II.3.3) Les pratiques en matière d'éducation
en situation de crise
MAGALI (2010) s'est intéressée au parcours
scolaire des réfugiés libérien en côte d'Ivoire.
Elle soutient que les agences internationales investies dans le champ de
l'éducation, dans le souci de préparer un retour éventuel
des réfugiés dans leur pays d'origine, ont été
favorables à l'implantation d'écoles de réfugiés
utilisant le programme d'enseignement du pays d'origine des
réfugiés. Toutefois, cette mesure est diversement
appréciée par les praticiens et bénéficiaires des
services éducatifs. En effet, les personnes en faveur des écoles
de réfugiés soutiennent l'argument selon laquelle
s'intégrer dans les écoles ivoiriennes impliquait automatiquement
un changement de langue de l'anglais au français. Toute chose qui
pourrait faire perdre aux enfants réfugiés leur capacité
à parler l'anglais et à conserver leur identité
culturelle. Aussi, certains enfants, du fait de leurs âges
avancés, étaient d'office inadmissible dans les écoles
ivoiriennes. Par ailleurs, le gouvernement ivoirien ne disposait pas assez de
structures éducatives pour accueillir tous les
réfugiés.
Si pour certaines personnes, le choix d'une école de
réfugiés s'avère obligatoire, d'autres familles de
réfugiés sont plus favorables à l'intégration dans
les écoles ivoiriennes. Ce choix, selon Magali, est lié au
degré d'intégration des réfugiés au sein de la
communauté hôte. En effet, bien avant le déclenchement de
la guerre civile au Libéria, ces deux peuples, ivoirien et
libérien, entretenaient de bonnes relations. Ainsi, du début de
la guerre civile à la fin des années 1980, la majorité des
réfugiés libériens ont été accueillis au
sein de la population ivoirienne.
En plus de ces deux possibilités de scolarisation, des
établissements ont été créés par des
promoteurs privés afin de répondre à certains besoins
spécifiques des réfugiés à savoir la scolarisation
en cycle secondaire qui n'est pas pris en charge par le HCR.
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La diversité de l'offre éducative en situation
de crise présentée par Magali dans le cas ivoirien
intéresse également BAUJARD (2010) dans son article « Les
réfugiés au coeur d'une offre éducative multiple : Le cas
de Delhi (Inde) ». En effet, l'Inde a été depuis les
années 1960 une terre d'asile pour les tibétains, les birmans et
les afghans. Selon l'auteur, la diversité des origines des
réfugiés et la spécificité de leurs besoins en
éducation justifie la multiplicité de l'offre éducative.
Les réfugiés tibétains bénéficiaient d'un
système éducatif parallèle et inclusif, à la
différence du système scolaire de leur pays d'origine où
l'éducation était uniquement réservée aux moines.
La gestion est alors assurée par l'administration tibétaine en
inde, les organisations internationales et les soutiens individuels. Les
langues d'enseignement étaient l'anglais et le tibétain.
Cependant, l'enseignement, trop généraliste, ne répondait
pas au marché de l'emploi. Malgré cela, les parents s'y
attachaient au détriment de la formation professionnelle, jugée
peu valorisante.
Pour ce qui est des réfugiés afghans et birmans,
ils ne bénéficiaient pas d'un système scolaire
parallèle. En effet, par le truchement du HCR, ils étaient
intégrés dans les écoles indiennes. Toutefois,
l'accès à ces écoles exigeait la présentation d'un
certain nombre de documents tels que le « certificat de naissance »,
la « ration card »4, le « tribal certificate
»5, ce qui réduisait un peu la chance d'accès aux
écoles gouvernementales pour certains enfants qui ne disposent pas de
ces documents.
Dans cette même logique de proposition d'offres
éducatives selon les différents contextes de crises
sécuritaires, SANCHEZ-MAZAS et al (2018) explorent la situation des
réfugiés sur le sol Suisse. Dans l'article intitulé «
Scolarisation des enfants de demandeurs d'asile: nouvelles pratiques, nouveaux
dispositifs, nouveaux « métiers » sous le signe de
l'incertitude », ces auteurs montrent l'engagement des acteurs locaux dans
la prise en charge scolaire des enfants de réfugiés et ce,
malgré les multiples difficultés que rencontre l'institution
scolaire. En effet, la politique Suisse en matière d'asile demeure
très restrictive. Toutefois, l'institution scolaire s'efforce d'assurer
l'éducation des enfants de demandeurs d'asile. Cette dichotomie, entre
le manque de volonté politique dans l'accueil des demandeurs d'asile et
le devoir de l'institution scolaire dans la scolarisation des enfants
(Convention internationale sur les Droits de l'Enfant de 1989, ratifiée
par
4 Document délivré par le
gouvernement indien et permettent d'obtenir de la nourriture et des produits de
première nécessité à des prix réduits.
5 Document certifiant l'origine birmane des
réfugiés à cause de leur ressemblance physique avec les
indiens du nord-est
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la Suisse en 1997), rend difficile l'action pédagogique
des acteurs de l'éducation. Mais selon Sanchez-Mazas et al, en
dépit des difficultés rencontrées par l'institution
scolaire, des initiatives endogènes sont développées pour
permettre aux enfants d'asile de bénéficier du droit à
l'éducation. Parmi ces initiatives existe « le tandem
d'enseignantes de classes d'accueil » qui est une méthode mise en
place pour favoriser un suivi efficace des enfants d'asile. Il s'agit d'actions
coordonnées par deux titulaires de classes qui accueillent des enfants
d'asile. En effet, au regard des multiples trajectoires scolaires des
élèves, ces enseignantes les faisaient passer d'une classe
à une autre au bout d'une semaine ou d'une journée et ce, en
fonction de la progression et des besoins de l'élève. Elles se
concertent régulièrement avec la directrice afin de suivre
l'évolution scolaire des enfants. Aussi, la spécificité
des besoins de ces élèves à conduit les enseignantes
à assurer à la fois le rôle d'enseignante, de travailleuse
sociale et d'animatrice.
Si d'une part, le personnel exerçant en milieu scolaire
entreprend des initiatives pour satisfaire les besoins spécifiques des
enfants de demandeurs d'asile, Sanchez-Mazas et al notent par ailleurs que la
spécificité de leurs besoins nécessite l'engagement
d'intervenants volontaires. Ainsi, les jeunes engagés pour le service
civil sont, depuis juillet 2016, sollicités pour le soutien à la
formation et à l'éducation scolaire. Ils ne tiennent pas de
classe mais constituent des agents de liaison entre l'école et les
familles des élèves. Par ailleurs, ils prennent en charge des
activités para et périscolaires qui, aussi, participent à
l'éducation des élèves. Les propos ci-après d'un
« civiliste » témoignent de leur importance au
côté des enseignants :
J'essaye de comprendre pourquoi, comment, parce c'est vrai que
parfois on a des enfants qui n'ont jamais été scolarisés,
donc en classe ils sont complètement perdus, ils font tout et n'importe
quoi. Donc forcément, c'est moi qui vais vers les parents et qui demande
: qu'est-ce qui s'est passé ? C'est vrai que parfois c'est un peu
délicat, parce que des familles ont traversé des périodes
difficiles, avec des guerres ou des choses comme ça. C'est à moi
de poser des questions de temps en temps pour que l'enseignant comprenne
pourquoi l'enfant est comme ci ou comme ça ».
Par ailleurs, l'auteur soutient que le travail du civiliste
« est une forme de bricolage pour pallier le manque de ressources
institutionnelles.
Egalement, Sanchez-Mazas et al mentionnent l'existence de
« l'éducateur-migrant » qui joue le rôle du
grand-frère sur le chemin de l'école. Il accompagne, joue et
veille à la sécurité des mineurs. Il est par la même
occasion, l'interlocuteur entre l'école et la famille. Aussi,
existe-t-il les « tuteurs associatifs » qui apportent un soutien
extrascolaire aux enfants migrants et à leurs familles. Par ailleurs,
ils facilitent l'intégration sociale des enfants en mettant en exergue,
dans leurs activités,
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les codes culturels et scolaires du pays d'accueil. Cela
sous-entend que le tuteur associatif soit imprégné de la culture
du pays d'origine de l'enfant migrant.
Ces différents auteurs susmentionnés se sont
plus appesantis sur la prise en charge scolaire des enfants ayant le statut de
réfugié. Dans cette prise en charge, différentes offres
éducatives se conjuguent au bénéfice des demandeurs
d'asile. Par ailleurs, la prise en charge scolaire des enfants et adolescents
réfugiés ressemble toujours à un système de
bricolage afin de répondre à un besoin urgent. La
réalité de la gestion de l'éducation en situation de crise
au Burkina et particulièrement dans la commune de Titao ne saurait
déroger à cette logique de multitude d'offres éducatives
et de bricolage. Toutefois, on pourrait souligner le changement de contexte. En
effet, la grande majorité des personnes déplacées sont
internes et viennent des communes voisines (Banh, Sollé et Ouindigui) ou
de provinces voisines comme le Soum. Le rapprochement des communautés
résidentes et déplacées serait un atout en terme
d'intégration car elles partageaient déjà certaines
réalités socioculturelles. Par ailleurs, à la faveur du
redéploiement6 du personnel de l'éducation des zones
d'insécurité, les besoins en enseignants et personnel
administratif pourraient être satisfaits et constituerait un atout pour
la prise en charge des élèves déplacés.
Ces études présentent donc beaucoup
d'intérêt pour notre recherche. Elles invitent à une
synergie d'actions dans cette gestion de l'éducation en situation de
crise. C'est justement dans l'optique d'appréhender cette synergie
d'actions que notre étude cherche à découvrir et analyser
les efforts des acteurs locaux dans la prise en charge des élèves
déplacés dans la commune de Titao.
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