La vacance de la présidence de la république en droit constitutionnel.par Fred Mutombo Mubabinge Université de Kinshasa - Licence en droit 2018 |
Section II : Des fondements politiques de la vacance de la présidence de la RépubliqueL'évolution historique des institutions politiques démontre qu'au début le pouvoir n'était pas une entité, mais s'incarnait dans la personne de l'individu26(*). Après l'expérience sociétale de cette forme de pouvoir, d'autant plus d'ordre personnel qui ne reposait que sur l'allégeance des gouvernés à la personne du chef, l'évidence avait révélé l'instabilité du pouvoir étatique due aux facteurs personnels. En effet, la disparition des circonstances qui l'ont fait apparaître le rend par conséquent précaire,27(*) alors qu'il est dans la logique des choses qu'une fois constitué, le pouvoir étatique, quelque rudimentaire qu'il soit, tend à promouvoir son extension, assurer sa continuité dans le temps et dans l'espace. Or, la volonté de durer est un souci majeur des pouvoirs étatiques. Pour les gouvernants, c'est un objectif essentiel qui correspond pour les gouvernés à un besoin primordial, car ces derniers savent que sans la permanence du pouvoir, ils ne bénéficieront pas des avantages, qui, à leurs yeux sont la justification du pouvoir étatique. C'est ce qu'affirme Georges BURDEAU quand il soutient que : « L'affinement de la mentalité politique qui accompagne la naissance du sentiment national rend sensible à tous l'incompatibilité entre le service de la nation, entité cohérente et durable et un pouvoir reposant uniquement dans l'homme qui l'exerce »28(*). Il découle de ce qui précède deux raisons majeures qui justifient l'institution du remplacement des dirigeants aux fins de garantir la pérennité du pouvoir. D'une part, les raisons qui sont tirées du principe de la continuité de l'Etat, et les raisons liées à la théorie de la souveraineté nationale, d'autre part. §I. De raisons tirées du principe de la continuité de l'EtatL'aspiration des gouvernants et des gouvernés de promouvoir la continuité du pouvoir, s'est opposée à trois obstacles majeurs qui sont d'ordre biologique, psychologique et sociologique. Ø Obstacle d'ordre biologique : l'institutionnalisation du pouvoir seule ne suffit pas. Encore faudra-t-il que son animateur soit aussi permanent qu'elle. Or, la vie d'un homme est limitée et imprévisible. Le trépas le surprend au moment où il s'y attend le moins. Et en vie, d'autres circonstances peuvent l'empêcher à en assurer l'exercice, c'est les cas notamment de la maladie ou certaines incapacités susceptibles d'amoindrir la motricité ou de provoquer le dysfonctionnement des organes vitaux (les yeux, les oreilles, etc.) plaçant ainsi le détenteur du pouvoir dans une situation inconfortable pour l'exercer. Ø Obstacle d'ordre psychologique : depuis son institutionnalisation, le pouvoir n'a cessé d'être l'objet de spoliation par ceux qui en exercent les attributs. C'est ainsi que dit John Emerich EDWARD DALBERG-ACTON (LORD ACTON), je cite : « Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument. Les grands hommes sont presque toujours des hommes mauvais. »29(*). D'où, pour le dispenser de la néo-personnalisation, il était indispensable d'imaginer des techniques législatives capables de lui éviter la confiscation. C'est avec raison que Gorges BURDEAUécrit : « Il ne suffit plus de conquérir le pouvoir. Il faudra justifier d'un titre à son exercice. Cessant d'être les propriétaires du pouvoir, les gouvernants ne sont que les agents d'une puissance qui les dépasse. Leur forme et leur intelligence n'en deviendront pas pour autant inutiles, mais elles seront finalisées par le service de l'Etat dont ils sont les instruments.30(*) Ø Obstacle d'ordre sociologique : à travers le contrôle qu'exerce le peuple (contrôle populaire) sur ses gouvernants, cela peut constituer un obstacle social vis-à-vis de ceux-ci. Ayant les yeux rivés sur lesdits gouvernants, leur actionet/ou gestion du pouvoir qui leur est conférée par le peuple, ils sont, en effet, tenus dans le viseur incontestable de celui-ci. D'où, la crainte de se voir perdre leur poste de commandement, les gouvernants sont tenus au respect de la mission leurs confiée par le peuple car, en cas de la mégestion, ils peuvent être dénis de leurs fonctions (par le biais des soulèvements ou révolutions populaires). Et cela grâce au contrôle populaire lui reconnut par la Constitution. Néanmoins, il faut spécifier que le problème ne se pose pas de la même façon pour tous les pouvoirs. Le pouvoir judiciaire par exemple, jouit d'une grande stabilité en termes de durée que le pouvoir gouvernemental. Pour conjuguer cette instabilité et éliminer ces obstacles, plusieurs procédés ont été trouvés : - Procédé d'ordre matériel : il consiste de doter l'Etat des moyens financiers et militaires capables de protéger le pouvoir contre les assauts extérieurs. - Procédé d'ordre intellectuel, il s'agit : Ø D'une part, de déterminer les conditions qui assureront le remplacement des individus qui exercent le pouvoir. Et c'est là même l'embryon rudimentaire de l'acception de l'alternance du gouvernant ; Ø D'autre part, de mettre le pouvoir lui-même à l'abri des vicissitudes de ceux qui en assument les prérogatives. C'est l'essence même de l'institutionnalisation du pouvoir. Il va de soi que le progrès de mode de remplacement soit conditionné par le processus de maturation de ladite institutionnalisation du pouvoir. Et cela se conçoit généralement de deux manières consécutives aux deux grandes périodes qui marquent la vie institutionnelle des Etats. 1. La période non démocratique Sous cette période, le pouvoir appartenait soit à l'individu, soit à une ligné, soit encore à un groupe qui l'exerçait en dehors de tout mandat du peuple. C'est ainsi qu'en cas d'empêchement, le remplacement était héréditairement organisé et c'est l'héritier en ordre utile de la ligné successorale qui succédait à l'empêché et cela, souvent à l'occasion de sa mort, étant donné qu'il n'y avait pas encore la limitation de la durée de mandat ni leur nombre comme organisé actuellement par les techniques constitutionnelles modernes. La grande innovation sous cette période c'est l'affirmation de la souveraineté nationale, mieux, l'apparition du rôle prépondérant du peuple dans l'organisation et le fonctionnement de l'Etat. Le pouvoir politique a cessé d'être l'apanage d'un homme ou d'un groupe comme sous la monarchie pour devenir une res publica. Le peuple, en effet, par sa Constitution en définit le mode d'accession, d'exercice, en détermine la durée et le nombre des mandats. Mais tout ceci pour quelle raison ? L'Etat se défini généralement comme la conjugaison de trois éléments sociologiques qui sont le territoire, la population ainsi que le pouvoir. Ce dernier dont l'importance selon André HAURIOU consiste en « une organisation de la société en vue d'assurer la protection du groupe, en subsistance, la paix dans les relations sociales et la réalisation d'un idéal de civilisation »31(*). Donc, il va de soi que la disparition du pouvoir engendre inéluctablement l'implosion de l'Etat dans son ensemble parce que dans la perspective démocratique d'institutionnalisation du pouvoirde ce dernier est exercé par les institutions politiques et juridiques, il est inconcevable d'imaginer une fois le fonctionnement harmonieux ou quasiment la survie d'un Etat en l'absence d'une ou de toutes ses institutions. C'est ainsi que l'impérative nécessité de la permanence de l'Etat comme condition indispensable de l'existence et du bien-être de son peuple se trouve subordonnée au fonctionnement non discontinu de ses institutions. Parmi ces institutions, et en ce qui concerne spécialement le pouvoir exécutif, qu'il soit moniste ou dualiste, il s'avère qu'un homme, Chef de l'Etat ou Président de la République selon les cas, puisse à lui seul incarner toute une institution. Vue l'exorbitance de ses prérogatives et l'impact néfaste de leur absence dans le fonctionnement de l'Etat, la technique constitutionnelle mue par la nécessité de sauvegarder à tout prix l'exercice de ses prérogatives au bénéfice de l'Etat, a organisé la vacance de la présidence de la République aux fins de conjuguer tout risque d'un vide institutionnel à ce poste. A ce stade de réflexion, il s'est avéré important de retracer cette évolution du pouvoir ; étant donné que notre sujet, bien qu'autonome, mais ne demeure pas moins le résultat de ladite évolution. En effet, la conciliation de la nécessité d'un pouvoir permanent et le caractère éphémère de la vie du monarque ou du dirigeant a nécessité comme vu précédemment, de le placer dans des institutions plutôt que de le laisser s'incarner dans l'homme (Pouvoir unipersonnel). Etant donné que les institutions sont des organes ou mécanismes qui nécessitent l'intervention de l'homme pour leur fonctionnement, ce même idéal a conduit par la suite à prévoir le remplacement de l'animateur. C'est de là que sont nés les modes de remplacement tels que l'hérédité, la cooptation, le tirage au sort, les élections. C'est donc de ce dernier mode qui est les élections32(*), qu'est née la vacance, procédure indispensable pour palier, bien qu'institutionnalisé, à l'interruption de l'exercice du pouvoir en plein mandat. C'est donc, la raison qui nous a conduit à procéder à cette analyse afin de rendre plausible la compréhension de la vacance de la présidence de la République. * 26Notes de cours de droit public, Université Libre de Bruxelles, 1970, p.79. * 27Idem, p.82. * 28 BURDEAU (G.),"Le pouvoir ", in Encyclopédie française, t. x, l'Etat, 1964, p.113. * 29L'historien et philosophe anglais du XIXème siècle, LORD ACTON, a eu cette formule saisissante par les temps qui courent. En effet, si l'on observe la scène internationale, on voit que les révolutions dans le monde arabe ont pris prétexte, sinon racine, dans la corruption des dictateurs et de leurs familles. Si l'on observe nos propres affaires intérieures, les membres et les proches du gouvernement se voient reprocher des fantaisies pour le moins choquantes, mais les accusateurs d'aujourd'hui sont les corrompus d'hier, et peu d'hommes et de partis politiques dans nos pays sont réellement placés pour donner des leçons de morale aux autres. Ce n'est pas par hasard, et Lord Acton avait raison de lier pouvoir politique et corruption. C'est une évidence : celui qui détient le pouvoir politique n'a de compte à rendre à personne, du moins le croit-il. Il a un sentiment d'impunité. D'autre part il accède à des moyens hors de portée du citoyen ordinaire, la machine d'Etat travaille pour lui. La conclusion est simple : réduire le pouvoir au minimum, pour avoir la corruption minimale. Par contraste, tout élargissement du pouvoir développe la corruption. ( www.google.com ) * 30 BURDEAU (G.), " Le pouvoir", op. cit., p. 113. * 31 HAURIOU (A.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, PUF, 1968, p. 116. * 32 Les élections, conçues comme le choix d'une personne ou d'un groupe de personnes afin d'animer une institution pour un temps bien précis et légalement défini. |
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