1.2.2 Image et représentation dans le jeu
Depuis l'arrivée des femmes au sein des jeux
vidéo dans les années 1980, de nombreux stéréotypes
se sont succédé. Les concepteurs ont voulu cibler un public
féminin en mettant en avant des héroïnes mais leur octroyer
un corps hyper sexualisé pour convenir au public masculin (Hess, 2021).
Pour les femmes, cela passe « par le biais de vêtements
révélateurs, des mensurations irréalistes avec des
poitrines démesurées et des corps exagérément
minces, siliconés, des poses lascives et des voix séductrices
» (Hess, 2021). Les personnages masculins sont quant à eux
musclés, virils, forts afin que les hommes puissent s'y identifier. Ces
représentations placent le personnage féminin dans une position
d'objet du male gaze théorisé par Laura Mulvey (1975) : une femme
sera souvent davantage dénudée qu'un homme pour le même
type d'armure portée et bien plus sexualisée.
Revenons sur Lara Croft. Cette héroïne est aussi
bien admirée pour avoir été la première figure
féminine dans un jeu, que critiquée pour son physique aux
mensurations disproportionnées :
"Si on regarde les articles qui ont été
écrits sur Lara Croft dans la littérature scientifique ou les
commentaires qui en ont été faits dans les milieux
féministes, il existe vraiment deux versants : la moitié des
publications fustigent Lara Croft en indiquant que c'est une cyber-bimbo et la
moitié des articles l'encensent justement pour montrer qu'elle est
archéologue, que c'est une aventurière, qu'elle a fait des
études, qu'elle est indépendante, etc." - Marion Coville,
chercheuse en études de genre et de technologie (Femmes,
minorités... Qui le jeu vidéo représente-t-il ?
2020).
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L'image de la femme dans les jeux vidéo
Il convient de s'interroger sur la question du corps
féminin dans les arts visuels. Lara Croft possède un corps aux
dimensions de mannequin, siliconé, elle est jeune, intelligente et jolie
(Micheli-Rechtman et Balzerani, 2008). Le choix d'une femme comme protagoniste
est vu comme particulièrement novateur car c'est l'une des
premières fois que la femme n'est pas seulement le personnage à
sauver mais qu'elle incarne le centre de toute l'aventure. Tomb Raider
avait d'ailleurs été pensé pour être un jeu
avec un personnage masculin mais le risque de plagiat sur Indiana Jones
est apparu comme trop grand c'est pourquoi les développeurs ont eu
l'idée de créer cet avatar féminin. C'est donc un choix
par défaut qui a fait grandement changer et avancer la place de la femme
dans les jeux vidéo.
Dans le jeu, le joueur dispose d'une femme comme il
disposerait d'une poupée. Elle fait preuve d'une docilité
à toute épreuve en exécutant tous les ordres qui lui sont
donnés, engendrant ainsi un plaisir de commander et de se voir
obéir de la part du joueur qui contrôle le personnage. Elle expose
un corps parfait, quasi « alien », qui devient un véritable
objet de désir pour tous les joueurs. Par ailleurs, le tour de poitrine
de Lara, qui est l'objet de la plupart des controverses, résulte en
réalité d'une erreur : lors d'une manipulation 3D, le designer
Toby Gard augmente par erreur son tour de poitrine de 150%, ce qui l'amuse : il
choisit donc de lui conserver cet aspect. Le personnage de Lara Croft a donc
malgré tout été pensé pour attirer des joueurs
masculins avant tout grâce à son physique (Checola, 2012) .
Dans les jeux vidéo, la femme est bien souvent
montrée comme une demoiselle en détresse, ayant besoin d'aide et
d'être secourue par le héros masculin. Le stéréotype
de la demoiselle en détresse s'accompagne d'autres schémas : en
1999, la scénariste Gail Simone parle de « femme dans le
réfrigérateur » pour décrire « la tendance
à faire subir aux personnages féminins de comics des
brutalités ou des meurtres dans l'objectif de faire évoluer l'arc
narratif du personnage masculin » (Planques, 2017). Elle utilise ce terme
à la suite du Comic 54 de Green Lantern où la femme du
héros est tuée et placée dans un
réfrigérateur, ce qui va faire évoluer de manière
impressionnante le personnage masculin. De manière
générale, il est clair que les jeux vidéo
véhiculent les stéréotypes menant à la
sexualisation de la femme. Ceux-ci ont un impact non négligeable sur les
femmes dans la vie réelle.
Pour autant, une étude réalisée par Lynch
et al. (2016) montre que l'industrie du jeu vidéo réagit aux
critiques et surtout celles centrées autour de la sexualisation. Selon
une analyse réalisée sur
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L'image de la femme dans les jeux vidéo
de nombreux jeux vidéo parus entre 1990 et 2010, des
jeux extrêmement sexualisés sont apparus entre 1990 et 2000 mais
à partir de 2006 on observe une très nette baisse de cette
sexualisation. Ils associent cela à un intérêt croissant
des femmes pour les jeux vidéo ainsi qu'à des critiques toujours
plus virulentes. En revanche, le graphique ci-dessous montre une recrudescence
des personnages sexualisés très nette en 2012 et qui semble
continuer à croître par la suite.
Figure 2: Sexualisation moyenne des personnages par
année de sortie - Female Game Characters across 31 Years
Par conséquent, le corps de la femme n'a pas
été totalement éloigné de cette vision
sexualisée, il y a donc eu des progrès mais à quel point ?
Peut-on, au contraire parler de régression et d'utilisation du corps de
la femme ?
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