L'effectivité du droit des investissements direct étranger au Cameroun.par LoàƒÂ¯c MESSELA Université catholique d'Afrique Centrale - Master 2 en Contentieux et Arbitrage des Affaires 2018 |
B) Les dérogations à l'immunité d'exécutionNous avons relevé deux principales dérogations au principe de l'immunité d'exécution des personnes morales de droit public. La première dérogation est d'origine communautaire (1). La seconde relève du droit international (2). 1) La compensation : Une technique empruntée au droit civil L'alinéa 3 de l'article 30 de l'AUVE dispose : « Toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu'en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles, sous réserve de réciprocité. » La compensation est un mode d'extinction des obligations. Elle tire sa source du droit civil208. Elle est « l'extinction simultanée de deux obligations de même nature existant entre deux personnes réciproquement créancières et débitrices l'une de l'autre »209. Elle permet d'éteindre deux obligations réciproques. Pour se faire, l'obligation doit remplir quatre conditions : la réciprocité, la fongibilité, la liquidité et l'exigibilité. Pour l'a constaté, la partie qui s'en prévaut doit l'invoquer devant le juge. La compensation est une mode d'extinction des obligations consacré en matière civile. Toutefois dans l'hypothèse où l'une 207 R. DAVAKAN, L'exécution des décisions de la CCJA dans les droits internes, https://www.international-arbitration-attorney.com/wp-content/uploads/arbitrationlawexecution-decisions-ccja-dans-droits-14626.pdf, consulté le 14 novembre 2018 à 10 :14 208 Elle est prévue à l'article 1289 du code civil camerounais. 209 F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil - Les obligations, 10ème édition, Précis Dalloz, 2009, pp. 1371-1389 Page 77 des parties en l'occurrence le débiteur est une personne morale de droit public, cette solution ne pourra pas prospérer. L'Etat et ses démembrements sont exclusivement soumis au droit administratif et à sa procédure, raison pour laquelle, l'investisseur direct étranger créancier de l'Etat ne pourra pas voir sa créance éteinte via ce mode. C'est pourquoi, la renonciation à son immunité par l'Etat nous semble efficace comme solution. 2) La renonciation à l'immunité d'exécution : solution du droit international A partir de la seconde moitié du XXème siècle, l'immunité d'exécution a vu son domaine réduit avec l'application de la distinction entre biens affectés à une activité jure imperii et ceux affectés à une activité jure gestionis. Pour les premiers l'Etat continue de bénéficier de l'immunité d'exécution. Par contre pour les seconds, elle lui est refusée210. L'Etat hôte peut de manière expresse renoncer au bénéfice de l'immunité d'exécution. C'est la solution qui est le plus souvent retenue en matière arbitrale. Dans le même ordre d'idée, l'Etat qui accepte de compromettre et ainsi d'être attrait devant une juridiction arbitrale vaut présomption de renonciation à l'immunité d'exécution211. Toutefois l'Etat devra préciser lesquelles de ses biens seront sujet à une mesure d'exécution forcée. Seuls les biens destinés à servir des besoins purement privés ou commerciaux de l'Etat seront saisissables212. Les biens affectés aux activités de souveraineté ou de service public demeurent insaisissables. C'est dans cette optique que la jurisprudence française213 dans les arrêts Englander et Clerget, a distingué les biens ou fonds affectés à une activité commerciale de ceux affectés à une activité de service publique. De plus, dans l'affaire Eurodif214, la première chambre civile de la cour de cassation française a affirmé qu'il fallait établir un lien entre le bien de l'Etat et l'activité économique sur laquelle repose la demande en justice. La Cour est revenue sur l'exigence d'une renonciation expresse dans l'arrêt Commismpex c/ République du Congo215. D'après 210 P. LEBOULANGER, « L'immunité d'exécution des personnes morales de droit public, Revue camerounaise de l'arbitrage », numéro spécial, février 2010, p. 127 211 A. IBUNO, L'immunité d'exécution des personnes morales de droit public à l'épreuve de la pratique en droit OHADA, p. 91 212 Selon admise par la jurisprudence dans l'arrêt Creighton c/ l'Etat du Qatar rendu le 6 juillet 2000 par la 1er Chambre civile de la Cour de cassation française. Cette dernière avait jugé que lorsque l'Etat renonce à son immunité d'exécution, la condition du lien entre l'activité litigieuse et le bien saisi n'est plus exigée ; le créancier peut saisir tout bien de l'Etat sur le territoire du for, à condition que ce bien ne soit pas affecté à une activité ou à une mission de service public et qu'il appartienne à l'entité débitrice. Voir LEBOULANGER (P), Immunité d'exécution des personnes morales de droit public, revue camerounaise de l'arbitrage n° spécial février 2010, p. 127-135, cité par IBUNO, Op cit. p. 92 213 Cassation. Civile. 1er, 11 février 1969, Affaire Englander C/ Banque d'état Tchécoslovaque. 214 Cassation. Civile. 1er, 14 mars 1984, Affaire Eurodif C/ République Islamique d'Iran 215 Cassation. Civile. 1er, 13 mai 2015, Affaire Commisimpex C/ République du Congo Page 78 elle, la coutume internationale en matière d'immunité d'exécution n'exige pas de renonciation spéciale en plus de celle expresse faite par l'Etat. Dans cette hypothèse, la renonciation faite par l'Etat du bénéfice de cette immunité affecterait l'ensemble des biens de l'Etat. Rendant dès lors saisissables des biens tels que les avoirs bancaires des missions diplomatiques et autres biens affectés au service public par l'Etat216. Cette solution nous semble quelque peu extrême. Elle donne trop de latitude au créancier de la personne publique. Sachant que le service public a une mission d'intérêt général, le privé des biens affectés à l'accomplissement de cette prérogative serait nocif. Non seulement à l'égard de l'administration elle-même mais aussi à l'égard des citoyens de l'Etat. Ceci va à l'encontre du but recherché dans l'attractivité des investissements qui est le développement de l'économie et l'amélioration des conditions de vie des populations. Dans la convention des Nations Unies du 17 janvier 2005 sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, il est admis que la conclusion par l'Etat d'une clause compromissoire vaut renonciation à son immunité de juridiction, mais la renonciation à son immunité d'exécution par la souscription d'une clause compromissoire doit faire l'objet d'une déclaration expresse de l'Etat217. Ainsi les parties qui prennent part à une convention d'arbitrage peuvent tout de même saisir le juge de l'urgence pour le voir prononcer une exécution provisoire. L'article 13 alinéa 3 de l'acte uniforme sur le droit de l'arbitrage prévoit à cet effet que : « l'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle à ce qu'à la demande d'une partie, une juridiction, en cas d'urgence reconnue et motivée ou lorsque la mesure devra s'exécuter dans un Etat non partie à l'OHADA, ordonne des mesures provisoires ou conservatoires, dès lors que ces mesures n'impliquent pas un examen du litige au fond, pour lequel seul le tribunal arbitral est compétent ». De plus, l'Etat doit s'inspirer du législateur français et adopter les procédures de « mandatement d'office » ou « mandatement obligatoire »218 216 B. CASTELLANE, Exécution des sentences arbitrales contre les personnes de droit public le point de vue d'une praticienne non africaine, in L'arbitrage en matière commerciale et des investissements en Afrique, G. KENFACK DOUAJNI (sous la dir.) 2017, p. 201 et suivant 217 Cf. art 18 et 19 de la convention des nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens 218 Le mandatement d'office ou obligatoire, mis en place par le législateur français en 1980, est une procédure d'inscription d'une dette au budget de la personne morale débitrice. Elle ne peut être mise en exergue qu'en présence d'une décision de justice passée en force de chose jugée. Le mandatement est dit d'office lorsqu'il s'agit des dettes d'une collectivité territoriale et obligatoire pour les dettes qui incombent à l'Etat Page 79 L'immunité d'exécution est un risque juridique qui peut considérablement freiner l'évolution des relations d'affaires entre les personnes publiques et les tiers. L'investisseur est appelé à contracter avec les personnes publiques au sein de l'Etat hôte. De ce fait, la renonciation à l'Etat de son immunité d'exécution constituera une mesure incitative à l'égard de l'investisseur. Et par conséquent sera de nature à encourager l'investissement direct étranger et surtout à le sécuriser. D'après le juge Antoine OLIVIERA, « les Etats africains signent aisément les clauses compromissoires mais contestent souvent leur validité lorsqu'ils sont attraits devant la CCJA. Les Etats africains sont plus prompts à exécuter les sentences étrangères émanant de la CCI que celles rendues sous l'égide de la CCJA ». Il recommande à cet effet l'abandon par les Etats de leur souveraineté et appliquent correctement les actes uniformes. L'implication effective des Etats parties est la clé du succès continu de l'OHADA219. |
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