La collecte des données marines et le droit de la merpar Wafa ZLITNI Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - Master de recherche en Droit international 2021 |
A. Des dispositions trop vagues pour réaliser un véritable transfert des techniques marinesNous remarquons un fort contraste entre les dispositions de la CMB appelant au transfert des techniques marines et les autres normes de ladite Convention. Les unes sont vagues627 et théoriques628 tandis que les autres sont plus précises629. L'article 244 de la CMB appelle les Etats à «favoriser» ce transfert, et l'article 266 de ladite Convention prévoit que «les États s'efforcent de [le] favoriser». Rédigées d'une telle manière, ces dispositions «reflètent un manque de fermeté caractérisé630». Certains Etats en voie de développement exprimèrent en effet leurs inquiétudes au Congrès des pays arabes de 1976 en déclarant que ces principes «risquent de ne pas trouver une application»631. Ces inquiétudes se révélèrent bien fondées puisque le transfert des techniques marines des Etats industrialisés vers les Etats en voie de développement dans le cadre des programmes de coopération internationaux fut limité. Ceci peut être illustré par l'expérience de l'Etat tunisien avec le projet européen PERSEUS. Ayant ratifié la CMB par la loi numéro 85-6 du 22 février 1985632, la Tunisie eut l'obligation de coopérer avec les autres Etats en matière de collecte des données marines dans le cadre de ce projet mené entre 2011 et 2015, pour «évaluer le 627 MILLAN (S.), op. cit., pp.859-860. 628 GUILLOUX (B.), op. cit., p.9. 629 SOUISSI (S.), op. cit., pp.54-59. 630 Ibidem. 631 MOUSSA (F.), op. cit., pp.103-104. 632 Loi tunisienne n°85-6 du 22 février 1985 portant ratification de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, JORT n°17 du 1 mars 1985, p.310. 130 double impact de l'activité humaine et des pressions naturelles sur les écosystèmes marins de la Méditerranée et de la mer Noire et faire reculer la dégradation de la vie marine à long terme»633. Parmi les grandes thématiques de PERSEUS634 figuraient l'acquisition de nouveaux savoirs et de nouvelles technologies ainsi que des ateliers de formations et de renforcement des capacités. De jeunes ingénieurs tunisiens participèrent à ces ateliers pour être formés à utiliser le glider qui fut alors employé pour cartographier la température et la salinité du canal de Sardaigne635. Mais la participation des scientifiques tunisiens à ce projet fut limitée, et ce qui aurait pu être une opportunité de collaboration et de transfert de compétences bien plus effectif, finit par servir les intérêts des participants européens avant tout636. Ainsi, les Etats en voie de développement accusèrent les Etats industrialisés de ne pas vouloir un réel transfert de technologie et de ne pas céder les techniques marines pertinentes, celles qui leurs permettent de réaliser un développement économique, celles qui leur permettent de récolter effectivement les ressources marines, d'exercer une maîtrise totale et une récolte effective de leurs ressources, celles qui leurs permettent de substituer progressivement leurs nationaux aux coopérants étrangers637. Ceux-ci adoptèrent alors une nouvelle stratégie pour obtenir les techniques marines des Etats industrialisés. 633AGREBI (M.), Rapport sur l'atelier national de lancement du projet Odyssea-Tunisie, le 15- 02-2018, pp. 9-12, [en ligne]: 634 PERSEUS est le projet «Policy-Oriented Marine Environmental Research in the South European Seas». 635 AGREBI (M.), op. cit., pp.9-12. 636 Ibidem. 637 SOUISSI (S.), op. cit, p.55. 131 Nous remarquons à la lecture des législation des premiers que le consentement à la recherche scientifique marine dans les zones de souveraineté et de juridiction de l'Etat côtier est utilisé comme une monnaie d'échange contre le transfert des techniques des seconds. L'Etat tunisien exige par exemple que le requérant qui demande à effectuer des recherches ou des levés dans sa mer territoriale, dans sa ZEE, ou sur son plateau continental, «s'engage par écrit à remettre au ministère compétent une copie de toutes les données brutes et échantillons, de leur dépouillement, des rapports préliminaires, des résultats et des conclusions finales, ainsi que l'évaluation de ces données, échantillons et résultats»638. Les chercheurs doivent également s'engager à aider l'Etat tunisien à interpréter ces données639. Ayant un caractère trop vague, les dispositions de la CMB doivent être précisées par des principes directeurs élaborés par les organisations internationales compétentes afin de réaliser un transfert des techniques marines véritable, |
|