Section II. L'inapplicabilité du régime
de la recherche scientifique marine aux nouveaux SADO
Nous assistons à «une attraction dans le champ
d'application des conditions de la recherche scientifique marine d'un certain
nombre [de SADO] que l'on ne saurait ranger dans une catégorie mieux
établie»511. Certains instruments de collecte sont en
effet qualifiés par défaut de matériel de recherche
scientifique marine. Or, le régime juridique qui découle de cette
qualification est inadapté à l'utilisation de ces instruments.
Les scientifiques qui les utilisent sont en effet confrontés à
des difficultés pratiques qui rendent compliquée voire impossible
l'application du régime prévu par ladite Convention. Les
dispositions de la CMB se révèlent alors dépassées
par l'innovation technologique de ce nouveau matériel qui risque de
traverser les frontières maritimes de l'Etat côtier (paragraphe I)
ou qui collecte des données marines au-delà de ces
frontières (paragraphe II).
Paragraphe I. Une catégorisation inadaptée au
matériel risquant de traverser les frontières maritimes
Les flotteurs profileurs Argo et les balises émettrices
placées sur des animaux marins sont déployés dans la
colonne d'eau au-delà de la ZEE. Dans cette zone, la CMB consacre le
principe de la liberté de la recherche scientifique en haute
mer512 qui implique par conséquent la liberté de
placer des SADO en haute mer513. Les chercheurs ne sont donc pas
liés par le régime du consentement qui est de toutes
manières inadapté au mouvement des flotteurs et des balises, les
uns portés par les courants et les autres par les animaux.
511 JARMACHE (E.), op. cit., p.310.
512 Article 87 de la CMB précitée.
513 FREYMOND (O.), op. cit., pp. 37-47.
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Les scientifiques qui déploient ces instruments dans
cette zone de liberté sont confrontés à des
difficultés d'ordre pratique514 lorsque ceux-ci passent de la
haute mer à la ZEE de l'Etat côtier. En effet, dans cette
dernière, le consentement de l'Etat côtier est nécessaire
puisque celui-ci y exerce sa juridiction en matière de recherche
scientifique marine (A) et des droits souverains sur les ressources naturelles
(B).
A. La dérive des flotteurs dans les zones sous
juridiction de l'Etat côtier
Un flotteur «est utilisé pour déterminer la
direction et la vitesse du courant de surface. La direction est obtenue par
l'observation du déplacement du flotteur, et la vitesse au moyen d'une
ligne graduée fixée au flotteur (ligne de Loch) dont on mesure la
longueur filée à la demande pendant un temps
donné»515. Les flotteurs déployés en haute
mer dans le cadre du projet Argo évoluent librement au gré des
courants marins et sont susceptibles de dériver dans la ZEE de l'Etat
côtier. Que l'entrée de ce SADO dans la ZEE de l'Etat côtier
doive faire l'objet d'une demande de consentement est source de controverse.
Certains Etats membres de l'ABE-LOS tels que la Russie
qualifient les flotteurs Argo de matériel de recherche scientifique
marine pour les soumettre au régime prévu pour cette
catégorie en vertu de l'article 258 de la CMB. Ledit article
prévoit que «la mise en place et l'utilisation d'installations ou
de matériel de recherche scientifique de tout type dans une zone
quelconque du milieu marin sont subordonnées aux mêmes conditions
que celles prévues par la Convention pour la conduite de la recherche
scientifique marine dans la zone considérée». Les flotteurs
étant considérés comme du matériel de recherche
scientifique marine, leur utilisation est par conséquent régie
par les dispositions de la partie XIII de la CMB consacrée à
l'activité de recherche scientifique marine.
514 Ibidem.
515 OHI, Dictionnaire hydrographique (S-32), op. cit.,
p.92.
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Or, selon le régime juridique prévu par
celle-ci, le déploiement de ces flotteurs en haute mer est
libre516, tandis qu'il requiert le consentement préalable et
nécessaire de l'Etat côtier dans la ZEE. Rappelons que l'Etat
côtier y a juridiction en matière de recherche scientifique
marine517 et qu'il a par conséquent «le droit de
réglementer, d'autoriser et de mener des recherches scientifiques
marines»518. Intégrer les flotteurs dans la
catégorie du matériel de recherche scientifique marine
permettrait par conséquent à l'Etat côtier d'exiger une
demande de «consentement»519 «six mois au plus
tard»520 avant l'entrée des flotteurs dans sa ZEE.
D'autres Etats membres de l'ABE-LOS tels que les USA
considèrent au contraire que le cadre juridique de la recherche
scientifique marine ne s'applique pas aux flotteurs Argo521. Il est
en effet impossible pour les scientifiques de déposer un dossier de
demande de consentement522 tel que l'exige la CMB, six mois avant
l'entrée du flotteur d'un espace où la recherche scientifique est
libre à un espace où le consentement de l'Etat côtier est
nécessaire, puisqu'ils ne peuvent pas prévoir le mouvement de ce
matériel porté par les courants avec autant d'avance. Une
solution plus adéquate serait de notifier l'Etat côtier
raisonnablement avant l'entrée du matériel de collecte des
données marines dans sa ZEE523.
La résolution EC-XLI.4 de la COI propose un
régime de notification selon lequel «un État membre de la
COI doit être informé à l'avance, par les voies
516Article 87 de la CMB précitée.
517 Article 56 de la CMB précitée.
518 L'article 246.1 de la CMB précitée
prévoit: «Les Etats côtiers, dans l'exercice de leur
juridiction, ont le droit de réglementer, d'autoriser et de mener des
recherches scientifiques marines dans leur zone économique exclusive et
sur leur plateau continental conformément aux dispositions pertinentes
de la Convention».
519 Article 246 de la CMB précitée.
520 Article 248 de la CMB précitée.
521 ABELOS, Neuvième session, 2009.
522 FRIKHA (A.), op. cit., pp. 44-47.
523Ibidem.
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appropriées, du déploiement en haute mer de tous
flotteurs dans le cadre du programme Argo qui risqueraient de dériver
dans sa ZEE. Pour mettre en oeuvre cette disposition, le Secrétaire
exécutif de la COI invite tous les États membres de la COI qui le
désirent à déclarer à tout moment, en lui adressant
une note écrite à cet effet, qu'ils souhaitent se voir notifier
le déploiement en haute mer de tous les flotteurs du programme Argo qui
risquent de dériver dans leur ZEE.
Le Secrétaire exécutif de la COI communique sans
délai cette note aux États membres de la
Commission"524. L'opérateur du flotteur Argo dérivant
dans la ZEE de cet Etat envoie alors une notification à ce dernier et
lui communique les informations qu'ils jugent tous deux utiles, telles que le
type de flotteur déployé, la date et les coordonnées
géographiques de l'emplacement en haute mer où le flotteur a
été mis à l'eau et de sa dernière
localisation525.
Ainsi, la CMB n'est pas adaptée à la
dérive des flotteurs dans les zones de droits souverains et de
juridiction de l'Etat côtier. Ladite Convention ne l'est pas non plus
à l'entrée des balises émettrices dans ces zones.
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