V.2 Discussion de la validité des
hypothèses
Si les différentes hypothèses sont
validées comme nous l'avons relevé plus haut, il s'agit bien plus
de tendance que de confirmation à l'absolue. Nous relevons ici
contradictions des réponses des enquêtés et aussi les
variables qui montrent que ces hypothèses ne sont pas confirmées
à l'absolue. Ainsi nous voulons montrer que la vérité
à laquelle nous sommes parvenus est relative.
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V.2.1 Discussion de la validité de
l'hypothèse 1
Des réponses données par nos interlocuteurs sur
l'hypothèse 1 selon laquelle les administrations scolaires prennent des
dispositions organisationnelles, matérielles et psychosociales en vue
d'assurer la continuité de la scolarisation des enfants et adolescents
déplacés dans la commune de Titao, il est établit que
seule l'effectivité de la variable dispositions psychosociales a fait
l'unanimité chez les personnes enquêtées. Pour les
variables dispositions organisationnelles et matérielles, les AVS et les
autorités éducatives confirment leur effectivité pendant
que chez les enseignants et les élèves, les résultats ne
permettent pas d'établir l'effectivité totale de ces
dispositions. Une analyse non partisane permet toutefois de reconnaitre que
malgré les multiples difficultés rencontrées, les
administrations scolaires fournissent des efforts remarquables pour garantir la
continuité de la scolarisation des élèves
déplacés.
V.2.2 Discussion de la validité de
l'hypothèse 2
L'hypothèse 2, selon laquelle les enseignants et les
animateurs de la vie scolaire conçoivent et mettent en pratique des
activités pédagogiques et socioéducatives au profit des
enfants et adolescents déplacés dans la commune de Titao, serait
validée à l'absolu si tous les acteurs enquêtés
s'accordaient sur l'effectivité des deux variables que sont les
activités pédagogiques et socioéducatives. Pour ce qui est
de la variable activités pédagogiques, l'on peut, à
travers les réponses données par les différentes
catégories de personnes enquêtées attester
l'unanimité des avis sur son effectivité. En effet, seuls les
avis des élèves ne permettent pas d'établir
l'effectivité de ces activités. Mais la position des
élèves peut être justifiée par le fait qu'ils ne
sont pas à mesure de faire la distinction entre activités
pédagogiques habituelles et celles menées dans le cadre de la
prise en charge d'élèves déplacés du moment
où se sont les mêmes activités d'apprentissage.
Au niveau des activités socioéducatives, on note
une tendance contraire à la précédente variable. Les
élèves confirment l'effectivité de ces activités
pendant que les enseignants, les AVS et les autorités ont des avis qui
tendent à dire que quelque chose d'important n'est pas fait à ce
niveau. Ce qui d'ailleurs, nous éloigne davantage d'une validation
absolu de notre hypothèse.
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V.2.3 Discussion de la validité de
l'hypothèse 3
L'effectivité de l'hypothèse 3, hypothèse
selon laquelle la communauté locale se mobilise et s'engage par des
actions variées pour soutenir l'administration scolaire dans une prise
en charge des enfants et adolescents déplacés dans la commune de
Titao, est la mieux partagée par les différente catégories
de personnes enquêtées. En effet, à l'exception des
enseignants, tous s'accordent à dire que la communauté locale
participe activement et diversement à la réintégration
scolaire des élèves déplacés. Du côté
des enseignants, les avis sont partagés et ceux en faveur de la
mobilisation de la communauté n'est pas négligeable.
V.3) Les limites de la recherche
Toute activité entreprise par l'être humain
comporte nécessairement des limites. Pour ce qui concerne la
présente recherche, les limites sont liées d'abord à la
zone de recherche très limitée. Nous aurions souhaité
mener la recherche dans plusieurs communes à fort défis
sécuritaire du Burkina Faso. Cela nous aurait permis de découvrir
et de comparer des modes de gestion de l'éducation en situation de crise
sécuritaire d'une localité à une autre dans le même
pays. Mais pour des contraintes matérielles, financières et
sécuritaires, cette recherche n'a concerné que la commune de
Titao. Ainsi, nous émettons des réserves quant à la
généralisation des résultats de cette étude. Outre
cette limite, il convient de noter que le recouvrement de nos questionnaires
n'a pas été fait à cent pour-cent malgré notre
volonté de le faire. En effet, la fermeture des classes due à la
COVID-19 ne nous a pas permis de terminer nos enquêtes en juin comme
prévu. Il a fallu que nous y retournions en octobre pour rencontrer les
élèves des classes intermédiaires. Mais, compte tenu que
l'année scolaire n'était pas totalement installée, nous
n'avons pas pu recouvrer le maximum de nos questionnaires.
V.4) Des recommandations pour une meilleure prise en
charge des élèves déplacés
Des suggestions ont été faites par les acteurs
enquêtés. Ces suggestions pourraient donc contribuer à
garantir la continuité des apprentissages et permettre ainsi une
meilleure prise en charge des élèves déplacés dans
les établissements fonctionnels. Les plus pertinentes de ces
suggestions, de notre point de vue, ont été recensées et
analysées pour en faire des recommandations. Il s'agit donc de :
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? doter chaque élève
déplacé en lampes d'éclairage
Au cours nos entretiens, une autorité éducative
nous informait que la majorité des élèves
déplacés vivent dans les quartiers périphériques
appelés communément « non- lotis ». La crise
sécuritaire a occasionné une extension exponentielle des
non-lotis dans la ville de Titao. Malheureusement, ces quartiers ne sont pas
desservis en réseau électrique. Aussi, le contexte
sécuritaire a obligé l'administration sécuritaire à
instaurer le couvre-feu et la restriction de circulation de 18 heures à
06 heures dans le ressort de la province du Loroum, suivant arrêté
no 2019-02/MATDC/RNRD/GVR-OHG/CAB du 10 octobre 2019. Cette mesure,
qui initialement devait prendre fin le 14 novembre 2019, a connu une
prorogation jusqu'à cette période où nous menions nos
enquêtés. Et pourtant les élèves moins nantis se
servent des salles de classes éclairées ou de l'éclairage
public pour étudier les nuits. Dans ce contexte de couvre-feu, il leur
est donc quasiment impossible de profiter de cet avantage. Par
conséquent, chaque élève doit être doté en
lampe et de préférence, en lampe solaire-chargeable.
? impliquer les parents dans l'organisation des cours
d'appui
Notre étude est parvenue à la conclusion selon
laquelle les parents d'élèves ne s'impliquent pas assez dans
l'accompagnement pédagogique de leurs enfants. Certes que cela peut
s'expliquer par le niveau d'étude des parents mais d'autres alternatives
existent pour pallier cette insuffisance. Il s'agit par exemple de l'engagement
d'un répétiteur et aussi du suivi de la scolarité de
l'enfant en se rendant régulièrement dans son
établissement. Cela permet aux parents de s'imprégner,
auprès des enseignants ou des services «vie scolaire», de
l'évolution du travail de l'enfant et de son comportement en milieu
scolaire.
? doter les élèves
déplacés en matériels de première
nécessité (vêtements, savons, pâtes, pommades pour
les filles, nourriture sec etc.)
A travers nos entretiens et questionnaires, nous avons pu
constater que les élèves déplacés, dans leur
majorité ne bénéficiaient pas des dons en nature faits par
certains organismes d'aide humanitaire. Et pourtant, ils en ont vraiment
besoin. Une autorité éducative raconte,
Beaucoup d'élèves déplacés ont
rejoint la ville de Titao sans même emporter le minimum de
matériel nécessaire. Les vendredis, jour de marché de
Titao, les élèves déplacés déambulent dans
le marché dans l'espoir de rencontrer un parent qui pourrait leur
apporter des vivres ou des vêtements.
Pour ce qui est de la nourriture sec, l'idéal serait de
prioriser le riz, le haricot et le couscous dont la cuisson n'engage pas
beaucoup de dépenses supplémentaires contrairement au maïs
brut qui demande beaucoup de transformations.
? rétablir la sécurité afin de
faciliter le retour rapide des élèves déplacés dans
leurs villages
Il y a des élèves déplacés qui
sont en auto-hébergement et il n'est souvent pas facile pour eux de
subvenir à certains besoins. Pour les garçons, le problème
ne se pose pas assez mais pour les filles, quand elles n'ont pas un logeur,
elles sont exposées à beaucoup de risques tels que le
harcèlement sexuel, le viol etc. Cependant, quand les enfants sont
scolarisés à côté des parents, les risques
susmentionnés peuvent être minimisés. Ainsi, à
l'endroit de l'administration sécuritaire, il faut travailler à
restaurer la sécurité dans les campagnes afin que les classes
fermées puissent rouvrir. Certes, le travail s'avère difficile
mais avec l'engagement des volontaires pour la défense de la patrie
(VDP) au côté des forces armées nationales, les
résultats donnent de l'espoir.
? redynamiser les cantines scolaires
Les cantines scolaires, même si elles fonctionnent dans
les établissements, ne démarrent pas tôt leurs services.
Aussi, en dehors d'un seul établissement où les frais de cantine
des élèves déplacés sont subventionnés par
un partenaire social, les élèves déplacés des
autres établissements de la ville de Titao, en dehors du primaire, sont
assujettis au paiement de 75 F le plat. Ce qui n'est pas souvent aisé
pour un élève déplacé. Il faut par ailleurs
mentionner que la direction de l'allocation des moyens spécifiques aux
structures éducatives (DAMSSE) doit revoir sa politique de distribution
de vivres dans les établissements des zones à fort défis
sécuritaire. En effet, des établissements appelés
communément classes d'accueil ou CEG d'accueil ont été
spontanément créés pour accueillir les
élèves déplacés. Aux dires des autorités
éducatives avec qui nous nous sommes entretenus, ces classes ou
établissements d'accueil non enregistrés dans le fichier de la
DAMSSE ne peuvent bénéficier des vivres que par un arrangement
local. En effet, ces classes dites d'accueil sont arrimées à un
établissement déjà existant afin de
bénéficier des vivres au nom de cet établissement. Il y a
donc nécessité d'implémenter les cantines endogènes
qui pourrait résoudre la question de la lourdeur administrative et
permettre la dotation des cantines scolaires en vivres dès la
rentrée scolaire.
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? exempter les élèves
déplacés du paiement des frais de scolarité
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A travers les données recueillies auprès de nos
interlocuteurs, nous avons pu constater que les élèves
déplacés étaient assujettis au paiement des frais de
scolarité malgré la situation difficile qu'ils vivent. Toute
chose qui peut contribuer à leur déscolarisation si les parents
ne sont pas à mesure d'honorer ces frais.
? renforcer la compétence des enseignants sur le
plan pédagogique
La majorité des enseignants enquêtés ont
exprimé la grande difficulté de prise en charge
pédagogique des élèves déplacés. La
réalité de cette difficulté est soutenue par les
autorités éducatives et les chefs de services qui disent recevoir
plusieurs plaintes de la part des enseignants sur la question. En effet, la
gestion de l'éducation en situation de crise sécuritaire est un
nouveau paradigme pour le monde éducatif burkinabè et cela
nécessite un renforcement de capacités des acteurs. Mais du point
de vue des acteurs enquêtés, les formations reçues sont
plus orientées vers la prise en charge psychosociale. Il faut donc que
les acteurs directs de l'éducation, en particulier les enseignants,
bénéficient des séances de formations afin de capitaliser
les expériences individuelles acquises en matière prise en charge
pédagogique des élèves déplacés.
? organiser plus d'activités
socioéducatives pour permettre aux élèves
déplacés de mieux s'intégrer dans la communauté
d'accueil
Les activités socioéducatives semblent ne pas
être la priorité des acteurs de l'éducation dans la ville
de Titao. Et pourtant, en contexte d'éducation en situation de crise,
les jeux contribuent à l'épanouissement des enfants. Il serait
donc intéressant que les enseignants, surtout les enseignants du
primaire qui accueillent les enfants dès leur jeune âge,
pratiquent plus de jeux pour accompagner les activités
pédagogiques. Par ailleurs, les acteurs de l'éducation de
façon générale doivent susciter chez les
élèves, la paire-éducation. Et le moyen le plus efficace
c'est d'encourager la création et la pratique de clubs scolaires et
d'associations qui riment avec les préoccupations majeures des
élèves dans leur environnement scolaire.
? Mettre en place un système performant d'accueil
des élèves déplacés
A travers nos enquêtes, nous avons pu découvrir
que la majorité des élèves déplacés,
après la fermeture de leurs établissement d'origine, sont
restés à la maison environ deux mois avant de
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bénéficier d'une réinscription. Il est
donc nécessaire que les APE soient mieux organisées et qu'elles
communiquent davantage avec les autorités éducatives afin que des
solutions endogènes précèdent les décisions
administratives si elles tardent à être prises.
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