B) L'absence de coopération entre les
juridictions nationales des Etats-parties au traité OHADA
La coopération dont il est question ici est la
coopération horizontale. C'est-à-dire celle entre les
juridictions de même degré. Elle est différente de la
coopération verticale qui concerne les relations entretenues par les
juridictions nationales et la CCJA. Il existe de nombreuses divergences dans
l'organisation judiciaire des Etats-parties. Certains Etats ont
créé des juridictions commerciales. C'est le cas du Tchad, de la
République Centrafricaine, du Mali, de la République
Démocratique du Congo et enfin de la République Islamique des
Comores. D'autres ont créé des chambres commerciales au sein de
leurs tribunaux de première instance. C'est le cas du
Sénégal et du Niger. En ce qui concerne le Cameroun, il n'existe
ni tribunal de commerce ni de chambre commerciale. L'investisseur
étranger se retrouverait ainsi devant une disparité
d'organisations judiciaires. Ce qui serait de nature à créer une
situation d'insécurité judiciaire auprès de ce dernier.
De plus il n'existe pas de convention judiciaire ou un
quelconque autre instrument pouvant favoriser la coopération judiciaire
entre les juges nationaux. La seule qui est appliquée est la convention
signée à Tananarive en 1961 entre les pays de
l'ex-OCAM186. Les
183 MEYER (P), « La sécurité juridique
et judiciaire dans l'espace OHADA », Penant n°855, p. 151,
Ohadata D06-50, 2006
184 J.M TCHAKOUA, « L'exécution des sentences
arbitrales dans l'espace OHADA : regard sur une construction inachevée
à partir du cadre camerounais », RASJ, vol VI, n°1, 2009,
p. 12
185 NGONO (C.V), Op cit.
186 Organisation pour la coopération Africaine et
Malgache
Page 69
juges nationaux n'échangent aucune information entre
eux, en outre aucune rencontre de travail entre les acteurs de la justice n'est
organisée187.
C) Propositions pour l'instauration d'une libre
circulation des décisions de justice
La réalisation de la libre circulation des
décisions de justice est envisageable. Il convient d'instaurer un climat
de coopération entre les juridictions nationales (1), et
également d'organiser les conditions d'une libre circulation des
décisions de justices et des titres exécutoires (2).
1) L'instauration d'une coopération des
juridictions nationales des Etats parties
Dans le cadre juridique européen, il existe de
nombreuses conventions de coopération judiciaire civile. Il en est ainsi
de la convention de Bruxelles adoptée en 1968 fixant les règles
en matière de compétence, de reconnaissance et d'exécution
des jugements en matière civile et commerciale, la convention relative
aux procédures d'insolvabilité, à la compétence, la
reconnaissance, l'exécution des jugements en matière matrimoniale
et enfin la convention sur la notification des actes.
Il serait donc important d'instaurer des rencontres entre les
acteurs judiciaires des Etats membres et adopter un instrument qui faciliterait
la circulation des décisions de justice et autres actes
authentiques188.
De plus le législateur camerounais pourrait
créer des tribunaux de commerce spécialisés pour
connaître des questions du droit commercial et particulièrement du
droit OHADA. Plusieurs autres pays africains.
En l'Etat actuel, la justice camerounaise est l'une des moins
rapides en termes de procédures judiciaires. D'après le
classement « doing business » de 2017, il fallait attendre environ
huit cent jours et débourser 46,6% du montant de la créance en
frais de procédure pour pouvoir la recouvrer. L'indicateur « doing
business » classe le Cameroun 162 sur 190 pays en matière
d'exécution des contrats et enregistre un score de 41,76 sur 100.
Pourtant en
187 Il s'agit ici des juges, des greffiers, des avocats et des
huissiers
188 D'après M. CABRILLAC, l'ordre judiciaire est «
l'ensemble des juridictions, placées sous le contrôle de la
Cour de cassation et compétents pour connaître des litiges entre
personnes privées, ainsi que du contentieux répressif
».
Page 70
Côte d'Ivoire les délais sont de cinq cent
vingt-cinq jours et les coûts de procédure ne représentent
que 41,7% du montant de la créance189.
Cette réforme sera de nature à promouvoir la
célérité des procédures et par la même
occasion, la réduction des coûts. Hormis le raccourcissement des
délais de procédures, l'autre avantage notable est la
spécialisation du personnel judiciaire190. Des juges
spécialisés des questions de droit des affaires OHADA pourront
rendre de meilleures décisions de justices191.
Le législateur communautaire gagnerait également
à adopter un instrument communautaire pour favoriser la
coopération des tribunaux nationaux. Dans le cadre européen, de
nombreux instruments concourent à cette coopération parmi
lesquels la convention de Bruxelles de 1968 fixant les règles en
matière de compétence, de reconnaissance et d'exécution
des jugements en matière civile et commerciale192, la
convention relative aux procédures d'insolvabilité, de
compétence ,de reconnaissance et d'exécution des jugements en
matière civile et commerciale. Et enfin la coopération judiciaire
dans l'obtention des preuves civiles193. Lorsque le juge d'un Etat
de l'union européen est saisi d'un litige qui nécessite la
collecte d'un élément de preuve sur le territoire d'un autre Etat
membre, le juge saisi peut s'adresser directement au juge du lieu de situation
de l'élément recherché afin d'exercer son instruction.
A la différence des règles de fonds qui ont
été uniformisées, l'instrument de communautaire de
coopération judiciaire quant à lui pourrait consister en une
harmonisation de différentes règles de procédures. Son
régime pourrait porter sur l'accès au juge, la durée du
procès raisonnable, le régime d'administration judiciaire de la
preuve, les modes d'introduction d'instance et la preuve. Le document aurait la
forme d'une charte de procédure OHADA. Les législateurs nationaux
conserveraient donc la possibilité de transposer le contenue dans leurs
droits processuels internes. Les conseils des investisseurs auront une
meilleure visibilité en ce qui concerne le champ procédural.
Chose qui contribuerait à
189 J. DIFFO TCHUNKAM, « Doing Business in Africa
analyse des performances du Cameroun sur les dix dernières années
(2008-2017) », Op cit., p. 126
190 Magistrats et greffiers.
191 C.V NGONO, Op cit. A ce sujet, l'auteure souligne
que l'absence de spécialisation des juges en matière du
contentieux commercial peut être un handicap dans la bonne
interprétation et application des dispositions du droit OHADA ; M.
Renaud BEAUCHARD affirme à cet effet que de nombreux fonctionnaires,
comptables, officiers publics et magistrats demeure théorique dans leur
pratique des mesures de l'OHADA au quotidien.
192 Devenu depuis le traité d'Amsterdam, le
règlement UE n°1215/2012 du parlement européen et du conseil
du 12 décembre 2012
193 Règlement (CE) n°1206/2001 du conseil du 28
mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des
Etats membres dans le domaine de l'obtention des preuves en matière
civile ou commerciale
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promouvoir sécurité judiciaire et par la
même occasion rassurer les potentiels investisseurs étrangers.
Il serait également nécessaire d'organiser la
circulation des titres exécutoires dans les Etats membres de l'OHADA.
2) L'instauration d'une libre circulation des titres
exécutoires
Le titre exécutoire est un : « titre revêtu
de la formule exécutoire. Titre qui permet de recourir au recouvrement
forcé de la dette, c'est-à-dire aux poursuites, si le
débiteur ne s'en acquitte pas spontanément »194.
Il est prévu à l'article 33 l'acte uniforme portant
procédures simplifiées de recouvrement et de voix
d'exécution une liste de titres exécutoires195. La
libre circulation ici sera donc la possibilité pour chaque titre
exécutoire de produire des effets dans les Etats requis sans
procédures intermédiaires196. Etant donné que
les Etats-membres de l'OHADA sont dans un espace juridique
commun197, les décisions rendues dans un Etat partie doivent
automatiquement produire des effets dans les autres Etats.
L'instauration de cette libre circulation peut se faire selon
le procédé de l'Union européenne. Premièrement, en
matière d'injonction de payer, de délivrer ou de restituer,
l'ordonnance rendue par le juge devrait être directement
exécutoire sur l'ensemble des Etats-parties à l'OHADA. Le
législateur OHADA devrait de ce fait supprimer l'exéquatur
préalable et admettre la possibilité d'exécution
immédiate une fois que le titre serait passé en force de chose
jugée. Il convient de rappeler que l'exéquatur n'a pas pour
vocation de réviser le jugement au fond mais plutôt d'examiner si
la décision a été rendue dans le respect des droits de la
défense, si elle est conforme à l'ordre public communautaire.
194 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Op.cit., p. 1025
195 L'article 33 dispose : « Constitue des titres
exécutoire :
1) les décisions juridictionnelles revêtues de la
formule exécutoire et celles qui sont exécutoires sur minute;
2) les actes et décisions juridictionnelles
étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés
exécutoires par une décision juridictionnelle, non susceptibles
de recours suspensif d'exécution, de l'État dans lequel ce titre
est invoqué;
3) les procès-verbaux de conciliation signés
par le juge et les parties;
4) les actes notariés revêtus de la formule
exécutoire;
5) les décisions auxquelles la loi nationale de chaque
État partie attache les effets d'une décision judiciaire
196 Procédure de reconnaissance ou d'exéquatur
197 A notion d'espace renvoie à : une « aire
géographique interétatique au sein de laquelle se
développe sous certains rapports une collaboration des autorités
inspirée par une politique commune ». Définition
tirée du vocabulaire juridique Cornu (G) Op cit., p. 414. Les pays
membres de l'OHADA ont abandonné leurs frontières juridiques en
matière de droit des affaires.
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Deuxièmement, Si la décision est issue de
débats contradictoires et que le droit OHADA a été
appliquée, la décision peut être revêtue
automatiquement de l'autorité de la chose jugée et par la suite
de la force exécutoire après être passée en force de
chose jugée.
Depuis l'arrêt Munzer198, l'exequatur n'a
plus pour vocation de vérifier que le juge d'origine a bien
apprécié les faits et bien appliqué le droit au litige.
Son office se limite à l'examen des conditions de la
régularité internationale qu'une décision de justice doit
épouser. Sachant qu'une décision rendue sur la base du droit
OHADA ne pourrait pas être contraire à l'ordre public d'un autre
Etats-membre en raison du fait que ce sont les mêmes dispositions qui y
sont appliquées. Ainsi, Le détenteur du titre exécutoire
pourra en lieu et place de la procédure d'exéquatur, produire
à l'huissier ou à l'agent chargé de l'exécution une
copie de l'originale de l'assignation à comparaître, la
notification de la décision, un certificat de non-appel et enfin un
document attestant que la décision est exécutoire dans son pays
d'origine. Tous ces documents devront être annexés au
procès-verbal de saisie. Nous avons la conviction que la suppression de
l'exéquatur sera de nature à augmenter la
célérité dans l'exécution des décisions de
justice rendues en application du droit OHADA et à exécuter dans
un des Etats-membres de l'espace OHADA.
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