La collecte des données marines et le droit de la merpar Wafa ZLITNI Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - Master de recherche en Droit international 2021 |
B. L'entrée des balises dans les zones de droits souverains de l'Etat côtierLe cas des balises est encore plus compliqué526 que celui des flotteurs, puisque l'utilisation de ces instruments, s'ils étaient qualifiés de matériel de recherche scientifique marine, impliquerait non seulement la juridiction de l'Etat côtier en matière de recherche scientifique marine, mais aussi ses droits souverains sur les ressources de sa ZEE. 524 Résolution EC-XLI.4, Principes directeurs pour la mise en oeuvre de la résolution XX-6 de l'Assemblée de la COI concernant le déploiement de flotteurs-profileurs en haute mer dans le cadre du Programme Argo, 2008. 525Ibidem. 526FRIKHA (A.), op. cit., pp. 44-47. 110 Or, l'application du régime de la recherche scientifique marine aux balises émettrices est impossible. Les tortues de mer, les oiseaux et mammifères marins et les thonidés527 sur lesquels les balises émettrices sont fixées sont en effet indifférents aux frontières maritimes séparant les zones de liberté des zones sous l'emprise de l'Etat côtier établies en vertu de la CMB528. GROTIUS relève à cet égard qu'il est impossible de tracer des frontières permanentes sur des plaines liquides ni de fermer l'accès à une partie de la mer529. Les mouvements des animaux portant ces SADO sont autonomes et imprévisibles530. Ils interagissent entre la haute mer et les ZEE de plusieurs Etats côtiers531 d'une manière qui met les scientifiques dans l'impossibilité de déposer un dossier de demande de consentement532 tel que l'exige la CMB, six mois533 à l'avance. En effet, ces derniers ne peuvent pas programmer, au moment de la fixation des balises, quel espace juridique les animaux visiteront, leurs schémas de déplacement variant selon les saisons, selon les espèces, et même selon les individus d'une même espèce534 . Prenons l'exemple de deux Sternes arctiques sur lesquels des balises ont été fixées pour illustrer le caractère imprévisible des déplacements des animaux marins535 (illustration n°6). 527 KRASKA (J.), ORTUNO (G.), JOHNSTON (D.), «Bio-logging of marine migratory species in the law of the sea», Marine Policy, volume 51, janvier 2015, p. 394 [en ligne]: https://reader.elsevier.com/reader/sd/pii/S0308597X14002322?token=32A5343EBD8D5664 FC3F0D4B7ABFEC5490F2046BE0D6B3F639B25899DF82D5E6BE93A0E565D3B669 670E20D17141FE (consulté le 15-02-2021). 528 Ibidem. 529 CAUCHY (E.), "Sur la question de la liberté des mers telle qu'on la posait au commencement du XVIIe siècle, Mare liberum de Grotius - Mare clausum de Selden", op. cit., pp.3. 530 KRASKA (J.), ORTUNO (G.), JOHNSTON (D.), op. cit., p. 396. 531 FRIKHA (A.), op. cit., pp. 44-47. 532Ibidem. 533Article 248 de la CMB précitée. 534 KRASKA (J.), ORTUNO (G.), JOHNSTON (D.), op. cit., pp. 395-396. 535 Les balises émettrices enregistrent les mouvements d'alimentation et les routes migratoires des espèces marines sur lesquelles elles sont fixées. Ces données ainsi acquises permettent la reconstitution des déplacements de ces animaux, FRIKHA (A.), op.cit., pp. 44-47. illustration n°6: Les ZEE visitées par deux sternes arctiques portant des balises émettrices,
https://ars.els-cdn.com/content/image/1-s2.0- Deux individus de cette même espèce, à la même saison, partis du même point de départ, adoptent des routes migratoires complètement différentes. Tous deux partis du Groenland, l'un se déplace vers le Sud-Est en direction du Maroc tandis que l'autre se dirige vers le Sud-Ouest en direction du Venezuela. Durant un même cycle migratoire, en 2007, les deux Sternes arctiques interagissent au total avec les zones économiques exclusives de 25 Etats côtiers, parmi lesquelles 9 sont visitées par le second individu mais pas par le premier536. Il paraît donc évident que le régime de la CMB est inapplicable vu qu'il exige de demander l'autorisation de l'Etat côtier six mois à l'avance, mais aussi parce qu'il permet à celui-ci de refuser son consentement. 111 536 KRASKA (J.), ORTUNO (G.), JOHNSTON (D.), op. cit., pp. 395-396. De plus, l'utilisation des balises émettrices peut être qualifiée d'exploration des ressources vivantes537 qui dans la ZEE, relèvent des droits souverains538 de l'Etat côtier. Les données acquises par ces SADO peuvent en effet indiquer les zones riches pour la pêche. Or, l'Etat côtier a le droit de refuser son consentement aux projets de recherche scientifique marine ayant une incidence directe sur l'exploration ou l'exploitation des ressources biologiques539. Mais il est impossible d'empêcher ces animaux d'entrer dans la ZEE, ou d'interdire aux chercheurs de mettre en place ces balises en haute mer. Pour cette raison, une partie de la doctrine soutient que l'Etat côtier ne peut pas prétendre exiger son consentement pour l'utilisation des balises déployées au-delà de la zone de juridiction même si celles-ci entrent ensuite dans sa ZEE540, la zone à considérer étant celle du déploiement de l'instrument et non toutes les zones où celui-ci collecte des données541. L'adoption de cette solution faciliterait la collecte des données marines mais n'assurerait pas la protection des intérêts économiques de l'Etat côtier face à l'exploration de ses ressources biologiques. La catégorisation des SADO proposée par la CMB est ainsi inadaptée au matériel qui risque de traverser les frontières maritimes de manière imprévisible mais aussi aux instruments qui collectent des données marines à distance. 112 537 FRIKHA (A.), op.cit., pp. 44-47. 538Article 56.1.a de la CMB précitée. 539Article 246 de la CMB précitée. 540KRASKA (J.), ORTUNO (G.), JOHNSTON (D.), op. cit., pp. 398-399. 541Ibidem. 113 |
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