1.3.3 Harcèlement et pouvoir de l'anonymat
Malgré des changements encourageants comme le montre la
sortie du jeu Horizon, les mentalités des joueurs restent
largement affectées par une perception genrée des rapports
homme-femme et une certaine idée de la place des femmes dans les jeux.
Bien que la moitié des joueurs soient en réalité des
joueuses, ces dernières restent la cible d'insultes, de
harcèlement et de préjugés qui découlent pour une
partie de comportements calqués sur ceux des personnages masculins dans
les jeux et pour une autre partie des rapports sociaux de genre dans lesquels
nous sommes immergés.
Ce sexisme grandissant a atteint un paroxysme avec le hashtag
#1ReasonWhy qui dénonce le sexisme et le harcèlement que
subissent les femmes dans l'industrie du jeu ainsi que le hashtag #gamergate
qui expose une culture misogyne en place depuis de nombreuses années
(Dewey, 2014). Deux camps se font face : l'un principalement composé de
femmes travaillant dans l'industrie du jeu et militant pour plus
d'égalité concernant notamment les salaires et la manière
dont elles sont considérées, et l'autre d'une population à
tendance traditionnaliste, le plus souvent misogyne, et pour certains ne
supportant pas l'introduction des femmes dans leur soi-disant univers. C'est
une opposition entre un ancien et un nouveau mode de fonctionnement qui
était recevable jusqu'ici mais dont les contradictions sont de plus en
plus visibles avec les
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évolutions sociétales contemporaines. Ce
scandale débute à la suite d'accusations envers Zoe Quinn, une
créatrice de jeu accusée d'avoir échangé des
services sexuels contre une couverture médiatique pour son jeu. Ces
accusations se sont révélées fausses, dictées par
la jalousie et par un désir de vengeance envers Quinn. À la suite
du Gamergate une peur s'installe d'être encore plus harcelée car
certaines ont osé prendre la parole.
« Ce que je tiens à dire, c'est que la
prolifération d'images de moi nue, de menaces de mort, de vandalisme, de
publication d'informations personnelles sur mes amis trans (...), la
divulgation de mon adresse postale, les menaces de viol, les memes de moi en
prostituée, les incitations à me suicider, les insultes en tout
genre (...), tout ça, est inexcusable et continuera d'arriver aux femmes
tant que cette culture ne changera pas. Je ne suis certainement pas la
première. J'espère que je pourrai être la dernière
» Zoe Quinn sur son compte Twitter, 2014
À la suite de ces mouvements, une certaine prise de
conscience a pu être observée. Des plateformes comme Twitch ont
présenté leurs excuses pour ne pas avoir agi plus tôt et
ont promis de mettre en place plus de règles et de cadres. D'autre part,
certaines personnes mises en cause ont présenté des excuses
publiques, assurant ne pas avoir pris conscience de la gravité de leurs
actes. La simple prise de conscience est déjà une avancée
importante quand on sait à quel point la culture du jeu vidéo est
machiste.
Au niveau des entreprises, Ubisoft est l'exemple le plus
parlant en raison de nombreuses affaires de harcèlements et d'agressions
sexuelles au sein de ses équipes. Après le mouvement #MeToo, ces
témoignages ont été largement entendus et certaines
mesures ont été prises. Certains dénoncent même
parfois un laxisme vis-à-vis des accusations émises. En effet,
plusieurs femmes ont publié leur histoire, ce qu'il leur était
arrivé avec des collègues, des supérieurs, des
journalistes, aussi bien des avances ou des remarques déplacées
que du harcèlement continu pouvant parfois aller jusqu'au viol. Le plus
grave est que nombre de cadres de l'entreprise étaient au courant mais
avaient gardé le silence, dans un contexte de culture d'entreprise
toxique et négative qui valorise le harcèlement jusqu'à le
voir comme un signe de pouvoir.
De la même manière, Activision Blizzard a
été accusé de favoriser le harcèlement en
contribuant à des carrières inégalitaires. Des avances,
des commentaires sexistes ou encore des attouchements étaient le
quotidien des collaboratrices de l'entreprise c'est pourquoi le
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Department of Fair Employment a décidé de
déposer plainte.
Ces réflexions permettent de faire émerger une
question : y a-t-il un rapport entre les jeux vidéo hyper
sexualisés et le harcèlement sexiste en vigueur en leur sein ?
Plusieurs études ont souligné les conséquences
négatives à observer et manipuler une femme qui ne sert que de
décor en petite tenue. Une étude de Dill, Brown et Collins (2008)
analyse les conséquences des jeux vidéo sur les genres et donc le
harcèlement souvent subi par les femmes ou les personnes LGBT. Le
principe de l'étude est simple : il s'agit de montrer à des
hommes des photos de personnages très sexualisés dans un jeu
vidéo ainsi que des photos de personnes dans leur environnement
professionnel. Par la suite ces personnes étaient interrogées sur
le harcèlement sexuel et ce qu'ils en pensaient. Il est
avéré que le fait d'avoir été mis au contact
d'images suggestives les a rendus plus enclins à tolérer voire
à accepter ce harcèlement. Face à ces images où la
femme est vue comme inférieure à l'homme, les auteurs notent deux
types de réactions et soulignent leur dimension genrée : pour les
hommes il s'agit de laisser les femmes à leur place tandis que les
femmes s'élèvent contre cette injustice et cherchent à se
faire entendre. Enfin, l'étude montre qu'une exposition à long
terme à ce genre de représentations encourage un comportement
plus tolérant vis-à-vis du harcèlement.
Figure 8: Étude du cabinet
Accenture
L'anonymat contribue très largement à ce
harcèlement : pour 92% des personnes, Internet leur permet d'être
plus critiques que dans la vraie vie (Wright et al., 2002). Les harceleurs
peuvent en effet se cacher derrière un pseudonyme et ne jamais avoir
à faire face aux conséquences dans la vie réelle. Une
étude concernant la manière dont les gens se comportent dans les
jeux vidéo
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L'image de la femme dans les jeux vidéo
montre par ailleurs que des comportements comme le trash-talk,
c'est-à-dire le fait de particulièrement mal parler à une
personne, est toléré dans les jeux alors que ça ne serait
pas en situation réelle. De la même manière, l'étude
du cabinet Accenture déjà citée montre que 44% des joueurs
considèrent les jeux vidéo comme une bonne plateforme pour se
défouler et « trash-talk ». Harcèlement et
représentation stéréotypée des femmes dans les jeux
vidéo semblent donc bel et bien liés.
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