L'effectivité du droit des investissements direct étranger au Cameroun.par LoàƒÂ¯c MESSELA Université catholique d'Afrique Centrale - Master 2 en Contentieux et Arbitrage des Affaires 2018 |
Section II: Les pesanteurs liées à la difficulté d'exécution des décisions de justiceL'un des souhaits des fondateurs de l'OHADA est de permettre au justiciable détenteur d'un titre exécutoire199 de bénéficier de ses droits. En effet ce dernier devrait lui faciliter le recouvrement de sa créance. C'est dans ce dessein que le législateur OHADA a prévu aux articles 28 alinéa 1er et l'article 29 alinéa 1er la possibilité au créancier de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens meubles ou immeubles de son débiteur d'une part, d'autre part de se faire assister par l'autorité étatique du pays dans lequel l'exécution de son titre est poursuivi. Il convient de rappeler que dans les développements suivants, nous ne nous 198 Arrêt Munzer c/ Dame Munzer, 1er Ch. Civ Cass 7 janvier 1964. Pour accorder l'exéquatur, le juge français doit s'assurer que cinq conditions sont remplies à savoir : la compétence du tribunal étranger qui a prononcé la décision, la régularité de la procédure suivie devant la juridiction, l'application de la loi compétente d'après les règles françaises de conflit, la conformité à l'ordre public international et l'absence de toute fraude à la loi. - B. ANCEL et Y. LEQUETTE, « Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé », 5ème édition, Paris, Dalloz, 2013, p. 357-373 199 La liste des titres exécutoire est contenue à l'article 33 de l'AUVE : « Constituent des titres exécutoires:
Page 73 attarderons que sur les décisions rendues par les juges judiciaires en l'occurrence les arrêts et les jugements, et aussi les sentences arbitrales. Il existe des tempéraments à l'exécution paisible par le créancier détenteur d'une décision de justice. Il en est ainsi de l'immunité d'exécution des personnes morales de droit publique (PARAGRAPHE 1) ; et des difficultés pratiques d'exécution des sentences arbitrales (PARAGRAPHE 2). Paragraphe 1: L'immunité d'exécution des personnes morales de droit publicL'immunité d'exécution est le privilège personnel reconnu à un débiteur, notamment l'Etat et ses démembrements, qui le soustraient à toute mesure d'exécution forcée. Cette dernière est l'exception à la faculté de contrainte que le créancier a sur son débiteur défaillant. Prévue à l'alinéa 1er de l'article 30 de l'AUVE qui dispose : « L'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution ». L'immunité d'exécution est un sérieux obstacle au recouvrement des créances dans l'espace OHADA car elle permet à une catégorie de personnes d'échapper aux mesures d'exécution forcée (A), toutefois ce principe est assorti d'exceptions (B). A) Le principe de l'immunité d'exécution des personnes morales de droit publicL'immunité d'exécution est à distinguer de l'immunité de juridiction. Tandis que la première intervient en aval de la décision de justice, la seconde intervient en amont et empêche la personne qui en bénéfice d'être jugé. (A compléter). L'immunité d'exécution porte sur la personne destinataire de la mesure d'exécution forcé. Le législateur OHADA ne l'ayant pas expressément identifié, il conviendrait de nous étendre sur les bénéficiaires de cette mesure (1). Les biens peuvent également faire l'objet d'une indisponibilité (2). 1) Bénéficiaires de l'immunité d'exécution Comme précisé plus haut, le législateur OHADA ne s'est pas prononcé de façon explicite quant à l'identification précise des bénéficiaires légaux de l'immunité d'exécution. Toutefois, après une interprétation des alinéas 2 et 3 de l'article 30 précité, on remarque l'emploi incident des termes « personnes morales de droit public et entreprises publiques »200. Les personnes morales de droit public ou établissement public sont des personnes morales qui remplissent des missions d'intérêt général. Elles ont un objet non industriel et non 200 A. IBUNO, « L'immunité d'exécution des personnes morales de droit public à l'épreuve de la pratique en droit OHADA », Revue de l'ERSUMA n°03-septembre 2013, p.80-95, http://revue.ersuma.org, consulté le 12 novembre 2018 à 13 :24 Page 74 commercial. Le législateur camerounais définit cette notion en ces termes : « personne morale de droit public dotée de la personnalité juridique et de l'autonomie financière, chargée de la gestion d'un service public ou de la réalisation d'une mission spéciale d'intérêt général pour le compte de l'Etat ou d'une Collectivité Territoriale Décentralisée »201. Ces personnes publiques sont soumises à un régime dérogatoire au droit commun. Du point de vue de leur organisation et de leur fonctionnement. Les litiges dont elles font l'objet relèvent de la compétence du juge administratif. Les besoins de continuité de services publics, la comptabilité publique, la souveraineté, l'indépendance de l'Etat par ailleurs sont autant de raisons qui militent en faveur de cette mesure. Cependant, l'investisseur peut à l'occasion de ses activités être amené à exercer une prestation pour le compte d'une personne morale de droit publique. Bien que muni d'un titre exécutoire, ce dernier ne pourra contraindre la personne publique à s'exécuter faute d'exécution volontaire de cette dernière. D'après nous, cet état de fait constitue une solide entorse à la sécurité juridique et par voie de conséquence à l'attractivité économique du territoire camerounais. Outre les établissements publics, les entreprises publiques sont également soumises au bénéfice de cette prérogative. En droit camerounais, une entreprise publique est une : « unité économique dotée d'une autonomie juridique et financière, exerçant une activité industrielle et commerciale, dont le capital social est détenu entièrement ou majoritairement par une personne morale de droit public »202. La CCJA a dans le même ordre d'idée reconnue le bénéfice d'exécution aux entreprises publiques dans un arrêt du 7 juillet 2005203. Un rappel des faits de l'arrêt Azablévi YOVO s'impose. Dans cette espèce, le demandeur au pourvoi, muni d'une décision de la chambre sociale de la cour d'appel de Lomé rendu le 10 juillet 2003, a pratiqué une saisie-attribution des créances sur les comptes de la société TOGO TELECOM pour un montant total de FCFA 118.970.213 (Cent dix-huit mille neuf cent soixante-dix mille deux cent treize Franc). La société défenderesse a assigné les demandeurs par devant le président du tribunal de première instance de Lomé pour obtenir mainlevée de ladite saisie. La juridiction présidentielle a donné une suite favorable à cette demande par ordonnance n°425/03 du 13 août 2003. Le demandeur AZIABLEVI va interjeter appel de cette décision par devant la cour d'appel de Lomé. Celle-ci va dans un arrêt n° 186/03 du 26 septembre 2003 confirmer la décision rendue dans l'ordonnance précitée. Sieur AZIABLEVI va par conséquent former un pourvoi de ladite décision par devant la CCJA. 201 Article 4 de la loi n°2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements publics 202 Cf. Art 3 de la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises publiques 203 CCJA, arrêt n°043/2005, 07 juillet 2005, Azablévi Yovo c/ Société Togo Télécom Page 75 Le demandeur au pourvoi soutenait que le fait "que les entreprises publiques soient citées dans l'alinéa 2 de l'article 30 de l'acte uniforme sur le V.E ne signifie pas pour autant qu'elles bénéficient automatiquement de l'immunité d'exécution. Que le Togo ayant voulu rendre ses entreprises publiques compétitives les a soustraites au droit public pour les soumettre au droit privé. Et qu'en admettant que la société TOGO Télécom, entreprise publique bénéficie de l'immunité d'exécution, l'arrêt attaqué a violé l'article 30. Et au soutien de cet argument il énonçait l'article 2 de la loi togolaise n°90126 du 04 décembre 1990 portant réforme du cadre institutionnel et juridique des entreprises publiques qui dispose : "les règles du droit privé, notamment celles du droit civil, du droit du travail et du droit commercial, y compris les règles relatives aux contrats et à la faillite sont applicables aux entreprises publiques dans la mesure où il n'y est pas dérogé par la présente loi. Les entreprises publiques sont soumises aux règles du plan comptable national. La règlementation générale sur la comptabilité publique ne leur est pas applicable". Le juge a affirmé que « (...) en considérant que la décision déférée porte sur une matière relevant des domaines indiqués dans ledit Acte [acte uniforme sur les voies d'exécution] qui ne peut recevoir application (...) la société Togo Télécom, en sa qualité d'entreprise publique bénéficie de l'immunité d'exécution conformément à l'article 30 alinéa 1er et 2, dudit Acte uniforme, la cour d'appel de Lomé a fait une saine application de la loi et confirmé à bon droit l'ordonnance querellée »204. Dans cet arrêt, le juge de la CCJA marque son attachement à la lettre de l'article 30 de l'acte uniforme OHADA. Toutefois il convient de rappeler que la CCJA n'a pas qu'une mission de garant de l'application des actes uniformes. Elle a également une mission d'interprétation au titre de l'article 14 alinéa 1er du traité du 17 octobre 1993205. D'après un auteur, la première fonction de la cour est plus déterminante car elle peut conditionner la seconde. Une interprétation stricte des textes est dangereuse car contraire à l'esprit général du droit OHADA206. Le juge s'éloigne de ce fait de l'objectif premier de l'OHADA qui est l'instauration d'un régime de sécurité juridique et judiciaire pour promouvoir le développement et attirer les investissements. En mettant une société publique de droit privé à l'abri de l'exécution forcée, la CCJA ne concourt pas à l'atteinte de cet objectif. 204 CCJA, arrêt n°043/2005, 07 juillet 2005, Azablévi Yovo c/ Société Togo Télécom 205 Qui dispose : « La Cour commune de justice et d'arbitrage assure dans les Etats parties l'interprétation et l'application commune du présent traité, des actes pris pour son application et des actes uniformes » 206 P.E KENFACK, observations sur l'arrêt n°043/2005, 07 juillet 2005, Azablévi Yovo c/ Société Togo Télécom, in P.G POUGOUE et S. KUATE (sous la dir de), « Les grands arrêts de la Cour Commune de Justice et d'arbitrage de l'OHADA », l'Harmattan, 2010, p. 611-619 Page 76 La doctrine est pour le renvoi au droit interne pour la détermination des bénéficiaires de l'immunité d'exécution. 2) L'insaisissabilité des biens L'inaliénabilité des biens du domaine public est un obstacle à l'arbitrage. On remarque donc que, muni d'une sentence mettant en cause un débiteur, le créancier pourrait être tout de même limité. Les protections qui profitent à tous les débiteurs, personnes morales et surtout physiques, concernent une catégorie de biens qui ne peuvent pas faire l'objet de saisie en vue du recouvrement forcé. La réforme des procédures d'exécution ayant abandonné cette question aux droits nationaux des Etats parties, ce pan du droit demeure régi par le Code de procédure civile et commerciale adopté dans la plupart des Etats, par voie législative ou réglementaire207. |
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