Chapitre deuxième : L'encadrement
lacunaire du transfert des techniques marines
Les techniques marines concernent non seulement la recherche
scientifique marine, mais aussi l'exploration, l'exploitation et la protection
de la mer568. La CMB annonce comme objectif le partage
équitable de ces techniques569 et une coopération
internationale accrue entre les Etats directement et par l'intermédiaire
des organisations internationales compétentes. Cette coopération
est en effet indispensable à la compréhension mondiale des
océans570, au progrès de la collecte des
données marines, et à l'utilisation durable du milieu marin par
tous les Etats571.
Ainsi, la CMB annonce comme objectif de favoriser le transfert
des méthodes scientifiques et des procédés techniques
d'application de collecte des données marines des Etats
industrialisés qui les détiennent vers les Etats en voie de
développement qui en sont dépourvus572. Ladite
Convention constitue dès lors le cadre (section I) de la mise en oeuvre
du transfert des techniques marines (section II).
Section I. Le cadre du transfert des techniques
marines
Les techniques marines sont la cause «d'affrontement
politique et économique»573 entre les Etats
industrialisés et les Etats en voie de développement, les
premiers revendiquant un régime de liberté, les seconds à
un régime de propriété internationale574. Des
débats houleux qui eurent cours entre
568 SOUISSI (S.), op. cit., p.54.
569 PANCRACIO (J.), op. cit., p.379.
570 ABE-LOS, Septième session
précitée.
571 PANCRACIO (J.), op. cit., p.379.
572 SOUISSI (S.), op. cit., p.54.
573 LANGAVANT (E.), Droit de la mer, tome I, Cadre
institutionnel et milieu marin, op. cit., pp.16-19.
574 Ibidem.
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ces deux groupes d'Etats à la CNUDM III
résultèrent les dispositions finales de la CMB qui annoncent
comme objectif ambitieux d'établir une répartition plus
équilibrée des sciences et des techniques marines (paragraphe I)
sans se donner les moyens d'atteindre un tel objectif (paragraphe II).
Paragraphe I. L'objectif d'une répartition plus
équilibrée des sciences et des techniques marines
Les dispositions de la CMB relatives au transfert des
techniques marines sont le résultat des revendications des Etats en voie
de développement au cours des négociations de la CNUDM III.
Ainsi, au nom du Groupe des 77, l'Irak réclama une répartition
plus équilibrée des sciences et des techniques marines. Celui-ci
présenta deux revendications principales : d'une part, favoriser le
développement des possibilités scientifiques et techniques des
Etats technologiquement moins avancés et ainsi remédier au retard
hérité du colonialisme (A), d'autre part, procéder au
transfert des techniques marines par l'intermédiaire d'une
autorité internationale (B).
A. Remédier au retard des Etats en voie de
développement hérité du colonialisme
La CMB annonce l'objectif de «surmonter [...] la
différence économique, scientifique et technologique entre les
pays, l'un des héritages les plus regrettables du
colonialisme»575. En effet, le retard des Etats en voie de
développement fut causé par les Etats industrialisés qui
avaient exploité leurs richesses et les avaient par conséquent
appauvris. Les Etats en voie de développement n'avaient donc pas les
moyens de financer576 les techniques nécessaires à
l'entreprise de projets de collecte des données marines affectées
à
575 ONU, Document A/CONF.62/C.1/SR.2, op. cit., pp.
5-10.
576 FREYMOND (O.), op. cit., pp.92-94.
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«l'exploitation des ressources halieutiques et
l'établissement de cartographies des fonds de
pêche»577.
Le Groupe des 77 réalisa ainsi que pour atteindre un
statut économique amélioré, ils avaient besoin de
maîtriser les techniques scientifiques578 qui permettaient la
maîtrise des ressources naturelles. Le transfert des techniques marines
couvre l'exploration, l'exploitation, la conservation et la gestion des
ressources579. Son objectif est ainsi de permettre à tous les
Etats «d'accéder à terme à la découverte des
océans et de leurs ressources»580, de mettre en place
«un ordre économique international juste et équitable dans
lequel il serait tenu compte des intérêts et besoins de
l'Humanité tout entière et, en particulier, des
intérêts et besoins spécifiques des pays en
développement»581, et de réduire ce fossé
économique, scientifique et technique qui existe entre ces derniers et
les Etats industrialisés.
Nous remarquons que les dispositions de la partie XIV de la
CMB relative au transfert des techniques marines, furent marquées par
leur contexte rédaction582. En effet, les négociations
de la CNUDM III, qui s'étendent de 1973 à 1982, coïncident
avec l'émergence du Tiers Monde de la vague de décolonisation des
pays d'Afrique583. Ces Etats furent exclus de la rédaction du
Droit de la mer issu de la Conférence des Nations Unies sur le droit de
la mer, tenue à Genève en 1958, qui ne réunit que les
puissances maritimes alors que l'Indonésie et le Vietnam (né de
la première vague de décolonisation des pays d'Asie), ainsi que
la Tunisie, le Maroc et le Ghana avaient déjà
accédé à l'indépendance.
577 MILLAN (S.), op. cit., pp. 857-858.
578 MOUSSA (F.), op. cit., p. 102.
579 PANCRACIO (J.), op. cit., p.379.
580 FREYMOND (O.), op. cit., pp.102-103.
581 Préambule de la CMB précitée.
582 MILLAN (M.), op. cit., p. 856.
583 SOUISSI (S.), op. cit., p.9.
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En 1973, ces Etats nouveau-nés qui voulaient s'assurer
une emprise maritime sur une zone côtière aussi étendue que
possible, se réunirent avec ces puissances maritimes qui voulaient au
contraire veiller à défendre le principe de la liberté des
mers584. Il y eut donc une confrontation entre ces deux groupes
d'Etats à la CNUDM III, chacun défendant le principe de la
liberté des mers ou celui de la souveraineté maritime pour les
enjeux stratégiques, mais surtout économiques585 qu'il
représente pour eux.
La rédaction de la CMB, notamment sa partie XIV, se fit
à l'époque à laquelle se levèrent les
revendications pour un Nouvel ordre maritime mondial fondé sur le
principe de l'égalité et d'un Nouvel ordre économique
international586. En effet, en 1973 se réunit la
Conférence des pays non alignés, en 1974 furent adoptées
les résolutions 320 I (S-VI) et 3202 (S-VI) de l'Assemblée
générale de l'ONU contenant la Déclaration et le programme
d'action concernant l'instauration d'un nouvel ordre économique
international, et en 1976 se réunit le Congrès des experts arabes
sur le Droit de la mer587 qui discuta du transfert des techniques
marines comme moyen de remédier à leur retard
hérité du colonialisme.
C'est ainsi que la version finale de l'article 268 de la CMB
énonça comme objectifs «la diffusion des connaissances dans
le domaine des techniques marines, [un accès facilité] à
l'information et aux données pertinentes, [...] le développement
de l'infrastructure technique nécessaire pour faciliter le transfert des
techniques marines [...] la mise en valeur des ressources humaines par la
formation et l'enseignement dispensés aux ressortissants des Etats en
584 Idem., pp.12-13.
585 Idem., p.16.
586 Ibidem.
587 MOUSSA (F.), op. cit., pp.102-103.
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développement, en particulier de ceux d'entre eux qui
sont les moins avancés»588. La CMB annonce ainsi
l'objectif de réduire le fossé scientifique et technique qui
s'est creusé entre les Etats en voie de développement et les
Etats industrialisés durant la période coloniale tout en assurant
que les intérêts de ces deux groupes d'Etats seront garantis
équitablement par l'Autorité.
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