3.1.2 L'évolution de la représentation de la
femme au sein des jeux
Comme nous l'évoquions dans la précédente
partie, le monde du jeu est un reflet de la société actuelle.
Dans une société où les hommes ont toujours
été au pouvoir, il est tout naturel que ceux-ci se soient
emparés en premier de ce nouveau monde virtuel que formaient la
technologie, Internet et les jeux vidéo. Louis Di Battista nous le
rappelle très bien, à la création d'Internet, des «
règles » plus ou moins informelles ont été
édictées et la règle numéro 30 spécifiait
clairement « There are no girls on the internet ». Bien
entendu, ces règles n'ont rien d'officiel, elles ont été
publiées par les Anonymous sur un Wiki satirique mais restent
très connues notamment pour tous les aspects sexuels qu'elles couvrent,
la numéro 34 étant la plus connue de toutes : « There is
porn of it. No exceptions. » (Rules of the Internet, s. d.).
Cette société médiatisée a donc
commencé en baignant dans des principes relativement sexistes puisque
les femmes étaient considérées comme des êtres
à bannir de ces plateformes sauf pour les contenus pornographiques
où elles étaient cette fois ci les bienvenues. Par
conséquent, le contenu des jeux « s'adressait clairement
à des joueurs masculins » (Omega Zell) puisque les
réalisateurs et les concepteurs des jeux étaient aussi des hommes
qui n'envisageaient pas un instant de devoir créer des jeux convenant
à toute la population. Et si les studios ont continué dans cette
voie, c'est aussi parce que la sexualisation des personnages féminins a
été une sorte de fantasme pour de nombreux consommateurs et donc
que les réalisateurs avaient une clientèle toujours prête
à acheter les nouveaux produits.
Par ailleurs, lors de la création des premiers jeux, la
technologie était bien moins développée que la
nôtre. Par conséquent, pour être certains que tout le monde
distingue les hommes des femmes, ces dernières ont d'emblée
été dotées d'une très forte poitrine, de cheveux
longs et blonds et de costumes roses très voyants. « Le bal de
la représentation sexiste et hypersexualisée était
lancé » (Massicolli, 2012).
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L'image de la femme dans les jeux vidéo
Dès les premiers jeux, « dans les Mario et
dans les Zelda on incarne un homme qui va sauver une femme des griffes du
personnage maléfique » (Mme Dupont). Il y a toujours ce
rapport de force qui est mis en place pour valoriser l'homme, le héros,
le guerrier, le mâle dominant qui vient secourir la demoiselle en
détresse, qui est faible et incapable de se débrouiller seule.
C'est une vision très étriquée mais qui est
malheureusement celle véhiculée dans de nombreux jeux. L'autre
penchant est la version sexualisée comme dans le jeu Dead or
Alive qui est « clairement conçu pour [être vendu]
à des hommes gonflés aux hormones qui souffrent d'un manque
affection » (JC Daull) où les filles sont toutes très
jeunes et ont un corps complètement surréaliste. En voyant ce
genre de jeux, il faut s'imaginer les répercussions que cela peut avoir
sur les hommes dans leur quotidien, sur leur manière de voir les femmes
et il faut sincèrement s'interroger pour savoir si cela a une
réelle influence sur le comportement. Nous avons analysé
l'étude de Dill, Brown et Collins (2008) dans la première partie
qui étudie les conséquences des jeux vidéo sur les genres
et le harcèlement, et la conclusion aboutissait à une
corrélation entre la hausse du harcèlement envers les femmes et
le fait d'avoir été soumis à des images sexualisée
pendant une période donnée.
Par conséquent, en se fondant sur ces analyses, il
apparait nécessaire de souhaiter un changement dans les jeux pour que
ceux-ci promeuvent une vision plus respectueuse de la femme et des êtres
humains en général. Mais cela ne veut pas dire tout changer, tout
modifier et ne plus jamais produire un tel contenu : « On n'a pas
besoin de tout lisser entièrement parce que la richesse du jeu
vidéo c'est aussi sa diversité » (Julie Bonnecarrere).
Ce qui est essentiel, c'est de parvenir à une égalité dans
les contenus produits et que la majorité ne soient plus des contenus
ultra sexualisés. Pour établir un parallèle avec le
cinéma, de nombreux studios cassent les codes ces dernières
années en employant des femmes ou des acteurs de couleur pour jouer des
rôles traditionnellement donnés à des acteurs cisgenres
blancs. C'est une démarche qui permet de promouvoir l'inclusivité
mais on ne doit pas tomber dans l'extrême opposé et permettre aux
hommes et aux femmes quelle que soit leur couleur ou leur orientation d'avoir
un rôle. De même, un jeu hyper sexualisé n'est pas un
problème : ce qui pose problème, c'est quand l'ensemble des jeux
sont conçus ainsi. Par exemple, avoir une personne sourde-muette,
quasiment nue en train de se tortiller sous la pluie dans Metal Gear
Solid est dérangeant parce que c'est une vision totalement
erronée et qui n'a rien à faire là (Mme Dupont).
Se rendre compte de la sexualisation des personnages
féminins est somme toute assez facile, il
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suffit de comparer la même armure pour un homme ou pour
une femme et voir que l'armure suprême masculine va être une armure
imposante, qui ne laisse rien voir, qui fait très peur, tandis que
l'armure féminine est un bikini ou alors quelques bouts de tissu
assemblés et ces deux armures vont être de rang égal, vont
pouvoir prendre le même montant de dégâts malgré
leurs différences apparentes (JC Daull). Dans les jeux où il y a
des skins pour les personnages c'est pareil, la plupart sont beaux, très
sexy, avec peu de tissu et montrant beaucoup de peau.
Heureusement les mentalités changent et les initiatives
pleuvent. Par exemple, Riot Games a su tirer un enseignement de League of
Legends lorsque la scène compétitive de Valorant a
été mise en place. Il y a eu un réel désir
d'inclusivité, de diversité et ce n'était pas juste «
une scène pour faire plaisir » (Servane Fisher). En
revanche, il faut bien se rendre compte que malgré toute la bonne
volonté qu'ils y ont mise, il est difficile d'attirer les femmes et que
même si certaines sont présentes dans les tournois, elles restent
une minorité et ont donc peu de chances d'arriver jusqu'en finale et
donc de se démarquer. Mais cela reste malgré tout une
avancée importante.
De la même manière, il y a de plus en plus de
jeux qui mettent en avant des femmes ou qui au moins laissent le choix du genre
du personnage principal au lieu d'avoir directement un personnage masculin. Les
jeux sont beaucoup moins sexistes ou alors il s'agit de franchises connues pour
leur contenu et où le client est prévenu en amont. Mais il n'y a
quasiment plus de contenu ultra sexualisé au milieu d'un jeu sans aucune
raison comme on a pu l'avoir pendant des années (Cholé Brissaud).
Des héroïnes fortes et indépendantes comme Ellie dans
The Last of Us ou Aloy dans Horizon sont mises en avant. Mais
une fois de plus c'est une victoire modérée : bien que des femmes
soient désormais les personnages principaux, ces deux-là sont
celles que tout le monde va citer parce qu'il n'en existe pas assez pour en
citer d'autres. De plus, un personnage comme celui d'Aloy a réussi
à faire polémique pour le simple fait que son visage a des poils
comme n'importe quel être humain. Cela peut sembler surréaliste
mais c'est la stricte réalité, comme le montre cette
réponse à un tweet : l'auteur initial s'étonne et demande
à ce qu'on lui explique pourquoi Aloy a de la barbe... Alors que non il
s'agit juste de la pilosité féminine que nous avons toutes.
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Figure 14: Screenshot d'un poste Twitter concernant le jeu
Horizon Zero Dawn
Si cette remarque peut faire sourire, elle soulève
pourtant un débat important au sujet du réalisme accordé
aux personnages dans les jeux. Dans les jeux, les personnages sont tous
très beaux, les femmes sont des entités aux proportions
surdimensionnées qui ont pour but de faire fantasmer. Pour les hommes
c'est pareil, ils sont tous musclés, jeunes, beaux, attirants. Si des
personnages sont laids, c'est parce que ça a été voulu
très spécifiquement par le scénario, que c'est l'objet de
tout le jeu ou que souvent il s'agit de la race ennemie. Mais les personnages
principaux sont toujours beaux tout simplement parce que ça se vend
mieux et qu'on a plus de facilité à s'associer à ce genre
de personnage (Alexandre Dachary). Si on considère les remarques au
sujet d'Aloy, peut-on en déduire qu'un personnage ressemblant
réellement à une femme est moins vendeur, moins attractif et que
seuls les corps irréalistes séduisent le public ? Pour beaucoup,
le physique n'entre désormais plus en considération lorsqu'il
s'agit de choisir un jeu mais c'est bien davantage l'histoire et la description
des personnages qui influencent les mentalités (Arborealkey).
Pour conclure, la manière dont les femmes sont
représentées dans les jeux n'a eu de cesse
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d'évoluer ces dernières années, allant de
la représentation ultra sexualisée des femmes en bikini ou
à moitié nues, aux héroïnes en combinaison,
équipée pour la guerre ou la survie, fortes et
indépendantes. Cette vision-là qui est donnée des femmes
est à mon sens une bonne chose s'il elle n'est pas unanime. De la
même manière que toutes les femmes ne sont pas des objets de
plaisir, toutes ne sont pas des aventurières courageuses. Il faut que
les enfants ou les jeunes qui choisissent un jeu puissent faire leur choix
parmi un certain nombre de possibilités aussi bien physiques que
mentales et aient le choix d'être brave ou timide ou sexy etc...
L'important selon moi est d'explorer le plus large champ des
possibles afin de ne pas se retrouver cantonné à une seule
façon de voir les choses. De cette façon, il y aura
peut-être des femmes ou des hommes sexualisés dans les jeux mais
ils ne représenteront pas la majorité et cela aidera très
certainement à redorer l'image des femmes et à en convaincre
certaines de se lancer de manière professionnelle dans le jeu.
Oui, je pense, mais je pense que la société a
évolué. Ce n'était pas forcément quelque chose de
négatif à l'époque dans les années 1970 à
1990, on aimait beaucoup les clichés, on mettait beaucoup les gens dans
des cases donc on pouvait sexualiser les femmes et en faire des objets sans
avoir conscience des répercussions sur la société et pour
les femmes. (Servane Fisher)
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