A. A travers les structures centrales
Il n'est pas inutile de noter, d'entrée de jeu, que la
République du Congo est un Etat unitaire. C'est ce que l'on peut lire
à l'article 1er de la Constitution du 25 octobre 2015 en ces
termes : « La République du Congo est un Etat de droit, souverain,
unitaire et indivisible, décentralisé, laïc et
démocratique ». Le régime politique pour lequel ce pays a
opté est celui « au sein duquel une seule volonté s'exprime,
tant du point de son agencement politique que de son ordonnancement juridique
»117. Dans son Vocabulaire juridique, Gérard CORNU le
« distingue de l'Etat composé du fait qu'il ne possède qu'un
seul centre d'impulsion politique »118. Commentant la
Constitution congolaise en vigueur, Lovane LHAKHY-TSAMBY nous rappelle à
juste titre que « L'Etat unitaire et indivisible est un Etat qui ne peut
être divisé, où des collectivités territoriales ne
peuvent posséder des compétences réservées à
l'Etat [...] »119.
Ainsi, au Congo, la compétence pour appliquer les lois
en matière d'aires protégées est confiée à
l'administration en charge de la faune et des aires protégées.
L'article 95 de la loi n°37-2008 du 28 novembre 2008 sur la faune et les
aires
115 Cas du Congo dont l'article 5 fait de la faune « un
patrimoine commun de la nation » dont « l'Etat garantit la gestion
durable ».
116 GAMI (N.), « Le partenariat public-privé
(PPP) dans les aires protégées du Bassin du Congo : l'exemple du
parc national d'Odzala-Kokoua en République du Congo »,
file:///C:/Users/WCS/Downloads/FAO-CIFORBook-31GAMIPPP%20(7).pdf.
117 AVRIL (P.), GICQUEL (J.), Lexique droit constitutionnel, PUF,
5ème édition, février 1994, p. 51.
118 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Quadrige/Presse
Universitaire de France, 2ème édition, janvier 2001,
p. 352.
119 LHAKHY-TSAMBY (L.), La constitution congolaise
commentée article par article, L'Harmattan Congo-Brazzaville, 2017, p.
17.
" 38 "
protégées indique dans ce sens que « Sans
préjudice des pouvoirs de police, la police de la faune et de la chasse
est assurée par les services compétents du ministère
chargé des eaux et forêts [...] ».
En matière d'aires protégées, deux
services sont principalement compétents au regard de la loi, à
savoir la direction générale de l'économie
forestière (DGEF), d'une part, et l'agence congolaise de la faune et des
aires protégées (ACFAP), d'autre part. La première, plus
ancienne, est une structure technique de conception de la politique ayant trait
à la faune et aux aires protégées (1) tandis que la
seconde, plus récente, est une structure technique de mise en oeuvre de
cette politique (2).
1. La Direction Générale de
l'Economie Forestière (DGEF) : une structure technique de
conception
Le décret n°98-175 du 12 mai 1998 portant
attributions et organisation de la direction générale de
l'économie forestière confie à cette dernière,
entre autres, la mission de « concevoir, proposer et faire appliquer la
politique du développement du secteur forestier », d'un
côté, et de « concevoir et suivre, au plan technique, la mise
en oeuvre des plans, des programmes et des projets en matière de
forêts, de faune et d'aires protégées, de conservation des
sols, bassins versants, de sources, de cours d'eau et de plans d'eau
»120, de l'autre. Mais avant d'aller loin, il est bon de
préciser un élément qui semble nécessaire. La DGEF
est un organe dépourvu de personnalité morale. En
réalité, « elle ne constitue qu'un des rouages d'une
personne morale »121, en l'occurrence le ministère
chargé de la faune et des aires protégées. Ainsi, à
la simple lecture de cette disposition, on pourrait penser que la DGEF n'est
pas compétente en matière d'aires protégées en
général, et particulièrement sur celle qui concerne les
aires marines protégées. Or, la compréhension de la lettre
ne suffit pas, il faut en comprendre également l'esprit. Mais pour mieux
saisir celui-ci, il est indispensable d'analyser au préalable le
contexte dans lequel le texte créant la DGEF a été
élaboré.
120 Article 1er ; BONGUI (A.S.L.) et MOKOKO IKONGA
(J.), Aires protégées d'Afrique centrale état 2015 :
République du Congo, p. 94-95 : « Selon les dispositions du
décret 98-175 du 12 mai 1998, la Direction Générale de
l'Economie Forestière (DGEF) est l'organe technique qui assiste le
ministre dans l'exercice de ses attributions en matière de faune et de
forêt, au sein duquel la Direction de la Faune et des Aires
Protégées (DFAP) est plus spécifiquement en charge de
l'application des politiques gouvernementales en matière de gestion
durable de la faune et des aires protégées. Elle propose des
programmes d'inventaires de la faune et de la flore, contrôle
l'application des plans d'aménagement et de l'activité
cynégétique, et entretient les relations de coopé- 95
ration avec les organismes nationaux, régionaux et internationaux
concernés (MEFDD, 2015) ».
121 CHAPUS (R.), Droit administratif général, tome
1, 15ème édition Montchrestien, 2001, p. 184.
~ 39 ~
En effet, en mai 1998 le Congo sort à peine d'une
guerre civile qui a permis le retour au pouvoir de l'ancien président,
battu dans les urnes cinq ans plus tôt122. A cette
époque, les institutions sont fragiles et les aires
protégées ne sont pas très à la mode, même si
le pays en compte quelques-unes123. Aussi, la Convention sur la
diversité biologique, dont la réunion de 2010 a permis de
remettre en avant la question de la protection des mers et océans
à travers l'Objectif d'Aichi 11, n'a été ratifiée
qu'en 1996 par le Congo124. A cette époque, la DGEF
était la seule structure, au sein du ministère chargé de
la faune et des aires protégées, compétente en cette
matière. La protection des aires protégées relevait donc
de la seule DGEF via ses agents affectés sur toute l'étendue du
territoire national. Ces derniers sont notamment chargés d'«
assurer la gestion, le contrôle et la conservation des forêts, de
la faune, de la flore et des eaux et veiller à l'utilisation durable de
leurs ressources biologiques »125. Pour y parvenir, la loi leur
donne le droit de porter et de faire usage des « armes de chasse et de
guerre à l'occasion des missions d'inspection, de contrôle et de
répression »126. Mais, depuis la création de
l'ACFAP, il semble y avoir, de facto, deux catégories d'agents
des eaux et forêts : ceux qui sont rattachés à la DGEF
exerçant leurs contrôles essentiellement sur le bois dans les
chantiers forestiers et en dehors, et ceux qui relèvent de l'ACFAP,
veillant sur la faune sauvage dans les chantiers forestiers, les aires
protégées et dans leurs périphéries.
Sur ces entrefaites, quinze ans après la
création de la DGEF, l'Etat a résolu de mettre en place un autre
service technique permettant la mise en oeuvre de la politique de conservation
de la faune et de la flore sauvages, à savoir l'Agence congolaise de la
faune et des aires protégées (2).
122 Après 13 années de pouvoir ininterrompues,
Monsieur Denis SASSOU-NGUESSO et son régime sont balayés par le
vent de la perestroïka venu de l'Est de l'Europe et ayant entrainé
la chute du mur de Berlin. Cette situation nouvelle et inattendue va entrainer
dans les Etats africains, en proie aux dictatures, un vent de démocratie
grâce auquel des Conférences nationales, parfois souveraines,
seront organisées un peu partout en Afrique subsaharienne d'expression
française. Au Congo, la Conférence Nationale Souveraine, qui
avait duré 4 mois, se soldera par la tenue d'élections
générales qui emporteront le régime socialiste du
Général Denis SASSOU-NGUESSO, battu par le Pr Pascal LISSOUBA.
123 Réserve de chasse de La Léfini (1951),
Lessio-Louna (1963), Réserve de biosphère de Dimonika (1988),
Par
National de Nouabalé-Ndoki (1993).
124 Loi n°29-96 du 25 juin 1996 autorisant l'adhésion
à la Convention sur la biodiversité.
125 Article 5 du décret n°2002-433 du 31
décembre 2002 portant organisation et fonctionnement du corps des agents
des eaux et forêts.
126 Article 17 décret supra cité.
~ 40 ~
2 L'Agence Congolaise de la Faune et des Aires
Protégées (ACFAP) : une structure technique de mise en
oeuvre
Aux termes des articles 1er et 4 de la loi
n°34-2012 du 31 octobre 2012 portant création de l'agence
congolaise de la faune et des aires protégées, celle-ci «
est un établissement public à caractère administratif,
doté de la personnalité morale et de l'autonomie
financière »127 qui assure « la mise en oeuvre de
la politique nationale en matière de gestion de la faune, des aires
protégées et des unités de surveillance et de lutte
anti-braconnage »128.
L'ACFAP est ainsi une structure technique
spécialisée du ministère en charge de la faune et des
aires protégées qui assure ce que d'aucuns appellent « le
service public environnemental »129 dans un but d' «
intérêt général »130. A ce titre,
elle est responsable, non pas de la conception de la politique de conservation
de la faune, mais plutôt de la mise en oeuvre de celle-ci. Elle assure en
fait, soit en régie, c'est-à-dire directement, soit en
concession, suivant le modèle de partenariat public-privé devenu
à la mode - dont nous parlerons dans le chapitre suivant - la gestion
des aires protégées. Il est important de faire observer que dans
certaines aires protégées mises en concession au Congo, l'ACFAP
joue, via les conservateurs, placés sous son autorité, davantage
les seconds rôles en matière administrative et financière,
même si les textes qui les créent mettent le conservateur,
représentant l'Etat concédant, et le conseiller technique
principal (souvent désigné par le terme de `'directeur»),
représentant la structure privée concessionnaire, sur un pied
d'égalité131. Il en sera ainsi par exemple en
matière de gestion budgétaire et de matériel,
matières dans lesquelles le représentant du concessionnaire,
généralement
127 Articles 1er de la Loi et 2 des Statuts de l'ACFAP
adoptés par décret n°2013-178 du 10 mai 2013.
128 Article 4 de la Loi et 3 des Statuts supra cités.
129 RADIGUET (R.), Le service public environnemental, Droit,
Université Toulouse 1 Capitole (UT1 Capitole), 2016. Français.
fftel-02266379f.
130 CHAPUS (R.), op.cit. p. 184.
131 Article 40 Protocole d'accord sur l'appui à la
gestion du Parc National de Nouabalé-Ndoki (30 janvier 2008) : « Le
Coordonnateur (conservateur) et le Conseiller Technique Principal WCS sont
cosignataires de tout document relatif à la planification, au
décaissement des fonds et à l'exécution des
dépenses dans le cadre du projet. Ils doivent toujours se concerter pour
décider sur la nature des dépenses à effectuer dans le
cadre du projet ».
" 41 "
propulsé au rang de directeur, assimilable à
celui de chef de projet132, décide quasiment
seul133.
Les structures centrales de l'Etat sont relayées au
niveau local par des structures dites déconcentrées classiques
(B).
B. A travers les structures déconcentrées
classiques
Il est bon de rappeler dans un premier temps les règles
générales qui fondent la diffusion du pouvoir de décision
sur le territoire national (1) avant d'aborder par la suite, à
proprement parler, les structures qui, à l'échelon local,
assurent la protection de la faune et de la flore sauvages (2).
1. Rappel des règles
générales de diffusion du pouvoir de décision à
travers le territoire national
Selon l'article 6 de la loi n°3-2003 du 17 janvier 2003
fixant l'organisation administrative territoriale, la déconcentration
consiste en un « transfert de responsabilités à
l'intérieur d'une même collectivité publique. La relation
entre l'autorité centrale et l'autorité
déconcentrée est hiérarchique ». Partant, la
déconcentration est une technique de « redistribution du pouvoir de
décision » de l'échelle centrale vers une échelle
inférieure, celle-ci vaquant à ses occupations sous l'oeil
vigilant de celle-là. Evoquant la question, René CHAPUS remet au
goût du jour la célébrissime assertion d'Odilon BARROT,
à savoir : « C'est le même marteau qui frappe, mais on en a
raccourci le manche »134.
Ainsi en est-il par exemple en matière de transaction
où le ministre, le directeur général et les directeurs
départementaux de l'économie forestière ainsi que les
conservateurs se partagent, à des degrés différents, la
compétence pour transiger en cas d'infraction et préalablement au
prononcé du jugement135.
2. Des structures assurant la protection de la faune
et la flore sauvages à l'échelon local
En vertu du décret créant la DGEF
susmentionné, celle-ci se dote de directions départementales
(anciennement désignées sous le vocable de `'directions
132 La plupart des chefs de projets des aires
protégées ont ainsi le grade de Conseiller Technique Principal
(CTP), qui correspond au grade le plus élevé dans cet univers.
133 Pourtant, dans les textes (ex. Art. 18 Protocole WCS-MEF
supra cité) : « La coordination du projet est assurée par un
Conservateur qui est assisté dans ses fonctions par une Conseiller
Technique Principal WCS ».
134 CHAPUS (R.), supra cité, p. 391.
135 Article 106 Loi n°37-2008 du 28 novembre 2008 sur la
faune et les aires protégées.
" 42 "
régionales»)136. Ces dernières
sont chargées, entre autres, d'« exécuter les lois et
règlements et les décisions du Gouvernement en matière de
faune, de forêts, et d'aires protégées » dans le
ressort départemental137.
En vertu de leur pouvoir de police de la faune et de la chasse
conféré par l'article 95 de la loi sur la faune et les aires
protégées, les agents affectés dans les directions
départementales et les brigades de l'économie forestière
(DDEF) sont habilités à rechercher et constater des infractions
par procès-verbaux138. Ceux-ci sont dressés par des
agents dûment assermentés139 ayant la qualité
d'auxiliaire de police judiciaire (APJ). Dans ce cadre, ils peuvent dresser
« des barrages aux environs des agglomérations urbaines, des
villages, des aires protégées, et le long des routes, afin de
renforcer la lutte contre la chasse illégale »140. Ils
peuvent également procéder à « des perquisitions
[...] afin de rechercher des animaux ou des trophées
irrégulièrement chassés ou détenus
»141.
Un autre élément parait important à
préciser, c'est qu'à l'occasion des instances judiciaires
ouvertes d'office par le procureur suite aux infractions visées par la
loi sur la faune et les aires protégées commises dans leur zone
de compétence, les directions départementales de
l'économie forestière peuvent se constituer partie civile. Ceci
est très important, notamment en cas de condamnation du prévenu
à payer des dommages-intérêts.
Paragraphe 2 : L'exercice des pouvoirs de police : une
compétence aujourd'hui partagée ?
L'observation que l'on fait de l'exercice des attributions de
protection de la faune et la flore sauvages par certains organes inspire des
interrogations. La compétence de rechercher et réprimer les
infractions sur la faune et les aires protégées naguère
reconnue à l'Etat seulement serait-elle aujourd'hui partagée ? La
création des Unités de Surveillance et de Lutte Anti-braconnage
au niveau des aires protégées (A), des Projet de Gestion des
Ecosystèmes Périphériques au Parc (PROGEPP) et des
chantiers forestiers en constituent de parfaits exemples. Du
136 Article 2 : « La direction générale de
l'économie forestière [...] comprend [...] les directions
régionales de l'économie forestière [...] ».
137 Article 16 décret n°98-175 du 12 mai 1998
portant attributions et organisation de la direction générale de
l'économie forestière.
138 Articles 97 et 98 Loi sur la faune et les aires
protégées.
139 Article 98 Loi susmentionnée.
140 Article 99 Loi supra citée.
141 Article 100 même Loi.
~ 43 ~
reste, les PROGEPP sont-ils un modèle à
reproduire en matière d'aires marines protégées ? (B).
|