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La collecte des données marines et le droit de la mer


par Wafa ZLITNI
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - Master de recherche en Droit international 2021
  

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B. L'Autorité, garante des intérêts des Etats en voie de développement et des Etats industrialisés

Au cours des négociations de la CNUDM III, l'Irak proposa au nom du groupe des 77589 que le transfert des techniques marines soit de la compétence d'une organisation internationale590. Les Etats en voie de développement demandèrent que l'Autorité en particulier reçoive la responsabilité du transfert des techniques591. L'article 273 du texte final de la CMB, qui prévit finalement que «les Etats coopèrent activement avec les organisations internationales compétentes et avec l'Autorité en vue d'encourager et de faciliter le transfert aux États en développement, à leurs ressortissants et à l'Entreprise de connaissances pratiques et de techniques marines se rapportant aux activités menées dans la Zone»592, ne retint qu'à moitié cette proposition, puisqu'il confia cette responsabilité à l'Autorité seulement dans les limites de la Zone.

588 L'article 268 de la CMB précitée prévoit: «Les Etats, directement ou par l'intermédiaire des organisations internationales compétentes, doivent promouvoir : a) l'acquisition, l'évaluation et la diffusion de connaissances dans le domaine des techniques marines ; ils facilitent l'accès à l'information et aux données pertinentes ; b) le développement de techniques marines appropriées ; c) le développement de l'infrastructure technique nécessaire pour faciliter le transfert des techniques marines ; d) la mise en valeur des ressources humaines par la formation et l'enseignement dispensés aux ressortissants des Etats et pays en développement, en particulier de ceux d'entre eux qui sont les moins avancés ; e) la coopération internationale à tous les niveaux, notamment la coopération régionale, sous-régionale et bilatérale».

589 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.9, op. cit., p.252.

590 YAHYAOUI (M.), op. cit., p.299.

591 SOUISSI (S.), op. cit., pp.56-57.

592 L'article 273 de la CMB précitée prévoit: «Les États coopèrent activement avec les organisations internationales compétentes et avec l'Autorité en vue d'encourager et de faciliter le transfert aux Etats en développement, à leurs ressortissants et à l'Entreprise de connaissances pratiques et de techniques marines se rapportant aux activités menées dans la Zone».

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C'est pour cette raison que l'article 144 de la CMB relatif aux mesures à prendre par l'Autorité pour atteindre les objectifs du transfert des techniques marines593 ne se trouve pas dans la partie XIV de la CMB mais dans la partie XI intitulée «La Zone». En effet, la partie XIV de la CMB qui s'intitule «Développement et transfert des techniques marines», est le résultat594 de la proclamation de la Zone en tant que patrimoine commun de l'Humanité595, en application de la théorie de la mer considérée comme res communis596. En effet, les progrès technologiques de cette époque permirent l'exploration des grands fonds marins et de l'espace extra-atmosphérique jusque-là inaccessibles. Dans ce contexte de Guerre Froide, les USA et l'URSS risquaient d'entrer en compétition pour l'appropriation de ces espaces. Afin d'éviter cette compétition, les grands fonds marins ainsi que la lune, les corps célestes, l'orbite des satellites géostationnaires et le spectre des fréquences radioélectriques furent proclamés patrimoine commun de l'Humanité597.

A cet égard, nous pouvons lire à l'article 140 de cette même partie de la CMB

593 L'article 144 de la CMB précitée prévoit: «1. Conformément à la Convention, l'Autorité prend des mesures : a) pour acquérir les techniques et les connaissances scientifiques relatives aux activités menées dans la Zone ; et b) pour favoriser et encourager le transfert aux États en développement de ces techniques et connaissances scientifiques, de façon que tous les États Parties puissent en bénéficier. 2. À cette fin, l'Autorité et les États Parties coopèrent pour promouvoir le transfert des techniques et des connaissances scientifiques relatives aux activités menées dans la Zone, de façon que l'Entreprise et tous les États parties puissent en bénéficier. En particulier, ils prennent ou encouragent l'initiative : a) de programmes pour le transfert à l'Entreprise et aux États en développement de techniques relatives aux activités menées dans la Zone, prévoyant notamment, pour l'Entreprise et les États en développement, des facilités d'accès aux techniques pertinentes selon des modalités et à des conditions justes et raisonnables ; b) de mesures visant à assurer le progrès des techniques de l'Entreprise et des techniques autochtones des États en développement, et particulièrement à permettre au personnel de l'Entreprise et de ces États de recevoir une formation aux sciences et techniques marines, ainsi que de participer pleinement aux activités menées dans la Zone».

594 MILLAN (S.), op. cit., pp.855.

595 Article 136 de la CMB précitée.

596 Selon la théorie de la mer res communis omnium, tous les Etats jouissent du Droit d'utiliser cet espace commun, de la même façon que des copropriétaires, LANGAVANT (E.), Droit de la mer, tome II, Le Droit des communications maritimes, Paris, éditions Cujas, 1979, p.10.

597 SMOUTS (M.), «Du patrimoine commun de l'humanité aux biens publics globaux», Patrimoines naturels au Sud : territoires, identités et stratégies locales, CORMIER SALEM (M.) (ed.), JUHE-BEAULATON (D.) (ed.), BOUTRAIS (J.) (ed.) et ROUSSEL (B.) (ed.),

Paris, 2005, p. 53, [en ligne]: https://horizon.documentation.ird.fr/exl-
doc/pleins_textes/divers10-07/010037531.pdf (consulté le 03-03-2021).

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que toute activité dans la Zone doit être menée «dans l'intérêt de l'Humanité tout entière»598. L'article 143 de ladite Convention affirme que la recherche scientifique marine en particulier doit être conduite «dans l'intérêt de l'Humanité tout entière»599, c'est-à-dire qu'elle doit être «destinée à»600 et «conçue pour accroître les connaissances de l'Homme»601 sur le milieu marin. C'est pour atteindre cet objectif que certains Etats en voie de développement proposèrent durant les négociations de la CNUDM III que la recherche scientifique marine soit soumise au «contrôle direct et effectif» d'une organisation internationale602 qui soit habilitée à se livrer à cette activité dans la Zone, directement ou par la voie de contrats603.

D'autres demandèrent que cette activité soit menée librement sous la tutelle de cette organisation. Cette dernière se chargerait de coordonner les programmes de recherche et de diffuser les résultats à l'échelle mondiale604. Les projets de recherche devraient simplement lui être notifiés605. Les Etats industrialisés, par contre, rejetèrent toute «restriction à la liberté de la recherche scientifique marine dans la Zone»606. La CMB prévoit finalement que «l'Autorité peut effectuer des recherches scientifiques marines sur la Zone et ses ressources et peut passer des contrats à cette fin. Elle favorise et encourage la recherche scientifique marine dans la Zone, et coordonne et diffuse les résultats de ces recherches et analyses, lorsqu'ils sont disponibles»607.

598 L'article 140.1 de la CMB précitée prévoit: «Les activités menées dans la Zone le sont, ainsi qu'il est prévu expressément dans la présente partie, dans l'intérêt de l'humanité tout entière (...)».

599 L'article 143.1 de la CMB précitée.

600 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.17, op.cit., p. 265.

601 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.29, op.cit., p. 216.

602 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.9, op. cit., p.252.

603 FREYMOND (O.), op. cit., pp. 92-94.

604 Ibidem.

605 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.29, op. cit., pp.216-218.

606 PANCRACIO (J.), Droit de la mer, op. cit., p.94.

607 L'article 143.2 de la CMB précitée prévoit: «L'Autorité peut effectuer des recherches scientifiques marines sur la Zone et ses ressources et peut passer des contrats à cette fin. Elle favorise et encourage la recherche scientifique marine dans la Zone, et elle coordonne et diffuse les résultats de ces recherches et analyses, lorsqu'ils sont disponibles».

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Les Etats en voie de développement proposèrent que le transfert des techniques marines soit soumis à la compétence d'une telle organisation internationale pour que l'égalité de tous les Etats soit garantie608. En effet, «l'Autorité est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres»609. Les voix des Etats en voie de développement et celles des Etats industrialisés610 sont alors égales en poids611 malgré les inégalités de développement. L'Autorité a surtout pour responsabilité de garantir que le transfert des techniques marines s'effectue dans des conditions justes et raisonnables, «principe de fond qui transcende la partie XIV»612 de la CMB. L'article 266.1 de ladite Convention prévoit en effet que «les Etats [...] coopèrent [...] en vue de favoriser activement le développement et le transfert des sciences et techniques de la mer selon des modalités et à des conditions justes et raisonnables»613, «sur une base équitable, [et] au profit de toutes les parties concernées»614.

L'Autorité garantit alors un transfert effectif des techniques marines aux Etats en voie de développement mais protège aussi les intérêts légitimes des Etats industrialisés615. Elle doit ainsi assurer un équilibre entre les droits et les obligations des acquéreurs et des fournisseurs des techniques de collecte des données marines.

608 YAHYAOUI (M.), op. cit., pp.299-300.

609 L'article 157.3 de la CMB précitée prévoit: «L'Autorité est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres».

610 MOUSSA (F.), op. cit., pp.105-106.

611 YAHYAOUI (M.), op. cit., pp.299-300.

612 MILLAN (S.), op. cit., p.859.

613 L'article 266.1 de la CMB précitée prévoit: «Les Etats, directement ou par l'intermédiaire des organisations internationales compétentes, coopèrent, dans la mesure de leurs capacités, en vue de favoriser activement le développement et le transfert des sciences et techniques de la mer selon des modalités et à des conditions justes et raisonnables».

614 L'article 266.3 de la CMB précitée prévoit: «Les États s'efforcent de favoriser l'instauration de conditions économiques et juridiques propices au transfert des techniques marines, sur une base équitable, au profit de toutes les parties concernées».

615 MILLAN (S.), op. cit., pp.862.

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D'une part, l'Autorité veille à ce que les Etats fournisseurs des nouvelles techniques n'imposent pas des clauses restrictives aux Etats en voie de développement qui ne disposent pas des renseignements nécessaires pour négocier616, à ce que les ressortissants de ces derniers «soient engagés comme stagiaires parmi les membres du personnel technique, de gestion et de recherche recruté pour les besoins de ses activités, [à ce que] la documentation technique sur le matériel, les machines, les dispositifs et les procédés employés soit mise à la disposition [...] des Etats en développement [et à ce que] des dispositions appropriées soient prises en son sein pour faciliter l'acquisition par les Etats qui ont besoin et demandent à bénéficier d'une assistance technique [...] des connaissances, [...] de l'équipement, des procédés, du matériel et du savoir-faire technique nécessaires617 à la collecte des données marines.

D'autre part, l'Autorité tient dûment compte618 des droits de propriété industrielle, dont relèvent ces techniques619, des entreprises et des investisseurs privés620 des Etats industrialisés. Or, celle-ci a le pouvoir d'exiger d'un Etat

616 MOUSSA (F.), op. cit., pp.105-106.

617 L'article 274 de la CMB précitée prévoit: «Compte tenu de tous les intérêts légitimes, ainsi que des droits et obligations des détenteurs, des fournisseurs et des acquéreurs de techniques, l'Autorité, en ce qui concerne les activités menées dans la Zone, fait en sorte que : a) conformément au principe d'une répartition géographique équitable, des ressortissants d'États en développement, qu'il s'agisse d'États côtiers, sans littoral ou géographiquement désavantagés, soient engagés comme stagiaires parmi les membres du personnel technique, de gestion et de recherche recruté pour les besoins de ses activités ; b) la documentation technique sur le matériel, les machines, les dispositifs et les procédés employés soit mise à la disposition de tous les États, notamment des États en développement qui ont besoin et demandent à bénéficier d'une assistance technique dans ce domaine ; c) des dispositions appropriées soient prises en son sein pour faciliter l'acquisition par les États qui ont besoin et demandent à bénéficier d'une assistance technique dans le domaine des techniques marines, notamment les États en développement, et par leurs ressortissants, des connaissances et du savoir-faire nécessaires, y compris l'acquisition d'une formation professionnelle ; d) les États qui ont besoin et demandent à bénéficier d'une assistance technique dans ce domaine, notamment les États en développement, reçoivent une assistance pour l'acquisition de l'équipement, des procédés, du matériel et du savoir-faire technique nécessaires, dans le cadre des arrangements financiers prévus dans la Convention».

618 L'article 267 de la CMB précitée prévoit: «Les États, en favorisant la coopération en application de l'article 266, tiennent dûment compte de tous les intérêts légitimes, ainsi que des droits et obligations des détenteurs, des fournisseurs et des acquéreurs de techniques marines».

619 SOUISSI (S.), op. cit., pp.56-57.

620 MILLAN (S.), op. cit., pp.859.

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contractant susceptible d'exploiter dans la Zone de s'engager à transférer à l'Entreprise621 la technologie qu'il compte utiliser pour cette exploitation, avant de lui octroyer l'accès au site minier622, et «les données qui sont nécessaires à l'élaboration par l'Autorité des règles, règlements et procédures relatifs à la protection du milieu marin et à la sécurité [...] ne sont pas réputées être propriété industrielle»623. Les Etats industrialisés, hostiles à ces dispositions qu'ils disent porter atteinte à l'égalité des droits entre les exploitants de la Zone624, adoptèrent «une attitude distante»625 à l'égard de l'Autorité, ne désirant pas céder leurs techniques à cette organisation internationale sans obtenir en contrepartie un accès garanti aux sites miniers626.

La CMB annonça ainsi l'objectif ambitieux d'une répartition plus équilibrée des sciences et des techniques marines entre les Etats en voie de développement et les Etats industrialisés mais prévit des moyens insuffisants pour atteindre un tel objectif.

621 L'article 170.1 de la CMB précitée prévoit: «L'Entreprise est l'organe de l'Autorité qui mène des activités dans la Zone directement en application de l'article 153, paragraphe 2, lettre a), ainsi que des activités de transport, de traitement et de commercialisation des minéraux tirés de la Zone».

622 L'article 5.3. de l'annexe III de la CMB précitée prévoit: «Tout contrat portant sur des activités à mener dans la zone contient des clauses par lesquelles le contractant s'engage à c) acquérir, par un contrat exécutoire, à la demande de l'Entreprise et s'il peut le faire sans que cela entraîne pour lui des frais importants, le droit de transférer à l'Entreprise toute technique qu'il utilise pour mener des activités dans la Zone au titre du contrat, qu'il n'est pas déjà en droit de transférer et qui n'est pas généralement disponible sur le marché libre».

623 L'article 14.2 de l'annexe III de la CMB précitée prévoit: «Les données communiquées au sujet du secteur visé par le plan de travail et réputées être propriété industrielle ne peuvent être utilisées qu'aux fins énoncées au présent article. Les données qui sont nécessaires à l'élaboration par l'Autorité des règles, règlements et procédures relatifs à la protection du milieu marin et à la sécurité, autres que les données relatives à la conception de l'équipement, ne sont pas réputées être propriété industrielle».

624 SOUISSI (S.), op. cit., pp.58-59.

625 Ibidem.

626 Ibidem.

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Paragraphe II. Des moyens insuffisants pour atteindre l'objectif annoncé Les dispositions de la CMB qui énoncent les mesures à prendre en vue d'atteindre les objectifs du transfert des techniques marines sont trop vagues pour véritablement réaliser ce transfert (A). Celles-ci doivent dès lors être précisées par d'autres instruments juridiques (B).

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote