La collecte des données marines et le droit de la merpar Wafa ZLITNI Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - Master de recherche en Droit international 2021 |
B. Des SADO ne correspondant à aucune catégorie juridique existanteLes nouveaux câbles hybrides utilisés pour la collecte des données marines dans les fonds marins ne correspondent à aucune catégorie juridique existante en Droit de la mer. Par conséquent, aucun régime juridique prévu par la CMB n'est adapté à ce nouveau SADO. Bien qu'elle lui consacre plusieurs articles, ladite 464 LANGAVANT (E.), Droit de la mer, tome III, Les moyens de la relation maritime, op. cit., pp.20-21. 465 CHEMLI (L.), «La sauvegarde des épaves maritimes», in BOURAOUI (S.) (coord.), Etudes et recherches en Droit de l'environnement, travaux de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, ministère de l'éducation et des sciences, Tunis, 1994, pp.160-161. 96 Convention466 ne définit pas le terme «câble» qu'elle juxtapose parfois au terme «pipeline», tous deux d'une importance vitale pour l'économie mondiale467 (illustration n°5). L'usage du premier permet en effet l'acheminement des données internet et des communications tandis que le second est destiné aux fluides tels que le gaz et le pétrole. illustration n°5: Le réseau mondial des câbles de télécommunication, https://www.submarinecablemap.com/#/ (consulté le 26-02-2021). Nous nous intéressons dans le cadre de notre sujet aux câbles sous-marins de fibre optique auxquels des capteurs océanographiques collectant des données marines furent ajoutés, faisant d'eux des câbles hybrides : des câbles de télécommunication et de collecte des données marines. Or, ces câbles hybrides ne peuvent entrer ni dans la catégorie des câbles de télécommunication, ni dans celle du matériel de recherche scientifique marine, pour lesquelles la CMB prévoit deux régimes bien distincts. 466 Articles 21, 58, 79, 112 et 115 de la CMB précitée. 467 Résolution 74/19 de l'AGNU précitée. 97 Si «la liberté de la haute mer [...] comporte [...] la liberté de poser des câbles [...] sous-marins»468 et «la liberté de la recherche scientifique»469, de grandes différences existent entre le régime prévu pour les câbles de télécommunication et celui qui est prévu pour le matériel de recherche scientifique marine dans les zones de juridiction470. Ainsi, en vertu des articles 246471 et 258472 de la CMB, aucun matériel de recherche scientifique marine ne peut être placé dans la ZEE ou sur le plateau continental de l'Etat côtier sans le consentement de ce dernier, tandis qu'en en vertu des articles 58 et 79 de la CMB, dans la ZEE et sur le plateau continental, «tous les Etats [...] jouissent de la liberté de poser des câbles [...] sous-marins»473 de télécommunication. L'Etat côtier «ne peut entraver [leur] pose ou [leur] entretien [...]»474. Il émet ses conditions seulement quant «aux câbles installés ou utilisés dans le cadre de l'exploration de son plateau continental ou de l'exploitation de ses ressources, ou de l'exploitation d'îles artificielles, d'installations ou d'ouvrages relevant de sa juridiction»475. 468 Article 87.1.c de la CMB précitée. 469 Article 87.1.f de la CMB précitée. 470Site officiel de l'UIT: https://www.itu.int/fr/ITU-T/climatechange/task-force-sc/Pages/default.aspx 471 Article 246 de la CMB précitée. 472 Article 258 de la CMB précitée. 473 L'article 58.1 de la CMB précitée prévoit: «Dans la zone économique exclusive, tous les États, qu'ils soient côtiers ou sans littoral, jouissent, dans les conditions prévues par les dispositions pertinentes de la Convention, des libertés de navigation et de survol et de la liberté de poser des câbles et pipelines sous-marins visées à l'article 87, ainsi que de la liberté d'utiliser la mer à d'autres fins internationalement licites liées à l'exercice de ces libertés et compatibles avec les autres dispositions de la Convention, notamment dans le cadre de l'exploitation des navires, d'aéronefs et de câbles et pipelines sous-marins». 474 L'article 79 de la CMB précitée prévoit: «1.Tous les États ont le droit de poser des câbles et des pipelines sous-marins sur le plateau continental conformément au présent article.
475 Ibidem. 98 Nous remarquons que la CMB prévoit un régime de liberté pour ces câbles vitaux et limite la capacité de l'Etat côtier à règlementer leur pose et leur maintenance afin d'éviter les retards qui menaceraient la fiabilité des communications mondiales et engendreraient par conséquent des coûts importants476. Or, si les câbles hybrides étaient qualifiés de matériel de recherche scientifique marine soumis au régime du consentement de l'Etat côtier, le délai d'obtention dudit consentement d'au moins six mois prévu par la CMB477 entrainerait des retards dans leur pose et leur maintenance. De plus, intégrer ce SADO dans cette catégorie entrainerait l'érosion de la liberté associée aux câbles de télécommunication. Mais cette liberté dont jouissent les câbles de télécommunication ne saurait être étendue aux fonctions de collecte des données marines ajoutées à sa fonction première d'acheminement des données de communication sans constituer un abus de droit478. Les câbles hybrides ne peuvent donc s'intégrer dans aucune des deux catégories précitées. Ces nouveaux SADO ne s'intègrent donc dans aucune catégorie existante puisque la CMB n'en propose aucune qui soit adaptée à cette nouvelle réalité technologique. C'est ainsi que la CMB propose une catégorisation ambiguë des SADO, ce qui pose un réel problème. En effet, pouvoir intégrer avec certitude un instrument à telle ou telle catégorie juridique revêt plusieurs enjeux. 476 FRIKHA (A.), op. cit., pp. 40-44 477 Article 248 de la CMB précitée. 478 Groupe de travail conjoint UIT-COI-OMM, Rapport sur l'utilisation des câbles sous-marins pour la surveillance du climat et d'alerte en cas de catastrophe naturelle, perspectives et enjeux juridiques, 2012. 99 |
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