Première partie:
Le Droit de la mer ne favorise pas
le développement des activités de
collecte des données marines
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En vertu de la CMB, l'Etat côtier jouit de droits
souverains et de juridictions qui affectent toutes les activités de
collecte des données marines: hydrographie, recherche scientifique
marine, mais aussi exploration des ressources naturelles,
archéologie sous-marine, levés militaires,
météorologie marine et océanographie
opérationnelle. De toutes ces activités de collecte des
données marines, la CMB ne détaille le régime que d'une
seule : la recherche scientifique marine. Elle consacre à l'une une
partie entière et aux autres seulement quelques articles, mais n'en
définit aucune. Il est alors malaisé de procéder à
la qualification juridique de ces diverses activités pour savoir avec
certitude si elles sont soumises ou non au régime prévu pour la
recherche scientifique marine, régime très astreignant qui ne
facilite pas cette dernière. Le progrès de la collecte des
données marine n'est donc pas favorisé par les dispositions de la
CMB qui sont lacunaires (chapitre premier) et astreignantes (chapitre
deuxième).
Chapitre premier: Un encadrement lacunaire des
activités de collecte des données marines
La question de la recherche scientifique marine fut l'objet de
l'une des négociations les plus délicates de la CNUDM III
opposant les Etats en voie de développement aux Etats
industrialisés120. En effet, cette question revêt non
seulement des enjeux techniques mais aussi politiques et économiques,
tels que le statut de la ZEE ou de la Zone internationale des fonds marins
(ci-après la Zone)121. Ceci explique l'absence d'une
définition de la recherche scientifique marine sur laquelle ces deux
groupes d'Etats se seraient finalement accordés (section I). La
frontière qui sépare cette activité de collecte des
données marines de toutes les autres est par conséquent floue
(section II).
Section I. La définition de la recherche
scientifique marine absente de la Convention de Montego Bay
L'absence de définition de la recherche scientifique
marine dans la CMB est «le reflet des conflits qui ont
présidé aux négociations»122.
Penchons-nous alors sur les différentes définitions
proposées pour ce concept (paragraphe I) avant de revenir sur les
raisons de cette absence (paragraphe II).
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120 MARFFY (A. de), «La Convention de Montego Bay»,
p.63.
121 Ibidem.
122 MARFFY (A. de), «Les difficultés posées
par la mise en application du nouveau régime de la recherche
scientifique marine avant l'entrée en vigueur de la Convention des
Nations Unies sur le Droit de la mer», Annuaire français de
droit international, volume 35, 1989, p. 742, [en ligne]:
www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1989_num_35_1_2930
(consulté le 15-02-2021).
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Paragraphe I. Les tentatives de définition de la
recherche scientifique marine
Ne pouvant trouver aucun article de la CMB qui proposerait une
définition explicite de la recherche scientifique marine, revenons au
sens ordinaire attribué à ce terme (A) puis aux autres
conventions, législations nationales et propositions de la CNUDM III qui
distinguent entre la recherche scientifique marine pure et industrielle (B).
A. Le sens ordinaire du terme «recherche
scientifique marine»
Un projet d'article sur la définition et l'objectif de
la recherche scientifique marine fut négocié au cours de la CNUDM
III puis abandonné. Il fut proposé de définir la recherche
scientifique marine comme "toute étude ou investigation du milieu marin
et les expériences y relatives123", ou encore, "toute
étude et tout travail expérimental connexe destinés
à accroître les connaissances de l'Humanité sur le milieu
marin"124. Les Etats industrialisés125 ainsi que
les Etats en voie de développement126 semblèrent
d'accord127 pour que "la recherche scientifique marine signifie
toute étude et tout travail expérimental connexe menés
dans le milieu marin"128. Mais aucune de ces propositions ne fut
retenue et la définition de la recherche scientifique marine est ainsi
absente du texte final de la CMB. Nous devons dès lors
interpréter ce terme suivant le sens ordinaire qui lui est
attribué.
123 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.9, Documents officiels
de la troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la
mer, volume III, p.252
124ONU, Document A/CONF.62/WP.8/Rev.1/PartIII,
Documents officiels de la troisième conférence des Nations
Unies sur le Droit de la mer, volume V, pp.173-184.
125 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.26, Documents officiels
de la troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la
mer, volume IV, pp.213-215.
126 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.29, Documents officiels
de la troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la
mer, volume IV, pp.216-218.
127 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.19, Documents officiels
de la troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la
mer, volume III, pp. 266-267.
128ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.17, Documents
officiels de la troisième conférence des Nations Unies sur le
Droit de la mer, volume III, pp. 263-266.
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Suivant le contexte de la CMB, à la lumière de
son objectif et de son but129, sur la base de ses travaux
préparatoires et des circonstances dans lesquelles elle a
été conclue130, et en l'absence d'un accord
ultérieur intervenu entre les parties au sujet de son
interprétation ou de l'application de ses dispositions131, le
terme recherche scientifique marine désigne toute recherche scientifique
menée dans le milieu marin.
Nous pouvons définir la recherche scientifique comme
toute étude et travail expérimental connexe132 de
l'espace, sa nature, ses ressources, et ses
caractéristiques133, au moyen de méthodes
scientifiques134, d'investigations135 et d'observations
détaillées, afin d'en obtenir une meilleure compréhension.
La recherche scientifique constitue ainsi l'ensemble des études et des
travaux «menés méthodiquement par un spécialiste et
ayant pour objet de faire progresser la connaissance»136. Il
fut convenu au cours de la CNUDM III d'abandonner l'article proposant de
définir le terme "recherche scientifique"137 comme une
«observation détaillée, une activité analytique ayant
pour seul objectif une meilleure compréhension de la nature et des
caractéristiques de
129 L'article 31.1 de la Convention de Vienne sur le Droit des
traités du 23 mai 1969 prévoit: "Un traité doit être
interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à
attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la
lumière de son objet et de son but», disponible sur
https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19690099/index.html
130 L'article 32 de la Convention de Vienne sur le Droit des
traités précitée prévoit: "Il peut être fait
appel à des moyens complémentaires d'interprétation, et
notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles
le traité a été conclu (...)".
131 L'article 31.3.a de la Convention de Vienne sur le Droit
des traités précitée prévoit: "Il sera tenu compte,
en même temps que du contexte de tout accord ultérieur intervenu
entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de
l'application de ses dispositions (...)".
132 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.17, op. cit., pp.
263-266.
133 ONU, Document A/CONF.62/C.1/SR.2, Documents officiels
de la troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la
mer, volume II, pp. 5-10.
134 BORK (K.), «The Legal Regulation of Floats and
Gliders. In Quest of a New Regime?», Ocean development &
international law, volume 39, numéro 3, 2008, p. 303, [en ligne]
https://www.researchgate.net/publication/232914703_The_Legal_Regulation_of_Floats_and
_Gliders-In_Quest_of_a_New_Regime (consulté le 15-02-2021).
135 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.19, op. cit., pp.
266-267.
136 Le terme «recherche» désigne
«l'ensemble d'études et de travaux menés
méthodiquement par un spécialiste et ayant pour objet de faire
progresser la connaissance», Encyclopédie LAROUSSE, 2020,
[en ligne] http://www.larousse.fr/ (consulté le 14/09/2020).
137 ONU, Document A/CONF.62/C.1/SR.11, Documents officiels
de la troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la
mer, volume II, pp.53-59.
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l'espace, de ses ressources ainsi que des facteurs
environnementaux physiques»138.
La recherche scientifique dite marine a pour objet
d'étude le milieu marin, "la nature des phénomènes et
processus dont il est le lieu et leurs interactions"139. Celui-ci
est définit par l'AIFM comme l'ensemble des "éléments et
facteurs physiques, chimiques, géologiques et biologiques, entre autres,
qui agissent les uns sur les autres et déterminent la
productivité, l'état, la condition et la qualité de
l'écosystème marin, les eaux des mers et des océans et
l'espace aérien surjacent ainsi que les fonds marins et leur
sous-sol"140. En d'autres termes, le milieu marin constitue le fond
des mers, leur sous-sol, la colonne d'eau et l'espace atmosphérique
directement au-dessus141.
Nous pouvons ainsi interpréter la «recherche
scientifique marine» suivant le sens ordinaire à attribuer à
ce terme comme nous pouvons établir une distinction entre la recherche
pure et la recherche industrielle.
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