La collecte des données marines et le droit de la merpar Wafa ZLITNI Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - Master de recherche en Droit international 2021 |
Paragraphe II. Les raisons de l'absence de définition de la recherche scientifique marineL'absence de la définition de la recherche scientifique marine est due à un débat au cours des négociations de la CNUDM III qui ne déboucha sur aucun compromis153. Celui-ci opposa les Etats industrialisés aux Etats en voie de développement. Les premiers étaient favorables à la distinction entre la recherche scientifique pure et la recherche industrielle tandis que les seconds y étaient farouchement hostiles. Et pour cause, l'enjeu n'était pas une simple distinction terminologique mais l'adoption d'un régime juridique unique (A) qui protège les intérêts économiques et militaires de l'Etat côtier (B). A. Un régime juridique uniqueLe Texte unique de négociation officieux révisé dont l'article 48 prévoyait qu'aux fins «de la présente Convention, par recherche scientifique marine, on entend toute étude et tout travail expérimental connexe destiné à accroître les connaissances de l'Humanité sur le milieu marin»154 semblait avoir adopté la distinction entre la recherche scientifique pure et la recherche industrielle. Mais le texte final de la CMB abandonna cet article de définition. Il en découle par conséquent un régime juridique identique pour la recherche scientifique marine pure et la recherche industrielle. 30 153 FRIKHA (A.), op. cit., pp.11-12. 154 ONU, Document A/CONF.62/WP.8/Rev.1/PartIII, op. cit., pp.173-184. 31 Adopter cette distinction aurait en effet conduit à établir deux régimes juridiques distincts155 pour les deux types de recherches. La recherche pure aurait été soumise à un régime de liberté, plus souple156 que le régime du consentement auquel aurait été soumise la recherche industrielle157. Ainsi, seule cette dernière aurait nécessité le consentement préalable de l'Etat côtier et aurait fait l'objet de son contrôle. Le véritable enjeu de cette distinction terminologique juridique158 était donc de savoir si la recherche scientifique marine était soumise à la souveraineté de l'Etat côtier ou si elle y échappait159. Cette distinction entre la recherche pure et la recherche industrielle se trouva ainsi au centre des intérêts divergents des Etats industrialisés et des Etats en voie de développement160. Les Etats industrialisés tels que la France, la Finlande et la Suède161 revendiquèrent une liberté de recherche maximale pour la recherche pure. Les Etats en voie de développement tels que le Soudan et le Kenya162 revendiquèrent quant à eux un régime de contrôle strict de l'Etat côtier sur les deux types de recherche scientifique marine. La Libye déclara à cet égard qu'une telle activité menée dans les zones soumises à la souveraineté de l'Etat côtier relève du droit exclusif de cet Etat163. 155 FRIKHA (A.), op. cit., pp.11-12. 156 MOUSSA (F.), La Tunisie et le Droit de la mer, Tunis, Imprimerie officielle de la république tunisienne, 1981, p.107. 157 GUILLOUX (B.), «Le régime de Droit international public de la recherche scientifique marine: dualité juridique et pratique», Annuaire de Droit maritime et océanique, tome XXII, 2004, pp.24-25, [en ligne]: https://docplayer.fr/65049723-Le-regime-de-droit-international-public-de-la-recherche-scientifique-marine-dualite-juridique-et-pratique-1.html (consulté le 15-02-2021). 158 MONTJOIE (M.), op. cit., pp.840-842. 159 FREYMOND (O.), op. cit., pp. 37-44. 160 MONTJOIE (M.), op. cit., pp.840-842. 161 FREYMOND (O.), op. cit., pp. 37-44. 162 Ibidem. 163 ONU, Document A /CONF.62/ SR.32, op. cit., pp. 127-133. Les Etats en voie de développement voulaient étendre leur contrôle sur la recherche scientifique marine dans les zones sous leur souveraineté et les zones sous leur juridiction afin de protéger leurs ressources naturelles contre les Etats industrialisés. Les premiers accusèrent en effet les seconds de ne pas défendre la liberté de la science par principe, mais plutôt pour limiter le contrôle des Etats côtiers en voie de développement sur ces zones afin de pouvoir explorer et exploiter les ressources qui s'y trouvent au nom de la prospérité de la science164. Les Etats en voie de développement déclarèrent alors à la CNUDM III qu'ils «n'avaient aucune intention d'entraver la recherche, mais qu'ils n'étaient pas non plus préparés à permettre l'exploitation de leurs ressources et la pollution de leurs eaux sous le prétexte que ceci est dans l'intérêt de la science. C'était quasiment une insulte, un vestige de la mentalité paternaliste de certaines puissances, de supposer que [les Etats en voie de développement] désiraient entraver le progrès de la recherche par caprice»165. La définition de la recherche scientifique marine est ainsi absente de la version finale de la CMB parce que les Etats en voie de développement voulurent éviter de distinguer entre la recherche pure et la recherche industrielle et appliquer par conséquent un régime unique qui protège les intérêts de l'Etat côtier. 32 164 FRIKHA (A.), op. cit., pp.2-86. 165 ONU, Document A/CONF.62/C.2/SR.29, op. cit., pp.224-226. 33 |
|