conviction et un
dévouement personnel de l'individu pour la défense d'une cause
commune orientée vers la quête d'une justice sociale. Il ne peut
donc y avoir de mobilisation sociale sincère
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sans un engagement social. La prise en charge scolaire des
enfants déplacés ne saurait être une réussite sans
un engagement social.
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