La collecte des données marines et le droit de la merpar Wafa ZLITNI Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - Master de recherche en Droit international 2021 |
SommairePremière partie : Le Droit de la mer ne favorise pas le développement des activités de collecte des données marines Chapitre premier : Un encadrement lacunaire des activités de collecte des données marines Section I : La définition de la recherche scientifique marine absente de la Convention de Montego Bay Section II : Une catégorisation incertaine des activités de collecte des données marines Chapitre deuxième : Un encadrement astreignant de la recherche scientifique marine Section I : Les pouvoirs de l'Etat côtier en matière de recherche scientifique marine Section II. La tentative d'équilibre entre les droits de l'Etat côtier et les libertés des chercheurs Deuxième partie : Le Droit de la mer ne favorise pas le développement des techniques marines Chapitre premier : Un encadrement juridique qui ne facilite pas l'emploi des systèmes d'acquisition des données marines Section I : Une qualification incertaine des systèmes d'acquisition des données marines Section II : L'inapplicabilité du régime de la recherche scientifique marine aux nouveaux systèmes d'acquisition des données marines Chapitre deuxième : Un encadrement juridique qui ne facilite pas le transfert des techniques marines Section I : Le cadre du transfert des techniques marines Section II : La mise en oeuvre du transfert des techniques marines 1 Introduction2 La mer reste un mystère. Tous les lourds secrets de «ce milieu naturel immense, abyssal, longtemps inaccessible à l'Homme, caché en grande partie à sa vue»1 n'ont toujours pas été percés par les instruments de collecte des données marines pourtant de plus en plus sophistiqués. La collecte des données marines désigne «la mesure des variables et [des] paramètres [... évaluant] avec précision les caractéristiques de l'océan dans le temps et l'espace»2. Ces paramètres peuvent être physiques, chimiques, biologiques, géophysiques ou géologiques3. Qu'il s'agisse de la concentration d'oxygène, de la pression partielle de dioxyde de carbone4, de la vitesse des courants ou du comptage des poissons, toute donnée passe par trois phases principales : la collecte, le traitement et la diffusion. Une fois mesurés au moyen de différentes techniques, les paramètres sont standardisés selon des normes internationales. Une température codifiée par un chercheur en Chine peut dès lors être comprise par un utilisateur en Tunisie. Ces données dès lors homogènes sont diffusées à la fois au grand public et aux professionnels de la mer5. 1 PANCRACIO (J.), Droit de la mer, Paris, Dalloz, 2010, p.366. 2 Organe consultatif d'experts sur le Droit de la mer de la Commission océanographique intergouvernementale (ci-après ABE-LOS), Septième session, 2007. 3 Les paramètres physiques de la mer sont par exemple: la pression, le niveau de la mer, la pression du niveau de la mer, les courants, la vitesse et la direction du vent, la température, la conductivité. Les paramètres chimiques sont par exemple: la salinité, le gaz dissous, les sels nutritifs, les contaminants. Les observations géophysiques et géologiques sont par exemple: la profondeur, la sismique, le magnétisme, la gravimétrie, la nature du fond et du sous-sol. Les paramètres biologiques des espèces végétales sont par exemple: le comptage des algues et des phytoplanctons. Les paramètres biologiques des espèces animales sont par exemple: le comptage des poissons, des crustacés, des zooplanctons et des autres micro-organismes, disponible sur le portail officiel de l'Ifremer au lien suivant: http://data.ifremer.fr/Tout-savoir-sur-les-donnees (consulté le 21-02-2021). 4 ABE-LOS, Septième session précitée. 5 Portail officiel de l'Ifremer: https://wwz.ifremer.fr 3 La collecte des données marines est réglementée par le Droit international de la mer qui désigne l'ensemble des règles juridiques régissant le partage et l'utilisation de la mer6. Selon ces deux critères, l'un territorial et l'autre fonctionnel, il est défini comme un Droit des espaces et des fonctions7. Avant de s'étendre à des compétences telles que la recherche scientifique marine et la protection de l'environnement marin, le Droit de la mer s'est pendant longtemps limité aux fonctions liées à la souveraineté de l'Etat telles que les conflits armés sur mer ou l'octroi de la nationalité aux navires8. Branche du Droit public, celui-ci s'applique aux sujets du Droit international, notamment les Etats9. Le Droit de la mer se distingue du Droit maritime qui désigne quant à lui la branche du Droit privé10 dont l'objet s'applique à l'activité de l'Homme en mer, notamment la navigation, et le transport professionnel des personnes et des marchandises11. Cependant, il faut nuancer cette distinction entre ces deux branches du Droit qui régissent toutes deux un seul et même milieu12, qui repose sur un postulat qui sépare la société politique de la société civile de la mer, «un postulat démenti par la réalité»13. C'est pour cette raison que la classification de certaines dispositions relatives à la sécurité de la navigation ou encore à l'obligation d'assistance dans l'un ou l'autre de ces deux compartiments académiques14 reste difficile15. 6 MARFFY (A. de), «La Convention de Montego Bay», in FORTEAU (M.) (dir.) et THOUVENIN (J.) (dir.), Traité de Droit international de la mer, Paris, Pedone, 2017, p. 54. 7 LUCCHINI (L.), VOELCKEL (M.), Droit de la mer, Tome I: La mer et son Droit, Paris, Pedone, 1990, p.V. 8 Ibid., pp.7-9. 9 GINCHARD (S.) et DEBARD (T.), Lexique des termes juridiques, 20ème édition, Paris, Dalloz, 2013, p. 349. 10 LANGAVANT (E.), Droit de la mer, tome I, Cadre institutionnel et milieu marin, Paris, éditions Cujas, 1979, p.10. 11 GINCHARD (S.) et DEBARD (T.), op. cit., p. 349. 12 LUCCHINI L. et VOELCKEL M., LUCCHINI (L.), VOELCKEL (M.), Droit de la mer, Tome I: La mer et son Droit, op. cit., pp.7-9. 13 Ibidem. 14 FORTEAU (M.) et THOUVENIN (J.), op. cit., p.30. 15 LUCCHINI L. et VOELCKEL M., LUCCHINI (L.), VOELCKEL (M.), Droit de la mer, Tome I: La mer et son Droit, op. cit., pp.7-9. 4 Le Droit de la mer a donc pour objet la mer. Le juriste définit cette dernière comme «l'ensemble des espaces d'eau [...] en communication libre et naturelle sur toute la surface du globe»16. «Il y a [donc] continuité de la masse océanique mondiale»17. Ainsi, «quelles que soient les subdivisions académiques, l'Océan est un»18, l'Océan mondial, «une nappe d'eau de plus de 360 millions de km2 sans discontinuité»19. Le juriste rejoint ainsi le géographe sur le critère de la communication libre et naturelle pour distinguer la mer du lac. En effet, la mer est en continuité directe entre toutes ses parties20 tandis que le lac est un bassin isolé, «une île d'eau au milieu d'un continent terrestre»21. Nous remarquons ainsi que tous les précis de limnologie22 définissent la mer Morte, la mer Caspienne et de la mer d'Aral comme des lacs. En effet, contrairement à ce que leur nom indique, ces trois espaces d'eau ne correspondent pas à la définition de la mer mais bel et bien à celle du lac qui constitue «un plan d'eau continental (séparé de la mer, dominé par son bassin d'alimentation et développant une personnalité propre), dont la profondeur, la superficie ou le volume sont suffisants pour provoquer un étagement, une zonation ou une régionalisation des processus limniques»23. 16 PANCRACIO (J.), op. cit., pp.1-5. 17 GEISTDOERFER (P.), «Océanographie», Encyclopædia Universalis, [en ligne]: https://www.universalis.fr/encyclopedie/oceanographie/ (consulté le 16-02-2021). 18 ROYER (P.), « Un Océan, cinq océans. L'Océan mondial et ses subdivisions », in Géopolitique des mers et des océans, 2012, pp. 13-24, [en ligne]: https://www.cairn.info/geopolitique-des-mers-et-des-oceans--9782130633891-page-13.htm (consulté le 15-02-2021). 19 Ibidem. 20 TOUCHART (L.), «Qu'est-ce qu'un lac ?», in Bulletin de l'Association de géographes français, volume 77, numéro 4,
décembre 2000, pp. 314-317, [en ligne]: 21 Ibidem. 22 La limnologie est la science «des lacs et des eaux lacustres», Encyclopédie LAROUSSE, 2020, [en ligne]: https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/limnologie/47201#:~:text=%C3%89tude%20s cientifique%20des%20lacs%20et%20des%20eaux%20lacustres. (consulté le 21-02-2021). 23 TOUCHART (L.), op. cit., pp. 314-317. 5 Cette distinction est d'une grande importance dans la mesure où la définition de la mer revêt un enjeu géopolitique. En atteste le cas de la mer Caspienne qui fit l'objet d'un différend entre ses Etats riverains. Le régime juridique de celle-ci était en effet fixé par des accords conclus entre l'Iran et l'Union des Républiques socialistes soviétiques qui considéraient la mer Caspienne comme un lac (illustration n° 1). illustration n°1: La mer Noire, la mer Caspienne et la mer d'Aral, https://www.museum.toulouse.fr/-/les-larmes-seches-de-l-aral (consulté le 21-02-2021). Or, l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan, les trois nouveaux Etats riverains qui apparurent suite à la dislocation de l'URSS considérèrent celle-ci comme une mer et firent pression sur les deux riverains traditionnels pour lui appliquer le régime juridique prévu par le Droit international de la mer24, 24 TAVERNIER (P.), «Le statut juridique de la mer Caspienne : mer ou lac? La pratique des Etats vue à travers les documents publiés par les Nations Unies», Actualité et Droit International, octobre 1999, [en ligne]: 6 notamment à ses fonds marins, dont l'importance stratégique est aussi grande que la richesse des ressources pétrolières et gazières25 qu'ils renferment. A cet égard, GIDEL affirme que « l'espace d'eau salée dénommé mer Caspienne [...] n'est pas régie d'office par les règles du droit international [de la mer] bien qu'elle soit l'objet de rapports internationaux [...] car elle est privée de communication avec le reste des océans »26. Les cinq Etats riverains s'accordèrent finalement pour considérer cette étendue d'eau ni comme une mer, ni comme un lac, et partagèrent dès lors ses richesses naturelles selon un régime juridique fixé par la Convention sur le statut de la mer Caspienne signée au Kazakhstan le 12 août 2018. Revenons à présent à la définition de la mer. Pour le cartographe, cette dernière constitue un espace naturel qui fait l'objet d'une représentation conventionnelle, notamment la carte27. Bathymétrique, sédimentologique, météorologique, hydrographique ou géophysique28, cette dernière est dite «marine» lorsqu'elle est «conçue spécialement pour répondre aux besoins de la navigation maritime, indiquant les profondeurs, la nature des fonds, la topographie côtière, les altitudes des points remarquables, les dangers et les aides à la navigation29. Les cartes marines ne sont donc pas topographiques, à la différence des cartes terrestres, elles constituent «des instruments de travail à l'usage des navigateurs»30. 25 OKSANA (K.), «La mer Caspienne un avenir incertain», La chronique de l'ONU, édition en ligne, volume XLI, numéro 3, 2004, [en
ligne]: 26 Ibidem. 27 LUCCHINI (L.), VOELCKEL (M.), op. cit., p.12. 28 OHI, Dictionnaire hydrographique (S-32), 1998, pp. 39-42. 29 Idem., p.41. 30 LUCCHINI (L.), VOELCKEL (M.), Droit de la mer, Tome II: Délimitation, navigation et pêche, volume I: délimitation, Paris, Pedone, 1990, pp.346-347. 7 L'océanographe quant à lui, définit la mer comme «un constituant hydrodynamique, un liquide salé incompressible de densité voisine de un, qui obéit à un certain nombre de lois»31. Le Droit de la mer a donc pour objet un milieu physique. C'est pourquoi le développement des connaissances scientifiques marines entraina à maintes reprises l'évolution de ce Droit. C'est ainsi qu'après la Seconde Guerre mondiale, le développement des techniques océanographiques permit de plonger dans les grandes profondeurs32. Ces progrès scientifiques permirent de commencer l'exploitation les immenses richesses qui y furent découvertes33. Ceci attisa les convoitises des Etats sur la mer34 et «chaque Etat maritime déjà puissant, ou se croyant en mesure de le devenir, [chercha] à tirer à soi le plus possible de ces éléments inespérés de richesse»35. C'est ainsi que les Etats-Unis d'Amérique (ci-après USA) décidèrent d'étendre leur emprise maritime et proclamèrent en 1945 «les ressources du sous-sol et du lit de la mer du plateau continental recouvert par la haute mer mais contigu à [leur] côte [...] comme appartenant aux USA et soumis à [leur] juridiction et à [leur] contrôle»36, ainsi que les ressources piscicoles dans la haute mer adjacente à [leur] côte comme «soumises à [leur] réglementation et à [leur] contrôle»37. 31 LUCCHINI (L.), VOELCKEL (M.), LUCCHINI (L.), VOELCKEL (M.), Droit de la mer, Tome I: La mer et son Droit, op. cit., p.10. 32 GEISTDOERFER (P.), «Océanographie», précité. 33 FREYMOND (O.), Le statut de la recherche scientifique marine en Droit international, Genève, Librairie de l'université Georg & cie S.A, 1978, pp. 26-28. 34 PANCRACIO (J.), op. cit., pp. 1-5. 35 CAUCHY (E.), "Sur la question de la liberté des mers telle qu'on la posait au commencement du XVIIe siècle, Mare liberum de Grotius - Mare clausum de Selden", La revue maritime, volume 470, 2004, p.1, [en ligne]: 36 La proclamation présidentielle numéro 2667 concernant la politique des Etats-Unis au sujet des ressources naturelles du sous-sol et du lit de la mer du plateau continental (Déclaration Truman) du 28 septembre 1945 prévoit: «Le gouvernement des Etats-Unis considère les ressources du sous-sol et du lit de la mer du plateau continental recouvert par la haute mer mais contigu à la côte des Etats-Unis, comme appartenant aux Etats-Unis et soumis à sa juridiction et à son contrôle», Mémoire déposé par le gouvernement du Pérou, l'affaire du différend maritime (Pérou contre Chili), volume I, pp. 1-59, le 20 mars 2009, [en ligne]: https://www.icj-cij.org/public/files/case-related/137/17187.pdf (consulté le 21-02-2021). 37 La Déclaration Truman précitée prévoit: «Les Etats-Unis considèrent qu'il convient de créer des zones de conservation clairement délimitées dans lesquelles les activités de pêche seront 8 Cette «voie ouverte par les USA à l'appropriation unilatérale»38 fut suivie par le Chili, l'Equateur et le Pérou qui déclarèrent leur souveraineté et leur juridiction exclusives39 sur une zone s'étendant jusqu'à 200 milles marins de leurs côtes40. Nous devons souligner ici que ce sont les connaissances issues de la recherche scientifique qui furent prises en compte pour la fixation des limites de cette zone41. En effet le courant de Humboldt42, qui permet d'augmenter les ressources piscicoles dont ces Etats veulent jouir exclusivement, en refroidissant la température de l'eau de la mer dans cette zone, baigne les côtes de ces trois Etats riverains de l'Océan Pacifique jusqu'à une distance de 200 milles marins43. Les vieilles puissances maritimes désirant freiner44 ce mouvement d'appropriations par les Etats du Tiers-monde45 réunirent en 1958 à Genève la première Conférence des Nations Unies sur le Droit de la mer46. Furent signées soumises à leur réglementation et à leur contrôle», Ibidem. 38 SOUISSI (S.), Les aspects économiques du nouveau Droit de la mer, Mémoire en Droit maritime et aérien, Université de Nantes, 1980, p.11. 39 La Déclaration sur la «zone maritime» de Santiago du 18 août 1952 prévoit: «Les Gouvernements du Chili, de l'Equateur et du Pérou fondent leur politique internationale maritime sur la souveraineté et la juridiction exclusives qu'a chacun d'eux sur la mer qui baigne les côtes de son pays jusqu'à 200 milles marins au moins à partir desdites côtes. La juridiction et la souveraineté exclusives sur la zone maritime indiquée entraînent également souveraineté et juridiction exclusives sur le sol et le sous-sol de ladite zone», Mémoire déposé par le gouvernement du Pérou, l'affaire du différend maritime (Pérou contre Chili) précité. 40 SOUISSI (S.), op. cit., pp.11-13. 41 LUCCHINI (L.), VOELCKEL (M.), Droit de la mer, Tome I: La mer et son Droit, op. cit., pp.10-11. 42 Le courant de Humboldt est un courant de l'Océan Pacifique Sud qui vient de l'Océan Austral et monte vers l'équateur le long de la côte occidentale de l'Amérique du Sud, le long des côtes du Chili, du Pérou et de l'Équateur. «Il rafraîchit la température de l'eau en surface de 5 à 10 degrés celsius, même près de l'équateur. L'eau froide entraîne avec elle des nitrates et des phosphates provenant des fonds marins. Ceux-ci nourrissent le phytoplancton (plancton végétal), qui se multiplie rapidement, favorisant le développement du zooplancton, qui se nourrit de végétaux. À leur tour, les poissons, qui se nourrissent de zooplancton, se développent et se multiplient, ce qui profite aux pêcheurs et aux oiseaux marins», site de l'association franco-équatorienne Nuca-LLacta, [en
ligne]: 43 LUCCHINI (L.), VOELCKEL (M.), Droit de la mer, Tome I: La mer et son Droit, op. cit., pp.10-11. 44 YAHYAOUI (M.), La Tunisie et le Droit de la mer, Thèse en Droit, Université Panthéon-Sorbonne Paris I, 1994, p.10. 45 SOUISSI (S.), Les aspects économiques du nouveau Droit de la mer, op. cit., pp.11-13. 46 La première conférence des Nations Unies sur le droit de la mer est convoquée par l'assemblée générale de l'organisation des Nations Unies (ci-après ONU) par la Résolution portant conférence internationale de plénipotentiaires chargée d'examiner le droit de la mer, A/RES/1105(XI), du 21 février 1957. 9 à cette occasion la Convention sur la mer territoriale et la zone contigüe47, la Convention sur le plateau continental48, la Convention sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer49 ainsi que la Convention sur la haute mer50. Le traité devint dès lors, aux côtés de la coutume, une source principale du Droit international de la mer51 qui ne comptait jusqu'alors que de rares conventions52. Une seconde conférence fut convoquée dans la hâte, en 1960, afin de combler certaines lacunes de ces conventions, mais se solda par un échec53. Signée à Montego Bay le 10 décembre 198254 à l'issue de la troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la mer55 (ci-après CNUDM III), la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer (ci-après CMB) codifia et précisa à son tour de nombreuses règles coutumières, affirma ou actualisa les principes des conventions qui la précédaient56, et en consacra de nouveaux57 pour constituer «le nouveau Droit de la mer»58. «Aspirant à couvrir toutes les activités maritimes»59, la «Constitution des océans» «définit aujourd'hui «le cadre juridique dans lequel doivent s'inscrire toutes les activités intéressant [la 47 Convention de Genève sur la mer territoriale et la zone contiguë, Genève, le 29 avril 1958. 48 Convention de Genève sur le plateau continental, Genève, le 29 avril 1958. 49 Convention de Genève sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer, Genève, le 29 avril 1958. 50 Convention de Genève sur la haute mer, Genève, le 29 avril 1958. 51 Droit de la mer, Tome I: La mer et son Droit, op. cit., p.57. 52 L'un des rares exemples de convention sur le Droit de la mer avant 1958 est la Convention de Genève sur le régime international des ports maritimes signée à Genève le 9 décembre 1923. 53 LANGAVANT (E.), Droit de la mer, tome I, Cadre institutionnel et milieu marin, op. cit., p.13. 54 Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, Montego Bay, le 10 décembre 1982. 55 La troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la mer fut convoquée par la résolution 3067(XXVIII) du 16 novembre 1973 de l'AGNU portant affectation à des fins exclusivement pacifiques du fond des mers et des océans ainsi que de leur sous-sol, en haute-mer, au delà des limites de la juridiction nationale actuelle et exploitation de leurs ressources dans l'intérêt de l'humanité, et convocation de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, . 56 MARFFY (A. de), «La Convention de Montego Bay», op. cit., pp. 59-60. 57 FREYMOND (O.), op. cit., pp. 26-28. 58 MARFFY (A. de), «La Convention de Montego Bay», op. cit., pp. 54-55. 59 Ibidem. 10 mer]»60 selon l'Assemblée générale de l'organisation des Nations Unies (ci-après ONU). Les Etats parties à cette Convention déclarèrent en effet être «animés du désir de régler [...] tous les problèmes concernant le Droit de la mer»61. La CMB constitue donc le cadre juridique régissant la collecte des données marines. Elle énonce en effet selon la zone et l'activité de collecte des données marine, les droits et les obligations juridiques des chercheurs d'une part, et de l'Etat côtier ou de l'organisation internationale compétente d'autre part. Toutefois, la CMB ne peut couvrir à elle seule tous les détails d'une activité aussi technique que la collecte des données marines. Des conventions sectorielles62 telles que la Convention de l'organisation météorologique mondiale signée à Washington le 11 octobre 194763, viennent alors en complément de la CMB qui reste cependant «le centre de ce dispositif normatif»64. 60 Résolution 74/19 de l'AGNU, Les océans et le Droit de la mer, A/RES/74/19 (10 décembre 2019). 61 Selon le préambule de la CMB précité: «Les Etats Parties à la Convention [sont] animés du désir de régler, dans un esprit de compréhension et de coopération mutuelles, tous les problèmes concernant le droit de la mer et conscients de la portée historique de la Convention qui constitue une contribution importante au maintien de la paix, à la justice et au progrès pour tous les peuples du monde», disponible en ligne sur 62 La Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, signée à Londres le 17 juin 1960, est un exemple de convention sectorielle en matière de sécurité maritime. Nous pouvons également citer en matière de protection du milieu marin la Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets signée à Londres le 29 décembre 1972, en matière de protection d'espèces en péril, l'accord sur la Conservation des Cétacés de la Mer Noire, de la Méditerranée et de la zone Atlantique adjacente (ci-après ACCOBAMS) signé à Monaco le 24 novembre 1996, et en matière de délimitation maritime entre Etats voisins, l'accord de délimitation du plateau continental entre la Tunisie et l'Italie, signé à Tunis le 20 août 1971. 63 OMM, Convention de l'organisation météorologique mondiale, Washington, le 11 octobre 1947. 64 PANCRACIO (J.), op. cit., p.480. 11 Aux côtés de ces conventions, d'autres instruments d'une nature juridique différente du traité énoncent des dispositions spécifiques à la collecte des données marines. Ceux-ci peuvent prendre la forme de recommandations, de règlements, de résolutions, de guides techniques, ou encore de critères et principes directeurs. Citons à titre d'exemples les recommandations de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (ci-après UNESCO) définissant les principes internationaux à appliquer en matière de fouilles archéologiques65, le règlement de l'Autorité internationale des fonds marins (ci-après AIFM) relatif à la prospection et à l'exploration des nodules polymétalliques dans la Zone66, la résolution de l'Organisation maritime mondiale (ci-après OMI) relative aux zones de sécurité de la navigation autour des installations et des ouvrages offshore67, le guide pratique climatologique de l'Organisation météorologique mondiale (ci-après OMM)68, ou encore les critères et principes directeurs de la Commission océanographique intergouvernementale (ci-après COI) concernant le transfert de techniques marines69. Ces instruments sont adoptés sous les auspices des organisations internationales compétentes et doivent être interprétés et appliqués dans le contexte de la CMB. Ainsi, ceux-ci ne sont aucunement conçus pour combler les lacunes de cette dernière mais s'inscrivent expressément dans son cadre70. 65 UNESCO, Recommandation de l'UNESCO définissant les principes internationaux à appliquer en matière de fouilles archéologiques, New Delhi, le 5 novembre 1956. 66 AIFM, Règlement relatif à la prospection et à l'exploration des nodules polymétalliques dans la Zone, 2000. 67 OMI, Résolution A.671 (16), Résolution relative aux zones de sécurité de la navigation autour des installations et des ouvrages offshore, 1989. 68 OMM, Guide pratique climatologique, 2011. 69 COI, Résolution XXII-12, Principes directeurs concernant le transfert des techniques marines, 2003. 70 ABE-LOS, Sixième session, 2006. 12 L'on peut alors s'interroger sur l'intérêt d'un mémoire de recherche sur le cadre juridique de la collecte des données marines. Rappelons que ces données provenant de la mer, «l'espace géographique et géomorphologique le plus mal connu»71 mais «représentant paradoxalement»72 les trois quarts de la surface de notre planète73, sont déterminantes aussi bien dans l'adoption des politiques publiques de l'Etat que dans la planification de nos activités personnelles selon le bulletin météorologique. Ce sujet requiert donc des intérêts aussi nombreux que divers, tant théoriques que pratiques. D'un point de vue juridique, il existe une influence mutuelle entre la collecte des données marines et le Droit. D'une part, le Droit influence la conduite des projets de collecte des données marines. En fixant des régimes juridiques différents selon les zones maritimes, il oriente les chercheurs vers certains espaces plutôt que d'autres74, ceux-ci se dirigeant vers les zones où il a le plus libertés et le moins de contraintes possible pour mener leur activité. D'autre part, la collecte des données marines influence le Droit. Les données acquises orientent les Etats dans l'élaboration des règles de Droit, à l'échelle nationale dans l'adoption de leur législation en matière d'aménagement du territoire, de défense, de sûreté et de santé publiques75, à l'échelle régionale dans la gestion des ressources ou la protection de l'environnement, et à l'échelle internationale en matière de recherche scientifique et de transfert des techniques marines. 71 PANCRACIO (J.), op. cit., p.366. 72 Ibidem. 73 Résolution 74/19 de l'AGNU précitée. 74 MONTJOIE (M.), «Les activités scientifiques», in FORTEAU (M.) et THOUVENIN (J.), op. cit., p.849. 75 Ibidem. 13 La compréhension de la circulation thermohaline76 a ainsi permis aux Etats de réaliser le caractère indivisible de l'océan mondial. En effet, toutes les zones de la mer aux quatre coins du globe sont interdépendantes, le partage des données collectées dans le territoire maritime de l'un permet donc d'améliorer la précision des prévisions météorologiques dans le territoire de l'autre et permet à son tour l'amélioration de la sécurité de la navigation au niveau international. Cet échange est alors érigé en obligation juridique s'imposant à tous les Etats signataires de la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (ci-après Convention SOLAS)77. D'un point de vue scientifique, la collecte des données marines permet d'accroître notre connaissance de la mer, ou plutôt, de diminuer notre ignorance à son sujet, dans les domaines de la physique, la biologie, la biochimie, la géologie, la géophysique et l'halieutique78. Ces données acquises par observation servent à connaître, décrire, comprendre et expliquer79 les phénomènes naturels qui ont lieu en mer, ce domaine de l'inconnu80. 76 Il faut relever que «les eaux des océans ne sont pas homogènes : elles sont plus ou moins chaudes selon les zones géographiques. Les eaux chaudes de l'équateur remontent vers les pôles où elles arrivent refroidies. Par convection, ces eaux froides et salées, plus denses et donc plus lourdes, vont alors couler sous les eaux plus chaudes ou peu salées, pour repartir ensuite dans la direction inverse, vers l'équateur. Ces mouvements de masses d'eau, créés par les contrastes de densité, représentent ce qu'on appelle la circulation thermohaline (des mots grecs thermos qui veut dire chaud et halinos, salé). On parle également du phénomène « tapis roulant » : les eaux chaudes de surface se déplacent vers les pôles tandis que les eaux froides des fonds se déplacent vers l'équateur», disponible sur https://wwz.ifremer.fr/L-ocean-pour-tous/Nos-ressources-pedagogiques/Comprendre-les-oceans/Ocean-et-climat/Les-oceans.-reservoirs-et- redistributeurs-de-chaleur#:~:text=L%27oc%C3%A9an%2 (consulté le 21-02-2021). 77 Convention SOLAS précitée. 78 Portail officiel de l'Ifremer: http://data.ifremer.fr/pdmi/portalssearch/main 79 TALBOT (L.), « Intérêts et limites des apports de la recherche aux pratiques de l'enseignement », Éduquer, édition en ligne, numéro 8, 2004, le 15 octobre 2008, [en ligne]: http://journals.openedition.org/rechercheseducations/354 (consulté le 16-02-2021) 80 LUCCHINI (L.), VOELCKEL (M.), Droit de la mer, Tome I: La mer et son Droit, op. cit., p.11. 14 La science devrait servir le progrès de l'Humanité. Toutefois, entendu au sens de l'augmentation du bien-être de l'individu par une amélioration des possibilités techniques et industrielles81, celui-ci n'est pas nécessairement favorisé par le développement des connaissances sur le milieu marin. Une utilisation immorale de ces connaissances va même à l'encontre de ce progrès matériel. Nous pouvons dans ce cadre prendre l'exemple de la surpêche qui met également en lumière l'intérêt écologique de notre sujet. La surpêche, définie comme l'exploitation des stocks à des niveaux d'abondance inférieurs au seuil de rendement maximal durable, entraîne une baisse de la production de poisson et a finalement des conséquences sociales et économiques néfastes82. Celle-ci se sert en effet des données marines collectées par les scientifiques qui étudient les zones et les périodes de reproduction et de migration des différentes espèces de thon par exemple. L'industrie de la pêche a ainsi concentré ses efforts suivant ces informations d'une manière si irresponsable que les stocks de thon sont aujourd'hui surexploités et doivent être reconstitués83. Le problème réside donc dans l'utilisation immorale des connaissances acquises par la collecte des données marines puisque la solution au problème de la surpêche réside dans ces mêmes connaissances selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (ci-après FAO) qui appelle les Etats à renforcer la préparation, les compétences et les qualifications professionnelles des pêcheurs par des programmes d'éducation et de formation84. Ainsi, la 81 TALBOT (L.), précité. 82 Ibidem. 83 FAO, Rapport sur la situation mondiale des pêches et de l'aquaculture, contribuer à la sécurité alimentaire et à la nutrition de tous, 2016. 84 L'article 8.1.7 du code de conduite pour une pêche responsable de la FAO du 31 octobre 1995 prévoit: «Les Etats devraient, par des programmes d'éducation et de formation renforcer la préparation et les compétences des pêcheurs et, le cas échéant, leur qualifications professionnelles. Ces programmes devraient tenir compte des normes et directives 15 collecte des données marines peut à la fois nuire à l'environnement marin et contribuer à sa protection. D'un point de vue sécuritaire, la collecte des données marines permet de limiter les pertes humaines et matérielles causées par les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les vagues scélérates et les ondes de tempête, ou par les catastrophes naturelles telles que les tsunamis et les cyclones, et ce, au moyen de prévisions météorologiques précises. Détecter précocement les dangers maritimes au moyen de la collecte des données marines permet d'émettre une alerte assez tôt pour que les marins et la population anticipent85 le danger et se protègent au mieux86. Elles permettent ainsi la protection des personnes et des biens aussi bien en mer que sur le littoral. En effet, cette activité ne permet pas seulement de prévoir le temps qu'il fera en mer, mais aussi sur les littoraux et de vastes zones continentales87, car la mer régule le climat de l'ensemble de la planète, participant à «l'alimentation et l'entretien de l'atmosphère qui est une couverture isolante et chauffante, d'une part, et au refroidissement des couches solides enveloppant le moteur lithosphérique de la Terre» d'autre part88. L'efficacité des politiques de protection étatiques dépendant de la qualité des données scientifiques qui éclairent leurs décisions, une meilleure compréhension des changements environnementaux de préoccupation mondiale89 tels que le réchauffement climatique90 et l'acidification de la mer91 ainsi qu'une observation continue de l'océan permettent une meilleure réponse de la part des Etats au internationales convenues», disponible sur le site de la FAO au lien suivant: http://www.fao.org/3/a-v9878f.pdf (consulté le 21-02-2021). 85 FAURY (M.), «La science fait progresser l'humanité», l'Infusoir, le 20 avril 2011, [en ligne]: https://infusoir.hypotheses.org/783 (consulté le 16-02-2021). 86 Site officiel de l'OMM: https://public.wmo.int/fr/oc%C3%A9ans (consulté le 26-06-2020). 87 PANCRACIO (J.), op. cit., pp.1-5. 88 Ibidem. 89 Site officiel de l'OMM: https://public.wmo.int/fr/oc%C3%A9ans (consulté le 26-06-2020). 90 OMM, Guide pratique climatologique, 2011. 91 Résolution 74/19 de l'AGNU précitée. 16 moment où ces phénomènes météorologiques extrêmes surviennent92. Nous comprenons ainsi l'importance de programmes internationaux tels que le système mondial intégré de services océaniques (ci-après SMISO) coordonné conjointement par la COI et l'OMM, conçu pour assurer l'acquisition et l'échange de données océaniques et la diffusion d'observations, d'analyses et de prévisions de phénomènes océaniques importants93. La collecte des données marines permet donc de protéger la mer de l'activité de l'Homme, mais aussi de protéger l'Homme des dangers de la mer. D'un point de vue économique, la collecte des données marines contribue à «améliorer la sécurité alimentaire [et] préserver les ressources marines»94 lorsqu'elle est mise au service de la gestion de la pêche, de l'exploitation des minéraux et de l'extraction des produits énergétiques95 de ce grand «réservoir de ressources biologiques, minérales et énergétiques»96 qu'est la mer. La collecte des données marines peut même contribuer à l'élimination de la pauvreté97 à travers le développement du commerce et du transport maritimes, la mer assurant la quasi-totalité des échanges intercontinentaux de marchandises98, ainsi que d'autres activités d'une grande importance économique pour les Etats côtiers telles que la plaisance et le tourisme maritime99. 92Site web officiel de l'UNESCO: http://www.unesco.org/new/fr/natural-sciences/ioc-oceans/focus-areas/rio-20-ocean/blueprint-for-the-future-we-want/marine-pollution/ (consulté le 26/06/2020). 93 OMM, Plan général et programme de mise en oeuvre du système mondial intégré de services océaniques pour 1982-1985, 1982. 94 Résolution 67/78 de l'AGNU, Les océans et le Droit de la mer A/RES/67/78 (11 décembre 2012. 95 SHOM, Programme national d'hydrographie 2017_2020, 2017. 96 PANCRACIO (J.), op. cit., pp. 1-5. 97 Résolution 67/78 de l'AGNU, précitée. 98 PANCRACIO (J.), op. cit., pp. 1-5. 99 SHOM, Programme national d'hydrographie 2017_2020, précité. 17 D'un point de vue politique100, la collecte des données marines peut "susciter des réactions de souveraineté»101. En attestent les tensions helléno-turques qui furent récemment ravivées102 par une campagne de prospection sismique entreprise par la Turquie au début du mois d'août 2020 au large de l'île grecque de Kastellorizo103, dans une zone que la Grèce considère sous sa juridiction. Les navires des deux Etats effectuèrent même des manoeuvres militaires rivales104 lorsque la Turquie entreprit des activités de forage. La prospection sismique105, activité de collecte des données marines peut être à l'origine de telles tensions entre Etats voisins parce que l'enjeu de ces données n'est rien de moins que l'exploitation des gisements de pétrole et de gaz, d'autant plus que l'Institut d'études géologiques des USA évalue le potentiel de cette zone objet de litige à 122 trillions de pieds cube, «la consommation annuelle de 100 Site de la chaîne d'informations Al Mayadeen, https://www.almayadeen.net/episodes/1421219/%D8%A7%D9%84%D9%85%D8%B4%D9 %87%D8%AF%D9%8A%D8%A9_%D8%AA%D9%88%D8%AA%D8%B1-%D9%85%D8%AA%D8%B2%D8%A7%D9%8A%D8%AF-%D8%A8%D9%8A%D9%86-%D8%AA%D8%B1%D9%83%D9%8A%D8%A7-%D9%88%D8%A7%D9%84%D9%8A%D9%88%D9%86%D8%A7%D9%86 (consulté le 04-03-2021). 101 VOELCKEL (M.), «Le statut juridique des «systèmes d'acquisition des données océaniques» (S.A.D.O.)», Annuaire français de droit international, volume 17, 1971. p. 835, [en ligne]: https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1971_num_17_1_1673 (consulté le 15-02-2021). 102 En 1976, la Grèce introduit une instance contre la Turquie dans un différend concernant le plateau continental de la mer Egée auprès de la Cour internationale de justice (ci-après CIJ) qui se déclara finalement sans compétence, CIJ, arrêt du 19 décembre 1978, Affaire du plateau continental de la mer Egée, (Grèce contre Turquie), Recueil 1978. En 1996, la souveraineté de la Grèce sur les îlots Imia et Kardak fut remise en cause à l'occasion d'un incident maritime civil. Ce qui est aujourd'hui connu sous le nom de la «crise d'Imia-Kardak» faillit déboucher sur un affrontement militaire entre les Etats deux voisins, BERTRAND (G.), «L'européanisation du conflit helléno-turc», Les Champs de Mars, numéro 16, 2004, pp. 115_131, [en ligne]: https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-ldm-2004-2-page-115.htm#no9 (consulté le 16-02-2021). Le 18 décembre 2020, la Grèce arrêta Sebahattin Bayram, secrétaire au consulat de Turquie à Rhodes, en l'accusant d'espionnage pour le compte de la Turquie pour avoir pris des photographies de navires grecs, Site internet officiel de l'Etablissement de la Radio et Télévision de Turquie: https://www.trt.net.tr/francais/turquie/2020/12/18/ankara-condamne-l-arrestation-d-un-employe-du-consulat-turc-a-rhodes-par-les-autorites-grecques-1548040 (consulté le 18-12-2020). 103 Site d'information de la chaîne Almanar: https://french.almanar.com.lb/1857176 (consulté le 16-02-2021). 104 Ibidem. 105 Site officiel de l'Ifremer: https://wwz.ifremer.fr (consulté le 26-06-2020). 108. 18 l'Europe [étant] de 20 trillions de pieds cube»106. Au Conseil européen, les 24 et 25 septembre 2020, la France appela l'Union européenne (ci-après UE) à sanctionner ce qu'elle appelle «les provocations» de la Turquie107. Cette prise de position de la France fut motivée par les contrats d'une valeur de milliards d'euros que la Grèce avait signé avec des entreprises françaises d'exploitation de gaz ainsi que son achat d'avions rafales, de missiles et de torpilles françaises, et non pas par un élan de solidarité au sein de l'UE Tout comme la France, le reste des Etats de l'UE firent prévaloir leurs intérêts nationaux sur la politique étrangère et de sécurité commune (ci-après PESC) de l'UE109 lors des réunions du Conseil européen du premier octobre 2020 et du 11 décembre 2020. Faute d'un vote unanime, les sanctions économiques et l'embargo européen sur les armes à la Turquie demandés par la Grèce ne furent pas imposés110. L'Allemagne notamment, dont les échanges commerciaux avec la Turquie s'élèvent à des milliards d'euros111 et vend des sous-marins à cette dernière112, ne soutint pas cette demande de sanctions. 106 BARBAUX (A.) et CHODORGE (S.), «Pourquoi la situation est explosive en Méditerranée orientale», l'Usine nouvelle, le 2 septembre 2020,
[en ligne]: 107 AMIR-ASLANI (A.), «La Turquie, un enjeu existentiel pour l'Europe et pour le monde arabo-musulman», Atlantico, le 27 septembre 2020,
[en ligne]: 108 Site de la chaîne d'informations Al mayadeen, 109 DREVET (J.), «Les dangers du veto dans l'Union européenne», Telos, le 23 décembre 2020, [en ligne]:
https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/les- 110Ibidem. 111 «En 2018, les exportations de la Turquie vers l'Allemagne pesaient 13,5 milliards d'euros tandis que les importations allemandes représentaient plus de 17 milliards d'euros», site d'information Ouest France: https://www.ouest-france.fr/ (consulté le 21-02-2021). 112 DREVET (J.), précité. 19 Enfin et surtout, du point de vue de l'actualité, les activités de collecte des données marines ont une importance dans le cadre de l'enquête sur l'explosion de Beyrouth du 4 août 2020113. Ainsi, le système d'observation mondial des tremblements de terre nommé IRIS a enregistré six explosions en Méditerranée à exactement onze secondes d'intervalle avant l'explosion du port de Beyrouth114. Ce système utilisant des capteurs dans les profondeurs de la mer diffuse en direct les données collectées sur le site Web «IRIS»115 ouvert au public. Or, l'enregistrement de ces six explosions a été supprimé du site moins de vingt-quatre heures après sa diffusion116 (illustration n°2). illustration n°2: La surveillance des tremblements de terre en mer Méditerranée par le système d'observation mondial IRIS, 113 Site de la chaîne d'information Almanar: https://french.almanar.com.lb/1951688 (consulté le 02-03-2021). 114 Site d'information Israel Defence: https://www.israeldefense.co.il/en/node/44662 (consulté le 02-03-2021). 115 Site officiel du système IRIS: http://ds.iris.edu/seismon/index.phtml (consulté le 17-022020). 116 Site de la chaîne d'information Almanar: https://french.almanar.com.lb/1951688 (consulté le 02-03-2021). 20 L'étude d'une question qui présente autant d'enjeux que la collecte des données marines et le Droit de la mer ne peut donc pas être négligée. La CMB, cadre juridique de cette activité, est le fruit de négociations acharnées entre deux groupes d'Etats aux intérêts opposés dans un contexte international particulier : les Etats en voie de développement et les Etats industrialisés. A la lecture des travaux préparatoires de la CMB, nous sommes marqués par l'absence d'esprit de solidarité internationale117. Chacun des deux groupes eut en effet comme priorité de défendre ses intérêts avant ceux de l'Humanité tout entière, qui seraient de favoriser le progrès de la science et la connaissance de la mer. Le texte issu des débats de la CNUDM III constitua une tentative de compromis qui ne servit finalement les intérêts ni des Etats en voie de développement, ni des Etats industrialisés. C'est à la confluence de ces idées que la problématique choisie pour traiter notre sujet prend forme : Le Droit de la mer favorise-t-il le progrès de la collecte des données marines ? 117 La solidarité internationale désigne «l'expression d'un esprit d'unité entre les individus, les peuples, les États et les organisations internationales, englobant la communauté d'intérêts, d'objectifs et d'actions et la reconnaissance de droits et besoins différents pour atteindre des objectifs communs», disponible sur le site Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (ci-après HCDH) au lien suivant: Pour faciliter et encourager le développement des connaissances et des techniques118 dans le domaine de la collecte des données marines, le Droit de la mer devrait «créer les conditions qui permettent le succès»119 de cette activité. Or, le compromis ambigu obtenu à l'issue de la CNUDM III ne facilite pas le progrès de cette activité et lui porte même préjudice. La condition principale dont cette science a besoin pour progresser est de pouvoir collecter des données dans la totalité de cet océan mondial unique dont toutes les zones sont interdépendantes comme nous l'avons expliqué plus haut. Il ne faudrait laisser aucune zone d'ombre. Or, la collecte des données marines qui est déjà difficile sur le plan pratique est en plus entravée par un barrage juridique. La collecte des données marines dans l'océan mondial dans sa totalité n'est pas facilitée par le Droit de la mer issu de la CNUDM III. Le progrès de cette science n'est donc pas favorisé par le Droit de la mer tel qu'il régit les activités de collecte des données marines (première partie) et les techniques au moyen desquelles cette collecte est effectuée (deuxième partie). 21 118 Le terme «progrès» signifie «Amélioration de quelqu'un dans le domaine des connaissances, des compétences, etc.», Encyclopédie LAROUSSE, 2020, [en ligne]: https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/progr%C3%A8s/64212#:~:text=Fait%20d'ava ncer%2C%20mouvement%20en,Les%20progr%C3%A8s%20de%20l'incendie. &text=Am%C3%A9lioration%20de%20quelqu'un%20dans,les%20progr%C3%A8s%20d'un %20%C3%A9l%C3%A8ve. (consulté le 21-02-2021). 119 Le terme favoriser signifie «Créer les conditions qui permettent le succès d'une action, le développement d'une activité ; faciliter, encourager : Mesures qui favorisent le commerce», Encyclopédie LAROUSSE précitée, [en
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