Paragraphe 2 : Le choix du partenariat
public-privé
Une considération peut justifier le recours, par
l'Etat, au partenariat public-privé, à savoir la
complexité de la conservation en milieu marin (A). Dans cette
hypothèse, la recherche du partenaire n'est pas toujours une entreprise
aisée (B).
180 Selon SCHOLTE (P.), et al., « Il est
apparu, qu'au cours des premières années de fonctionnement de
nouveaux PPP en Afrique centrale, certains partenaires privés pouvaient
considérer l'aire protégée dont ils avaient la gestion
comme un territoire privé. Leur obligation de redevabilité se
limitait à la remise de rapports d'activités contractuels. Ces
derniers sont importants mais largement insuffisants en matière de
redevabilité [...].
La délégation de gestion à une
entité privée, même si celle-ci est pourvue d'un statut
d'utilité publique ou à but non lucratif, est très
récente. Elle se heurte quelque peu à une culture politique qui
demeure encore très interventionniste. Ainsi, l'État a voulu
influencer, dans certains PPP, les décisions prises par le partenaire
privé pour la gestion opérationnelle de l'aire
protégée (par exemple le processus d'élaboration du plan
de gestion ou la mise en oeuvre de la lutte anti-braconnage). Cette situation
crée des incompréhensions et des tensions des deux
côtés », Partenariats public-privé dans la gestion des
aires protégées en Afrique centrale : Leçons actuelles et
perspectives, Aire protégées d'Afrique centrale. Etat 2020,
p.115-117.
181 En effet, « [...] d'une manière
générale, il ressort que toutes les expériences en cours
[...] au Congo avec APN, CCC et WCS, [...] donnent à ce jour des
résultats globalement satisfaisants. On note qu'aucune expérience
n'a été arrêtée à ce jour et que la tendance
est plutôt favorable au renforcement du statut de protection et à
l'amélioration de l'état de la biodiversité dans les sites
bénéficiaires de ce mode de gestion », Guide sous
régional de bonnes pratiques pour la gestion des aires
protégées en mode Partenariat Public - Privé (PPP) en
Afrique centrale, Secrétariat Exécutif de la COMIFAC, juin 2018,
p.16.
182 Idem.
~ 55 ~
A. Un choix justifié par la complexité de la
conservation en milieu marin
La conservation de la biodiversité dans les aires
protégées terrestres n'est pas chose aisée183,
le faire dans un milieu aquatique est encore davantage difficile au regard du
contexte caractérisé par la fragilité des
écosystèmes marins, voire de leur
dégradation184, et de l'importance des moyens à
mobiliser. En réponse à cette complexité, le
Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique a mis en
place l'« approche par écosystème », laquelle est
« une excellente stratégie de gestion intégrée des
sols, des eaux et des ressources vivantes - une stratégie qui favorise
la conservation et l'utilisation durable d'une manière équitable
»185.
Dans une étude, GOUSSARD, PALLA et SIONNEAU analysent
cette approche et la mette en relation avec la gestion des aires marines
protégées tout en résumant les finalités de
celles-ci dans la sous-région Afrique centrale en quelques points
ci-après :
« · protection et/ou restauration d'un ensemble
d'habitats remarquables, rares ou menacés et des communautés
biologiques associées,
· préservation d'espèces emblématiques
à forte valeur patrimoniale,
· gestion durable des ressources halieutiques et
maintien de la capacité des écosystèmes côtiers et
marins à assurer le renouvellement de ces ressources et des
populations,
· préservation de la capacité des
écosystèmes naturels à fournir les biens et services
écologiques nécessaire au développement des
sociétés côtières, notamment en matière de
réduction des risques marins et côtiers,
· gestion multifonctionnelle des espaces côtiers
et marins basée sur une gouvernance partagée et anticipative,
183 « Les processus qui lient écosystèmes
et espèces sont complexes : une intervention effectuée dans un
lieu géographique donné peut avoir des répercussions
imprévues ailleurs, plusieurs années plus tard »,
Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique (2004)
Approche Par Écosystème (Lignes Directrices de la CDB)
Montréal : Secrétariat de la Convention sur la diversité
biologique 51 p.
184 « Les prochaines décennies seront très
certainement marquées par la menace de l'extinction d'une grande partie
des espèces terrestres, côtières et marines à cause
de la dégradation, de la perte, de la surexploitation, de la
modification ou de la pollution de leur habitat. Il paraît difficile
d'affirmer que certaines espèces résisteraient et s'adapteraient
à de nouvelles conditions et à un nouveau milieu, alors que la
raréfaction ou l'extinction de nombre d'entre elles semblent
inéluctables, dans tout ou partie de leurs aires de répartition.
Cela signera alors la disparition de nombreux services
écosystémiques, auxquels s'ajouteront par exemple les graves
conséquences sur le tourisme et la santé. Les actions de gestion
écosystémique qui prévoient la restauration et la
protection des habitats et des espèces favoriseraient l'adaptation dans
ce secteur », Rapport technique sur l'état de
vulnérabilité côtière des pays d'Afrique centrale.
Dossier de l'ICAM n° 10. Série technique 152, p. 51.
185 Secrétariat de la Convention sur la
diversité biologique (2004) Approche Par Écosystème
(Lignes Directrices de la CDB) Montréal : Secrétariat de la
Convention sur la diversité biologique 51 p., p.1.
·
" 56 "
préservation de systèmes naturels servant de
références scientifiques,
· préservation du patrimoine historique et culturel
des sociétés côtières,
·
»186.
préservation d'opportunités économiques
actuelles et/ou futures (valeurs esthétiques et
récréatives, tourisme par exemple, éducatives, et
scientifiques)
Certains Etats d'Afrique centrale, à l'instar du Gabon,
ont créé plusieurs aires marines protégées tandis
que d'autres sont en voie de suivre l'exemple gabonais, c'est le cas du Congo.
Cela traduit une forte volonté politique de la part des Etats de la
sous-région à sécuriser leurs écosystèmes
marins. Même quand cela est fait pour préserver une espèce,
en l'occurrence la tortue Luth au Congo avec la future aire marine
protégée de la baie de Loango, c'est en réalité
plusieurs espèces ainsi que leurs habitas qui seront en
conséquence préservés. Néanmoins, il convient de
s'interroger sur les capacités institutionnelles de ces Etats à
mener à bien les missions de conservation de ces
écosystèmes et de protection du milieu marin pour atteindre les
finalités poursuivies à travers la création des aires
marines protégées dans leur zone économique exclusive. A
cet effet, une mutualisation des efforts via des partenariats entre acteurs
étatiques et privés permettrait une meilleure gestion de ces
espaces même si « Le fait que les États du Sud affrontent une
pénurie flagrante de moyens financiers et logistiques ne modifie pas
leurs velléités de contrôle des zones »187
maritimes.
B. La cherche du partenaire : une entreprise pas
toujours aisée
Le choix du partenaire est un moment décisif qui, s'il
est bien géré, peut entrainer la réussite du projet ;
à l'inverse, sa mauvaise gestion peut impacter ce dernier
négativement188. C'est dans cette perspective que la
Communauté Economique des Etats de l'Afrique Centrale (CEEAC), la
Commission des Forêts d'Afrique Centrale (COMIFAC) et le Réseau
des Aires Protégées d'Afrique Centrale (RAPAC) ont, à la
demande des Etats, élaboré et mis à la disposition de
ceux-ci un
186 GOUSSARD (J.-J.), PALLA (F.) et SIONNEAU (J.-M.),
Plan stratégique des aires marines protégées
d'Afrique centrale. Aires protégées d'Afrique centrales. Etat
2015, p. 252.
187 BERTIN (C.), RODARY (E.) et al., Aires
protégées, espaces durables ? IRD Éditions,
décembre 2013, p. 55-88 (§ 28).
188 « La mise en oeuvre satisfaisante d'un projet de
gestion d'une aire protégée en mode PPP dépend, de
manière fondamentale, de la bonne conduite de la phase initiale
d'identification et de préparation de ce projet », SCHOLTE (P.),
BRUGIERE (D.) et AGNANGOYE (J.-P.), Partenariats public-privé dans la
gestion des aires protégées en Afrique centrale : Leçons
actuelles et perspectives, Aire protégées d'Afrique centrale.
Etat 2020, p.118.
~ 57 ~
Guide189 destiné à les aider à
mieux aborder et conduire les processus de partenariats public-privé.
Selon ce document, ceux-ci doivent passer par quatre étapes principales,
à savoir :
1.- l'identification et la préparation du projet ;
2.- la contractualisation (formalisation du contrat) ;
3.- la mise en oeuvre du contrat PPP-AP ;
4.- le suivi et évaluation du contrat.
1. L'identification et la préparation du
projet
Cette phase ouvre le processus devant aboutir à la
conclusion du partenariat public-privé souhaité par l'Etat. Elle
consiste en la définition d'un cahier de charges renfermant non
seulement les critères et la procédure de sélection du
partenaire privé, mais aussi la définition des motivations, des
moyens requis, et des modalités relatives à la réalisation
des objectifs et résultats escomptés.
Au Congo, le décret n°2009-156 du 20 mai 2009
portant code des marchés publics définit les règles
régissant la passation, le contrôle et la régulation des
conventions de délégation de service public190. Mais
ce texte n'est pas adapté au contexte des aires protégées
car il a été élaboré pour ne prendre en compte que
les grands projets de construction des infrastructures publiques et de
prestation de services relevant du domaine public, comme l'assainissement,
l'eau, l'électricité, etc. Dans ces conditions, la passation de
contrats de partenariats public-privé ne bénéficie pas
d'un cadre juridique spécifique comme c'est par exemple le cas au
Rwanda191. Cette situation explique, entre autres, les
difficultés et faiblesses rencontrées dans la mise en oeuvre des
contrats de ce type actuellement en cours au Congo.
189 « Depuis plusieurs années, les institutions
nationales en charge de la gestion des aires protégées ont
interpellé les organisations sous-régionales (RAPAC, COMIFAC)
afin de solliciter leur appui pour une meilleure connaissance et appropriation
des partenariats public-privé [...].
Un « Guide sous-régional des bonnes pratiques pour
la gestion des aires protégées en mode Partenariat
Public-Privé » (COMIFAC, 2018) a ainsi été
élaboré sous l'initiative de la COMIFAC et du 118 RAPAC, avec
l'appui de la Coopération technique allemande (GIZ) », Idem,
117-118.
190 Article 1er.
191 « Le Rwanda par exemple dispose d'une loi sur les PPP
(Loi N° 2016- 14 du 2 mai 2016 régissant les Partenariats Public
Privé au Rwanda), qui constitue un cadre juridique de
référence, prenant aussi en compte les aires
protégées. », Guide sous régional de bonnes pratiques
pour la gestion des aires protégées en mode Partenariat Public -
Privé (PPP) en Afrique centrale, Secrétariat Exécutif de
la COMIFAC, juin 2018, p. 20.
~ 58 ~
En attendant la mise en place d'un cadre juridique
spécifique192, la COMIFAC et le RAPAC recommandent aux Etats
de la sous-région Afrique centrale d'avoir « à l'esprit et
présenter au Pp193 de manière claire et
conséquente » les « questions et autres aspects importants
»194 de nature administrative, financière et technique
des partenariats public-privé résumés en huit
points195. Ceux-ci devront constituer la trame du « cahier de
charges que le PP doit élaborer et soumettre aux potentiels Pp par appel
d'offres ou par consultation restreinte »196.
2. La « contractualisation » ou
formalisation du contrat
Cette deuxième étape suppose que le partenaire
privé a été identifié et que doit s'ensuivre
à présent la formalisation du contrat entre l'Etat et
l'attributaire. Ce contrat sera notamment constitué du dossier d'appel
d'offres, du décret de création de l'aire protégée
concernée, de tout autre éventuel texte s'y rapportant, et de
l'offre technique et financière de l'attributaire197. Pour la
conclusion des marchés publics classiques198, il existe un
modèle standard élaboré et ventilé par
l'Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP) du
Congo. Mais, comme indiqué précédemment, la
réglementation actuelle sur les délégations de service
public n'est pas adaptée aux aires protégées terrestre,
a fortiori aux aires marines protégées, et par voie de
conséquence, les modèles qui en sont issus ne le sont pas non
plus.
192 Un avant-projet de loi sur les partenariats
public-privé aurait été élaboré par le
Gouvernement congolais, mais il n'a pas encore été mis à
la disposition des parties prenantes intéressées
généralement mis à contribution par les autorités
publiques congolaises dans les processus d'élaboration des textes
importants.
193 Partenaire privé.
194 Guide sous régional de bonnes pratiques pour la
gestion des aires protégées en mode Partenariat Public -
Privé (PPP) en Afrique centrale, Secrétariat Exécutif de
la COMIFAC, juin 2018, p. 21.
195 « 1. le statut juridique, la catégorie et
l'état de conservation de l'aire protégée concernée
;
2. l'existence ou non d'un plan d'aménagement/de gestion
et d'un plan d'affaires ;
3. les compétences et exigences requises du Pp
recherché ou identifié ;
4. les résultats et performances à
requérir du Pp, assortis d'indicateurs simples, objectivement
vérifiables, à présenter dans un cadre logique
préalablement établi et adopté de commun accord ;
5. le caractère du partenariat envisagé
(partenariat à but lucratif ou non lucratif) ;
6. la détermination des pouvoirs et risques que le PP
s'engage à assumer et ceux qu'il souhaite transférer au Pp qui
l'accepte ou rejette ;
7. le mode de gouvernance envisagé et les arrangements
institutionnels correspondants (gouvernance partagée ou
entièrement déléguée), ainsi que les
procédures techniques, administratives et financières à
observer dans la gouvernance opérationnelle ;
8. les modes et mécanismes de financement
envisagés, ainsi que les questions de rémunération des
prestations du Pp ou de la couverture des différents frais liés
à la mise en oeuvre du projet. », Guide sous régional de
bonnes pratiques pour la gestion des aires protégées en mode
Partenariat Public - Privé (PPP) en Afrique centrale, Secrétariat
Exécutif de la COMIFAC, juin 2018, p. 21.
196 Idem, p. 22.
197 Ibidem, p. 26.
198 Par marchés publics classiques nous faisons
allusion aux marchés qui sont régis par le Code des
marchés publics en vigueur au Congo.
~ 59 ~
3. La mise en oeuvre du contrat de partenariat
public-privé
Une fois le contrat formalisé et conclu, celui-ci
engage les deux parties dans la mesure où il crée des droits et
obligations bénéficiant et pesant sur l'Etat et son partenaire
privé. C'est dans ce cadre qu'a lieu l'exécution du contrat de
partenariat public-privé ainsi conclu, c'est-à-dire la «
mise en oeuvre opérationnelle » dudit contrat.
Il a été affirmé plus haut que
l'exploitation de l'aire protégée - donc du service public - est
confiée par l'Etat à son partenaire privé pour une
durée avoisinant ou dépassant trois décennies, ce qui
correspond à une mise en oeuvre très longue du contrat. De ce
point de vue, nous rejoignons les rédacteurs du `'Guide sous
régional de bonnes pratiques pour la gestion des aires
protégées en mode Partenariat Public-Privé (PPP) en
Afrique centrale» qui pensent que « la bonne ou mauvaise formulation,
compréhension, interprétation et observation des clauses du
contrat [...] détermine(ra) les bonnes ou mauvaises pratiques
susceptibles de favoriser ou de compromettre le projet ».
4. Le suivi-évaluation
Dans le cadre des projets, plus particulièrement ceux
relatifs aux aires protégées, qu'elles soient terrestres ou
marines, gérées sous mode partenariat public-privé, le
suivi-évaluation est un processus très important en ce qu'il
permet de « mesurer l'atteinte des objectifs et l'obtention des
résultats attendus »199 par les deux parties. Si ces
derniers ne sont pas concluants, il permet aux cocontractants de `'rectifier le
tir».
Section 2 : La sanction de la violation des règles
de protection des aires marines protégées
Les règles internationales faisant le lit de la
répression de la violation de la législation sur la faune marine
et ses écosystèmes sont à rechercher à article 11
de la Convention relative à la coopération en matière de
protection et de mise en valeur
199 STRAUSS (M.), Réflexion sur le processus de
suivi-évaluation de projets de développement international : le
cas de Ailes de l'Espérance au Pérou, Centre universitaire de
formation en environnement et développement durable en vue de
l'obtention du grade de maître en environnement (M. Env.), Août
2014, p. 9 ; « Le processus d'évaluation permet à
l'équipe de travail d'observer objectivement les résultats finaux
du projet et de juger dans quelle limite ses objectifs ont été
atteints. Le processus d'évaluation mesure le succès du projet et
étudie les raisons du succès, ainsi que les raisons de la
non-réalisation de façon objective. Bien qu'il soit
nécessaire de reconnaître le succès d'un projet, le plus
important est d'identifier les raisons pour lesquelles ce succès se
répètera à l'avenir ou alors ce qui a empêché
le projet d'atteindre ses résultats afin d'éviter des obstacles
à l'avenir », FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG - SUIVI ET
ÉVALUATION, 2014, p.8.
~ 60 ~
du milieu marin et des zones côtières de la
région d'Afrique de l'ouest, du centre et du sud qui confie aux Etats la
responsabilité d'assurer la protection et la préservation des
« écosystèmes singuliers ou fragiles ainsi que l'habitat des
espèces et autres formes de vie marine appauvries, menacées ou en
voie de disparition ». Dans ce cadre, ils sont habilités «
d'interdire ou de réglementer toute activité de nature à
avoir des effets néfastes sur les espèces, les
écosystèmes, ou les processus biologiques de ces zones ». La
protection des écosystèmes marins via les mesures de conservation
qui sont initiées par l'Etat à travers l'arsenal juridique
existant a lieu suivant les procédures devant les organes de sanction
(paragraphe 1) ; le contenu des sanctions prononcées étant
variable (paragraphe 2).
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